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gers et quatre bergères vinrent danser une très belle entrée, à laquelle les Faunes, descendant de l'arbre, se mêlèrent de temps en temps. Les bergers étoient, les sieurs Chicanneau, du Pron, Noblet, La Pierre; les bergères étoient, les sieurs Balthasard, Magny, Arnald, Bonard.

Toute cette scène fut si grande, si remplie et si agréable,. qu'il ne s'étoit encore rien vu de plus beau en ballet; aussi fit-elle une si avantageuse conclusion aux divertissemens de ce jour, que toute la cour ne le loua pas moins que celui qui l'avoit précédé, se retirant avec une satisfaction qui lui fit bien espérer de la suite d'une fête si complète.

TROISIÈME JOURNÉE.

SUITE ET CONCLUSION DES PLAISIRS DE L'ILE ENCHANTÉE.

PLUS

LUS on s'avançoit vers le grand rond d'eau, qui représentoit le lac sur lequel étoit autrefois bâti le palais d'Alcine, plus on s'approchoit de la fin des divertissemens de l'Ile Enchantée, comme s'il n'eût pas été juste que tant de braves chevaliers demeurassent plus long-temps dans une oisiveté qui eût fait tort à leur gloire.

On feignoit donc, suivant toujours le premier dessein, que le ciel ayant résolu de donner la liberté à ces guerriers, Alcine en eut des pressentimens qui la remplirent de terreur et d'inquiétudes. Elle voulut apporter tous les remèdes possibles pour prévenir ce malheur, et fortifier en toutes manières un lieu qui pût renfermer tout son repos et sa joie.

On fit paroître sur ce rond d'eau, dont l'étendue et la forme sont extraordinaires, un rocher situé au milieu d'une île couverte de divers animaux, comme s'ils eussent voulu en défendre l'entrée.

Deux autres îles plus longues, mais d'une moindre largeur, paroissoient aux deux côtés de la première; et toutes trois, aussi-bien que les bords du rond d'eau, étoient si fort éclairées, que ces lumières faisoient naître un nouveau jour dans l'obscurité de la nuit.

Leurs Majestés étant arrivées, n'eurent pas plus tôt pris leurs places, que l'une des deux îles qui paroissoient aux côtés de la première, fut toute couverte de violons fort bien vêtus. L'autre, qui étoit opposée, le fut en même temps

de trompettes et de timballiers, dont les habits n'étoient pas moins riches.

Mais ce qui surprit davantage, fut de voir sortir Alcine de derrière un rocher, portée par un monstre marin d'une 'grandeur prodigieuse.

Deux des nymphes de sa suite, sous les noms de Célie et de Dircé, parurent au même temps à sa suite; et se mettant à ses côtés sur de grandes baleines, elles s'approchèrent du bord du rond d'eau; et Alcine commença des vers, auxquels ses compagnes répondirent, et qui furent à la louange de la reine, mère du roi.

ALCINE, CÉLIE, DIRCÉ.

ALCINE.

Vous à qui je fis part de ma félicité,
Pleurez avecque moi dans cette extrémité.

CÉLIE.

Quel est donc le sujet des soudaines alarmes

Qui de vos yeux charmans font couler tant de larmes?

ALCINE.

Si je pense en parler, ce n'est qu'en frémissant.
Dans les sombres horreurs d'un songe menaçant,
Un spectre m'avertit, d'une voix éperdue,
Que pour moi des enfers la force est suspendue,
Qu'un céleste pouvoir arrête leur secours,
Et que ce jour sera le dernier de mes jours.

Ce que versa de triste au point de ma naissance
Des astres ennemis la maligne influence,
Et tout ce que mon art m'a prédit de malheurs,
En ce songe fut peint de si vives couleurs,
Qu'à mes yeux éveillés sans cesse il représente
Le pouvoir de Mélisse, et l'heur de Bradamante.
J'avois prévu ces maux; mais les charmans plaisirs
Qui sembloient en ces lieux prévenir nos désirs,
Nos superbes palais, nos jardins, nos campagnes,
L'agréable entretien de nos chères compagnes,
Nos jeux et nos chansons, les concerts des oiseaux,

Le parfum des zéphyrs, le murmure des eaux,
De nos tendres amours les douces aventures,
M'avoient fait oublier ces funestes augures,
Quand le songe cruel dont je me sens troubler,
Avec tant de fureur les vint renouveler.

