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retarder cette opération jusqu'à l'arrivée en Crimée de l'armée de réserve, mais nous sommes si rapprochés des Russes, qu'il y aurait danger à attendre, d'autant plus que l'armée ennemie reçoit des renforts journellement.

« Les officiers généraux des armes spéciales des deux armées, les chefs de nos deux corps d'armée ont été unanimes pour céder dans cette circonstance aux cris de nos soldats français et anglais demandant l'assaut. Lord Raglan partage fermement leur avis.

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« J'ai pensé que mon devoir était de m'y joindre. Déjà le général Pélissier avait reçu des instructions qui l'invitaient à faire reconnaître et préparer l'emplacement destiné à contenir les colonnes d'assaut (dans la prévision d'une attaque): 1° en face de la grande brèche du mur crénelé; 2o devant le bastion Central; 3° en face du bastion du Mât, et enfin un autre emplacement en arrière pour tenir à portée de puissantes réserves.

Le sort en était jeté. A la droite, on devait enlever le mamelon Vert et les ouvrages blancs afin de faciliter à nos alliés leur attaque contre le grand Redan. - A la gauche, nos troupes devaient marcher sur trois colonnes contre le bastion du Mât, le bastion Central et la Quarantaine; une fois la première enceinte traversée, ces colonnes devaient chercher à tourner la seconde, à pénétrer dans le réduit par la gorge et à s'y loger solidement.

XVI. Un second conseil fut tenu pour prendre les

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dernières dispositions, et discuter une dernière fois les meilleurs points d'attaque. C'est pendant cette conférence que le vice-amiral Bruat envoya communication d'une dépêche du ministre de la marine, qui lui annonçait officiellement l'arrivée totale à Constantinople de l'armée de réserve, pour les premiers jours de mai. Cette date était trop rapprochée, pour ne pas attendre un si précieux renfort, en face des éventualités impossibles à prévoir, qui pouvaient résulter d'un assaut dont les proportions s'élevaient à celles d'une grande bataille.

Le ministre de la marine confirmait en outre à l'amiral la venue prochaine de l'Empereur, qui, malgré les prières de son gouvernement, persistait à se rendre en Crimée pour partager les périls et la gloire de notre vaillante armée. Tous les membres composant le conseil furent d'avis d'attendre la coopération de l'armée de réserve; le général en chef partageait cette opinion; car à l'assaut projeté étaient attachés de redoutables hasards; et dans la ville assiégée, tout semblait s'être changé en bronze (1).

XVII.

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C'est au milieu de toutes ces complications, que l'on voit surgir tout à coup le projet de l'expédition de Kertch, dont la pensée, depuis quelque temps, souriait fort au général en chef de l'armée an

(1) C'est à des sources authentiques et officielles que l'auteur a puisé ces différents détails.

glaise, et surtout aux deux amiraux Lyons et Bruat, qui voyaient la flotte sortir enfin de son inaction et prendre une part active aux opérations de guerre. Cette expédition souriait moins au général Canrobert, en vue des nouvelles instructions qu'il venait de recevoir; elle éloignait à la fois du centre d'opérations, des vaisseaux dont le concours pouvait être très-utile pour le transport des troupes de Maslak à Kamiesch, et une division dont la présence devait servir le plan combiné d'attaque extérieure.

Lord Raglan insista : les amiraux insistèrent.

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Profitons, disait le général en chef de l'armée anglaise, du temps qui nous reste avant l'arrivée ici du corps de réserve, pour explorer Kertch, le détroit de Yeni-Kalé, séparer l'Asie de l'Europe et enlever aux Russes les moyens de ravitaillement qu'ils tirent de la mer d'Azoff. Il est d'autant plus urgent de se presser, ajoutait-il, que les Russes travaillent à obstruer le passage, et que chaque jour de retard double les difficultés et ôte à cette entreprise des chances favorables de succès. »

Dans toutes les questions importantes, se glissait une question d'harmonie et d'accord entre les généraux alliés, complication permanente à laquelle il fallait songer. C'était une balance dans laquelle chacun apportait sa part de conciliation. Lord Raglan, nous l'avons dit, était très-porté pour l'attaque générale contre la place; il avait accepté, tout en le regrettant vivement, le changement de résolution qu'avait amené

la dépêche adressée par le ministre de la marine; l'expédition de Kertch était, à son tour, du côté du général français, une concession à la bonne harmonie. Le général Canrobert céda donc aux pressantes sollicitations de lord Raglan, et l'expédition fut arrêtée.

Les troupes françaises étaient commandées par le général d'Autemarre, les troupes anglaises par le général Brown, qui prenait le commandement supérieur par ancienneté de grade.

XVIII. Au milieu de toutes ces péripéties, de tous ces événements, le général en chef voulut passer une grande revue de chacun des deux corps d'armée, pour leur annoncer le puissant renfort qui allait bientôt débarquer à Kamiesch. Une journée devait être consacrée à chaque corps. La première de ces deux revues eut lieu le 26, la seconde le 27. A toutes deux assistaient l'ambassadeur d'Angleterre et de jeunes dames anglaises dont les visages souriaient doucement à ces mâles colonnes qui défilaient devant le général en chef dans leur tenue de combat.

-

Après la revue, le général Canrobert se porta successivement devant chaque divis on, et fit former autour de lui le cercle des officiers. -Avec quelle impatience chacun attendait les paroles qui allaient sortir de ses lèvres !

Il annonça que 30 000 hommes environ, réunis en ce moment à Constantinople, allaient venir partager la gloire et les fatigues de leurs compagnons d'armes, et qu'alors la France et l'Angleterre se réunissant dans

un commun effort, frapperaient à la fois à la porte et aux fenêtres de Sébastopol.

Chacun salua cette espérance et retourna au camp la joie et la confiance dans le cœur. Ces deux journées auxquelles le canon qui tonnait venait ajouter sa voix retentissante, furent belles de poésie guerrière et de solennelle gravité.

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Le général Niel avait pris par ordre de l'Empereur le commandement en chef du génie de l'armée d'Orient (1).

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La mission importante dont avait été chargé le général Niel, les études qu'il avait faites des terrains d'attaque, sa haute position dans l'arme du génie, l'appelaient tout naturellement à remplacer le digne général que la mort avait frappé. Lourde succession; car on était arrivé à cette période du siége, où le génie devait s'avouer que ses espérances ne s'étaient point réalisées, et que chaque jour l'objectif de ses efforts semblait s'éloigner davantage.

Le général Niel, placé aujourd'hui à la tête du génie, est né en 1802. Élève de l'École polytechnique, il était sous- lieutenant élève du génie, à Metz, en 1823. En 1827, il était lieutenant, et déjà capitaine en premier en 1835. Il s'embarquait en 1836 pour l'Afrique, attaché à l'état-major du génie du corps d'expédition contre Constantine. Chacun se rappelle ce siége mémorable, où le général Vallée, après la mort du commandant en chef, le général Damrémont, prit le commandement supérieur action de guerre sanglante et mémorable, où se trouvent déjà au premier rang, parmi les plus ardents à com-battre, ceux dont les noms, plus tard, devaient acquérir une si belle popularité, et s'élever, par l'éclat de leurs services, aux premiers

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