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lonel Waubert avaient seuls eu connaissance de la décision du général, qui, jusqu'au dernier moment, resta secrète.

En quittant le commandement en chef, il restait au général Canrobert à remplir un devoir que lui dictait son cœur, c'était de s'occuper de ceux qui étaient auprès de lui. De grand matin, il fit appeler les officiers de son état-major, et, en leur annonçant qu'il quittait le commandement en chef, il proposa à chacun ce qui pouvait plus particulièrement lui convenir. Tous inclinèrent la tête avec un sentiment de profonde amertume, mais aussi de vive reconnaissance pour ce dernier souvenir du général qui n'avait oublié personne.

XXXIII. Pendant ce temps, le général Pélissier, mandé par le général en chef, se rendait, le 19 au matin, au grand quartier général, accompagné seulement de son aide de camp, le lieutenant-colonel Cassaigne.

Le général Canrobert lui apprit que sa démission avait été acceptée par l'Empereur, et que Sa Majesté, ainsi qu'il le lui avait demandé, avait bien voulu le désigner pour son successeur.

Le commandement en chef devait lui être remis dans la matinée.

Le général Pélissier se rendit alors chez lord Raglan auquel il avait fait dire, par son officier d'ordonnance, le capitaine de Polignac, que la première pensée du nouveau général en chef avait été pour lui. A huit heures et demie il était chez lord Raglan avec lequel il eut une

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assez longue conférence, car ce grand événement devait évidemment, par la conséquence du fait même qu'il entraînait, ouvrir le champ à une voie nouvelle.

Vers midi, le général Pélissier était de retour au grand quartier général. Les généraux commandant les corps d'armée, les généraux de division et les chefs de service de l'artillerie et du génie, le chef d'état-major général, et l'intendant général avaient été convoqués et étaient réunis dans une grande baraque que le général Canrobert avait fait installer, depuis quelques jours seulement, pour ses bureaux.

Là, entouré des officiers de son état-major, avec une grandeur de caractère, une loyauté de parole qui lui est propre, le général Canrobert adressa ses adieux aux chefs de cette vaillante armée qu'il avait commandée si longtemps: adieux touchants, simples et dignes, qui émurent tous les cœurs et mouillèrent les yeux de larmes; lui seul, au milieu de tous, était calme et ferme, descendant de cette haute dignité du commandement avec la même simplicité qu'il y était monté.

Celui qui va vous commander, dit-il en terminant, est déjà connu de tous par ses grands services militaires. Je remets entre ses mains une belle et vaillante armée, qu'il conduira à la victoire, et vous tous, messieurs les généraux, vous accorderez à mon successeur ce fidèle et infatigable appui qui a secondé et soutenu mes efforts, pendant les différentes épreuves que nous avons traversées; pour moi, j'ai demandé à l'Empereur, et je demande à notre nouveau général en chef, non l'hon

neur du commandement important d'un corps d'armée, pour lequel Sa Majesté a bien voulu me désigner, mais celui de reprendre ma place de combattant à la tête d'une division. »

Nul ne pourra peindre l'émotion de cette scène et l'impression profonde que produisirent ces dernières paroles (1).

(1) C'est dans ces termes nobles et chaleureux que le général Canrobert fit ses adieux à l'armée, le 19 mai 1855 :

< Soldats!

« Le général Pélissier, commandant le 1er corps, prend, à dater de ce jour, le commandement en chef de l'armée d'Orient.

«L'Empereur, en mettant à votre tête un général habitué aux grands commandements, vieilli dans la guerre et dans les camps, a voulu vous donner une nouvelle preuve de sa sollicitude, et préparer encore davantage les succès qui attendent sous peu, croyez-le bien, votre énergique persévérance.

«En descendant de la position élevée où les circonstances et la volonté du souverain m'avaient placé et où vous m'avez soutenu, au milieu des plus rudes épreuves, par vos vertus guerrières et ce dévouement confiant dont vous n'avez cessé de m'honorer, je ne me sépare pas de vous. Le bonheur de partager de plus près vos glorieuses fatigues, vos nobles travaux, m'a été accordé, et c'est ensemble que, sous l'habile et ferme direction du nouveau général en chef, nous continuerons à combattre pour la France et pour l'Empereur. « Au grand quartier général, devant Sébastopol, le 19 mai 1855. « Le général en chef,

<< CANROBERT.>>

Le même jour, le général Pélissier, en prenant le commandement de l'armée, adressait aux soldats l'ordre du jour suivant, et ses paroles étaient l'écho de tous les cœurs :

<<< Soldats!