Chaque instant, je crois voir mes forces terrassées,
Mes gardes égorgés, et mes prisons forcées;

Je crois voir mille amans, par mon art transformés,

D'une égale fureur à ma perte animés,

Quitter, en même temps, leurs troncs et leurs feuillages,
Dans le juste dessein de venger leurs outrages;

Et je crois voir enfin mon aimable Roger,
De ses fers méprisés prêt à se dégager.

CÉLIE.

La crainte en votre esprit s'est acquis trop d'empire.
Vous régnez seule ici, pour vous seule on soupire;
Rien n'interrompt le cours de vos contentemens,
Que les accens plaintifs de vos tristes amans;
Logistille et ses gens, chassés de nos campagnes,
Tremblent encor de peur, cachés dans leurs montagnes;
Et le nom de Mélisse, en ces lieux inconnu,
Par vos augures seuls jusqu'à nous est venu.

DIRCÉ.

Ah! ne nous flattons point. Ce fantôme effroyable
M'a tenu cette nuit un discours tout semblable.

ALCINE.

Hélas! de nos malheurs qui peut encor douter?

CÉLIE.

J'y vois un grand remède et facile à tenter;
Une reine paroît, dont le secours propice
Nous saura garantir des efforts de Mélisse.
Partout de cette reine on vante la bonté;
Et l'on dit que son cœur, de qui la fermeté
Des flots les plus mutins méprisa l'insolence,
Contre es vœux des siens est toujours sans défense.

ALCINE.

Il est vrai, je la vois. En ce pressant danger,

A nous donner secours tâchons de l'engager.
Disons-lui qu'en tous lieux la voix publique étale
Les charmantes beautés de son âme royale;
Disons que sa vertú, plus haute que son rang,
Sait relever l'éclat de son auguste sang,
Et que de notre sexe elle a porté la gloire

Si loin, que l'avenir aura peine à le croire;
Que du bonheur public son grand cœur amoureux
Fit toujours des périls un mépris généreux;
Que de ses propres maux son âme à peine atteinte,
Pour les maux de l'état garda toute sa crainte.
Disons que ses bienfaits, versés à pleines mains,
Lui gagnent le respect et l'amour des humains,
Et qu'aux moindres dangers dont elle est menacée,
Toute la terre en deuil se montre intéressée.
Disons qu'au plus haut point de l'absolu pouvoir,
Sans faste et sans orgueil, sa grandeur s'est fait voir;
Qu'aux temps les plus fâcheux, sa sagesse constante,
Sans crainte a soutenu l'autorité penchante,
Et dans le calme heureux par ses travaux acquis,
Sans regret, la remit dans les mains de son fils,
Disons par quels respects, par quelle complaisance,
De ce fils glorieux l'amour la récompense.
Vantons les longs travaux, vantons les justes lois
De ce fils reconnu pour le plus grand des rois.
Et comment cette mère, heureusement féconde,
Ne donnant que deux fils, a donné tant au monde.
Enfin, faisons parler nos soupirs et nos pleurs,
Pour la rendre sensible à nos vives douleurs;
Et nous pourrons trouver au fort de notre peine
Un refuge paisible aux pieds de cette reine.

DIRCÉ.

Je sais bien que son cœur, noblement généreux,
Écoute
avec plaisir la voix des malheureux;
Mais on ne voit jamais éclater sa puissance,
Qu'à repousser le tort qu'on fait à l'innocence,
Je sais qu'elle peut tout; mais je n'ose penser
Que jusqu'à nous défendre on la vît s'abaisser,
De nos douces erreurs elle peut être instruite,

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