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furent interminables!... Enfin la colonne de fumée commence à s'entr'ouvrir, et l'on aperçoit les drapeaux de la France flottant encore glorieusement sur les parapets; alors toute l'armée, comme une seule voix, jeta un immense cri de Vive l'Empereur! qui domina le bruit retentissant de la canonnade, concert de voix reconnaissantes qui remontait vers Dieu.

Ce n'était pas une aussi grande catastrophe que celle qui était à craindre; mais cependant l'explosion avait eu lieu dans la batterie de six pièces placée sur la gauche de la courtine, et avait causé de cruels ravages dans une partie de la division La Motterouge, établie sur cet emplacement; un grand nombre d'hommes furent tués ou blessés grièvement. Le général de La Motterouge lui-même fut presque enterré sous les décombres, et eut les yeux cruellement atteints.

Il est facile de comprendre la confusion que jeta cet événement soudain parmi les troupes frappées; de tous côtés, au milieu des terres renversées, se traînaient des hommes affreusement mutilés; les mourants appelaient à leur secours avec des cris d'agonie, et les débris des compagnies cherchaient de côté et d'autre un sol qui ne tremblât point sous leurs pas. Quelques soldats, la tête perdue par la commotion, revenaient en courant vers nos tranchées; on pouvait craindre que les Russes ne profitassent de ce premier moment de désordre inévitable pour tenter contre nous un retour of

fensif.

Le général Dulac et les officiers qui l'entourent sor

tent de la tranchée, l'épée à la main; de tous côtés les bataillons se forment; le commandant Janingros des voltigeurs de la garde, qui se portait vers la droite avec son bataillon, pour être tête de colonne d'une nouvelle attaque contre le petit Redan, comprend aussitôt toute la gravité de la situation; il n'hésite pas, et, s'élançant avec tout son bataillon, il rallie à lui les compagnies confuses, qu'il ramène résolûment sur la courtine.

A quelle cause devait-on attribuer l'événement qui venait de se produire? le feu avait-il été communiqué par les Russes aux poudres de la batterie, au moyen de fils électriques, ou bien ne fut-ce que le résultat d'un accident provenant des gabions et des fascines qui presque partout étaient enflammés? on ne pouvait le savoir.

Toutefois cette explosion devait porter un avertissement, et le général en chef, craignant que ce ne fût le commencement d'un système de destruction combiné par l'ennemi, voyant, en outre, que le bataillon de voltigeurs avait été forcément détourné de la destination qui lui avait été assignée, envoya l'ordre de se maintenir dans les positions occupées, et de ne faire sur le petit Redan aucune nouvelle tentative. La conquête du bastion Malakoff était un fait considérable dont il fallait attendre les importants résultats.

L'événement ne tarda pas à prouver combien cette prévision avait été sage et prudente.

En effet, le général de Martimprey, chef d'état-major

du général en chef, signalait de la redoute Brancion dans l'armée ennemie, du côté du pont, des mouvements qui semblaient indiquer qu'elle commençait à évacuer la ville; mais ce n'était encore qu'une espé.. rance, car le canon grondait toujours avec une extrême violence.

CXI. La nuit approchait; et, après tant d'attaques furieuses, tant de luttes opiniâtres, le feu mollissait des deux côtés, suivant, pour ainsi dire, la gradation des premières obscurités, qui du ciel descendaient sur la terre pour mettre un terme à cette journée de sanglant combat.

En même temps que toutes les dispositions étaient prises pour activer l'enlèvement des blessés, les différents corps se ralliaient dans les tranchées et se reformaient avec ordre, prévoyant le cas où les Russes tenteraient, par surprise, de reprendre leurs positions. Huit mortiers à la Cohorn furent portés à bras dans Malakoff, et le général de Mac-Mahon fit fouiller par des bombes tous les terrains avoisinants, où les réserves russes auraient pu se masser à la faveur de l'obscurité, pendant que le génie travaillait sans relâche à préparer un passage sur les fossés, pour amener de l'artillerie de campagne (1).

La nuit était calme; les bourrasques de vent qui

(1) Huit pièces de 12 de l'artillerie de la garde impériale étaient en batterie bien avant le jour, et prêtes à ouvrir leur feu, ainsi que plusieurs pièces russes que l'on avait pu utiliser.

s'étaient succédées presque sans interruption pendant le jour, étaient apaisées; partout le silence qu'interrompaient seulement quelques coups de fusil et le sifflement régulier d'un petit nombre de bombes et d'obus, qui traçaient dans les ténèbres leurs sillons lumineux. Tout à coup le ciel sombre s'éclaira d'une vive lueur, et une nouvelle explosion terrible, épouvantable, fit frémir le sol, bouleversé dans ses entrailles; à celle-là succéda une seconde presque sans interruption.batteries de la Maison en croix et du petit Redan venaient de sauter. Fort heureusement, nous n'avions laissé qu'un petit nombre de soldats en observation derrière les parapets de ce dernier ouvrage. Ces soldats avaient entretenu perpétuellement un feu de tirailleurs avec l'ennemi et ne s'étaient point aperçus de sa retraite.

Les

L'œuvre de destruction commençait et indiquait clairement que les Russes ne songeaient plus à défendre les positions extrêmes.

Ainsi donc une portion de la Courtine avait sauté; des explosions successives avaient bouleversé le petit Redan et les batteries de la Maison en croix; et si le réduit de Malakoff n'ensevelissait pas sous ses décombres nos colonnes victorieuses, c'était la volonté du ciel qui l'avait empêché, c'était la main de Dieu qui nous avait protégés.

CXII.

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L'événement auquel plusieurs milliers d'hommes doivent leur salut mérite d'être raconté.

Dès le début de l'attaque, un officier russe s'était jeté avec une soixantaine d'hommes environ dans le kourgane Malakoff, dont il n'avait été conservé, nous l'avons dit, que le rez-de-chaussée crénelé et recouvert d'un solide abri. Par les embrasures de cette petite forteresse, ces soldats entretenaient à bout portant contre nos troupes une fusillade meurtrière; car l'espace était restreint, et le passage par lequel les compagnies se pressaient pour soutenir l'attaque était très-étroit. Les hommes et les officiers tombaient, décimés par ce feu invisible.

Lorsque la première confusion de l'attaque fut passée, et que l'on put se reconnaître et se compter, le général de Mac-Mahon ordonna à son chef du génie d'entourer la tour de fascines enflammées, afin d'aveugler les Russes par la fumée, et de les mettre dans l'impossibilité de continuer leur feu. Mais, à peine les flammes entourèrent-elles le kourgane, l'enveloppant déjà d'un cercle de feu, que le général réfléchit tout à coup que l'incendie pouvait gagner la tour et amener une explosion des magasins à poudre; aussitôt il prescrit d'éteindre le feu en toute hâte, et fait connaître à l'officier que le bastion nous appartient, que toute résistance de sa part est inutile, et que la prolonger serait exposer inutilement, lui et ses hommes, à une mort certaine. Le combat était impossible; le brave officier russe, qui avait si énergiquement résisté depuis le commencement de l'attaque, consentit à se rendre.

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