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la Tchernaïa, avait dû aussi s'apercevoir que les mêmes difficultés n'existaient pas du côté d'Inkermann, où se trouvait seulement une portion de l'armée anglaise, qu'aucun ouvrage sérieux de défense ne protégeait contre un coup de main hardi.

Ce n'était pas, sans qu'on en eût connaissance, que les Russes renforçaient en artillerie, cavalerie et infanterie le corps d'armée qu'ils avaient dans la vallée de la Tchernaïa; mais toutes les craintes de lord Raglan étaient portées vers Balaclava (1), toutes les appréhensions du général Canrobert et du général Bosquet, au contraire, vers Inkermann. Souvent ce dernier en avait parlé au duc de Cambridge, à sir De Lacy Evans

(1)

Dépêche de lord Raglan, 3 novembre 1854.

L'ennemi a renforcé le corps qu'il avait dans la vallée de la Tchernaïa, et s'est étendu à gauche, où il a occupé non-seulement le village de Kamara, mais les hauteurs qui le dominent, et poussé des avant-postes et même des colonnes vers notre extrême droite. Par suite de ces mouvements, j'ai placé autant d'hommes, qu'il en reste de disponibles, sur la hauteur abrupte qui est de ce côté, pour empêcher toute tentative d'attaque de Balaclava du côté de la mer; et la ligne entière est couverte par un parapet construit par la brigade des highlanders, par les soldats de marine et par les Turcs, de manière à garder cette position. Cependant on élève une forte redoute en face de la gorge qui conduit à Balaclava; elle est sur les hauteurs qui sont en arrière, et complète la position défendue par les troupes que commande sir Colin Campbell.

« Plus à gauche, et dans une position plus élevée, se trouve une brigade de la 1re division, commandée par le général Vinoy, prête à se porter au secours de toute position anglaise qui serait attaquée, et reliant les troupes qui sont dans la vallée à celles qui occupent les hauteurs du plateau aussi toutes les mesures ont été prises pour couvrir ce point important; mais je ne dissimulerai pas à Votre Grâce que j'aurais préféré pouvoir faire occuper plus fortement cette position.

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et à sir George Cathcart; et l'on a vu, le 26 octobre, avec quelle rapidité il avait envoyé ses troupes sur ce point, au premier bruit d'attaque (1).

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XXXIII. Toute la nuit du 4 au 5 novembre, nous l'avons dit, avait été pluvieuse; et un de ces jours.

(1) C'est sur le terrain où se sont livrées les actions du 25 octobre et du 5 novembre que se présentaient toutes les difficultés de la situation. L'étude de la topographie locale est importante.

« Cette ligne ou cette portion de terrain, divisée dans la presque totalité de son parcours, par la vallée étroite mais profonde de la Tchernaïa, est défendue vers l'ouest, c'est-à-dire de notre côté, par des hauteurs escarpées, dont le gravissement offre les plus grandes difficultés, et de plus par nos soldats, ainsi que par des redoutes et des tranchées.

« A ces deux extrémités, cette fortification, que présente la nature même du sol, faiblit légèrement.

« A l'extrémité sud sont les villages de Kamara et de Kadikeuï, au point de rencontre où les routes de Batchi-Seraï et de Balaclava se confondent; une grande dépression de terrain, produite d'un côté par le cours de la Tchernaïa, de l'autre par des dépressions successives du sol, forme une plaine qui présente la figure d'un losange allongé. C'est dans cette plaine, appelée de la Tchernaïa ou de Balaclava, à cause de la proximité de ce fort, qu'a eu lieu l'action du 25. De tous côtés, des mamelons échelonnés le commandent, et sur les hauteurs qui les contournent, sont campées les divisions françaises et anglaises.

« A l'autre extrémité de la ligne occupée par l'armée alliée, au point où la Tchernaïa vient tomber dans la baie de Sébastopol, en avant des collines cù se développent nos travaux d'approche, et à l'extrême droite des positions anglaises, se prolongent des pentes qui vont rejoindre le niveau de la mer en s'abaissant progressivement. Ces escarpements abrupts et décharnés qui dans certaines parties encaissent, pour ainsi dire, le cours de la Tchernaïa, ne conservent pas la même hauteur; de leur affaissement, résulte une étendue de terrain coupée par des ravins inégaux, et à travers lequel l'armée ennemie, appuyée par la place, peut essayer d'attaquer et d'envahir nos lignes. C'est par là que les Russes sont arrivés le 5 novembre, gravissant un des contreforts sur lesquels était campée l'armée anglaise.

tristes et sombres, que le soleil semble éclairer à regret, lui avait succédé.