«Notre ancien général en chef vous a fait connaître la volonté de l'Empereur, qui, sur sa demande, m'a placé à la tête de l'armée

d'Orient.

« En recevant de l'Empereur le commandement de cette armée, exercé si longtemps par de si nobles mains, je suis certain d'être l'in

Le général Pélissier rappela les services signalés que le général Canrobert avait rendus, services que ni l'armée ni le pays ne pourraient jamais oublier.

Le général avait raison; quelques mois plus tard la population entière acclamait le général Canrobert ramenant dans les rues de Paris les régiments de Crimée, mutilés par la guerre, mais glorifiés par la victoire. Et deux mois après l'Empereur l'élevait à la dignité de maréchal de France.

terprète de tous, en proclamant que le général Canrobert emporte tous nos regrets et toute notre reconnaissance. Aucun de vous, soldats, ne saurait oublier ce que nous devons à son grand cœur. Aux brillants souvenirs d'Alma et d'Inkermann, il a ajouté le mérite, plus grand encore peut-être, d'avoir conservé à notre souverain et à notre pays, dans une formidable campagne d'hiver, une des plus belles armées qu'ait eues la France. C'est à lui que vous devez d'être en mesure d'engager à fond la lutte et de triompher; et si, comme j'en suis certain, le succès couronne nos efforts, vous saurez mêler son nom à vos cris de victoire.

◄ Il a voulu rester dans vos rangs; et bien qu'il pût prendre un commandement plus élevé, il n'a voulu qu'une chose, se remettre à la tête de sa vieille division. J'ai déféré aux instances et aux inflexibles désirs de celui qui était naguère notre chef et sera toujours mon ami. << Soldats! ma confiance en vous est entière. Après tant d'épreuves, après tant d'efforts généreux, rien ne saurait étonner votre courage. Vous savez tout ce qu'attendent de vous l'Empereur et la patrie! Soyez ce que vous avez été jusqu'ici, et, grâce à votre énergie, au concours de nos intrépides alliés, des braves marins de nos escadres, et avec l'aide de Dieu, nous vaincrons!

«< Au quartier général devant Sébastopol, le 19 mai 1855.

« Le général en chef,

« A. PÉLISSIER. »

CHAPITRE III.

XXXIV. Le nouveau général en chef avait pris le commandement (1), le mot d'ordre qui lui fut transmis,

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Le nom du nouveau général en chef était pour l'armée un nom tout militaire; il se liait intimement aux quinze dernières années de nos combats en Algérie. Chacun connaissait son énergie, sa vigoureuse résolution, et l'armée avait confiance en lui. Cette haute expérience acquise par tant d'années d'une vie entièrement consacrée à son pays, tempérait les regrets qui furent unanimes, lorsque l'on apprit que le général Canrobert avait lui-même demandé à remettre son commandement dans les mains du général Pélissier.

Il serait difficile de retracer dans son ensemble la longue carrière du soldat vieilli dans les camps, et nous ne pouvons en esquisser ici que les principaux traits.

Le nouveau général en chef de l'armée d'Orient est né en 1794. Il entra à l'école de Saint-Cyr en 1814, et fut attaché en 1815 à l'artillerie de la maison du roi avec rang de sous-lieutenant. Mis en nonactivité au licenciement du 26 août, il rentrait à la fin de la même année à la légion départementale de la Seine-Inférieure. Le 20 janvier 1819, il était admis, après examen, dans le corps d'état-major dont on venait d'arrêter la formation. En 1823, il fit la campagne d'Espagne avec le grade de lieutenant, et fut nommé chevalier de la Légion d'honneur. Après son retour d'Espagne, il fut successivement aide de camp de plusieurs généraux. En 1827 il était capitaine, et faisait, dans les années 1828 et 1829, la campagne de Grèce, comme aide de camp du général Durrieu. Il se distingua brillamment au siége du château de Morée, et fut nommé chevalier de Saint-Louis. En 1830, lorsque l'expédition d'Alger fut résolue, il en fit partie et sut, comme dans les deux précédentes campagnes, attirer sur lui l'attention de ses chefs, qui le signalèrent au ministre de la guerre comme un officier plein d'avenir. La même année, il fut nommé chef de bataillon et officier de la Légion d'honneur: ces deux récompenses, qui se suivirent

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