Pendant cette nuit brumeuse, où les grand'gardes et les sentinelles avancées, transpercées par la pluie, engourdies par le froid, devaient exercer une surveillance moins sûre, les différents corps ennemis prenaient leurs positions respectives: celui du général Liprandi sur Balaclava, celui du général Dannenberg sur Inkermann; les troupes du général Timofeïff dans l'intérieur de la place, étaient prêtes à se lancer et à envahir les travaux de l'attaque française.

La marche de ces différents corps était protégée par l'obscurité la plus intense et par les raffales de vent qui s'engouffraient dans les ravins; toutefois il était audacieux et pénible de faire gravir à des batteries d'artillerie les âpres hauteurs qui dominent la vallée d'Inkermann.

Quelques sentinelles avaient entendu vaguement un bruit qui semblait partir du fond de la vallée et du flanc des collines, elles le signalèrent aux chefs des détachements placés aux avant-postes : ceux-ci l'attribuèrent à des chariots de munitions et à des arabas qui très-souvent profitaient de la nuit, pour entrer dans Sébastopol.

Nos alliés ont déployé une assez grande valeur et un courage assez héroïque pour qu'il soit permis ici de dire toute la vérité.

Chacun avait compris le danger qu'offrait le plateau d'Inkermann, perpétuellement exposé à une surprise.

Le général sir De Lacy Evans en avait fait l'observation. Nous l'avons dit plus haut, le général en chet et le général Bosquet avaient aussi été frappés des dangers de la position; car la hauteur où campait l'armée anglaise était la seule accessible, la seule où l'ennemi pût amener du canon et essayer de pénétrer; mais l'attaque du 26 octobre, victorieusement repoussée, avait doublé la confiance de nos alliés. Épuisés, il faut le dire, par les travaux du siége, ils avaient négligé ou retardé, faute de bras, d'élever des défenses sur ce point, autour duquel se dessinaient un certain nombre de ravins à courbes inégales, qui pouvaient facilement conduire à son sommet. A l'aide de sacs à terre, de gabions, de fascines, une sorte de redoute avait seulement été construite, du côté de l'est.

XXXIV. Il était près de cinq heures du matin; le brigadier général Codrington venait de visiter les gardes avancées de sa brigade de la division légère. Aucun mouvement de l'ennemi n'avait encore donné l'éveil et fait soupçonner sa présence; cependant il s'avançait déjà en masses énormes, commençant à escalader les hauteurs, presque à pic, qui commandent la vallée; les pièces d'artillerie étaient prêtes à prendre leurs positions, aussitôt que les premières clartés du jour leur permettraient de se placer et d'assurer la direction de leur tir. Dans le camp anglais au contraire tout était repos et sécurité; les troupes, endormies sous

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leurs tentes, étaient loin de s'attendre à ce réveil imprévu et sanglant.

Le général Codrington venait de s'éloigner, lorsqu'un feu de mousqueterie éclata dans les bas-fonds, dans la direction des postes avancés de la 2° division. Le jour, très faible encore, l'épaisseur du brouillard qui couvrait la terre, rendaient presque invisibles, même à quelques pas de distance, les colonnes russes qui s'approchaient. A peine les premiers postes eurent-ils signalé les masses d'infanterie apparaissant sur plusieurs points à la fois, qu'ils furent obligés de se replier devant un feu très-vif qui les assaillit tout à coup; mais ils n'abandonnèrent le terrain. que pas à pas et brûlant jusqu'à leur dernière cartouche.

En même temps le corps du général Liprandi commençait sa démonstration du côté de Balaclava, et déployait dans la vallée, derrière le manteau de brouillard qui enveloppait encore le terrain, son infanterie et sa cavalerie, soutenues par une artillerie nombreuse.

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XXXV. L'action était engagée. Les premiers coups de feu avaient été entendus des camps de la 2o division française la plus rapprochée des Anglais. Aussitôt le général Bosquet s'élance à cheval. Par son ordre on sonne la générale; toute la division prend les armes. L'ennemi se montre sur trois points du côté des ponts d'Inkermann en face de la droite du corps d'observation des Anglais, dans la plaine de la Tchernaïa,

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