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Toute la cour s'étant placée sur une balustrade de fer doré qui régnoit autour de l'agréable maison de Versailles, et qui regarde sur le fossé, dans lequel on avoit dressé la lice avec des barrières, le roi s'y rendit, suivi des mêmes chevaliers qui avoient couru la bague; les ducs de SaintAignan et de Noailles y continuant leurs premières fonctions, l'un de maréchal de camp, et l'autre de juge des courses. Il s'en fit plusieurs fort belles et heureuses; mais l'adresse du roi lui fit emporter hautement, ensuite du prix de la course des dames, encore celui que donnoit la reine. C'étoit une rose de diamans de grand prix, que le roi, après l'avoir gagnée, redonna libéralement à courre aux autres chevaliers, et que le marquis de Coaslin disputa contre le marquis de Soyecourt, et gagna.

CINQUIÈME JOURNÉE.

Le dimanche, au lever du roi, quasi toute la conversation tourna sur les belles courses du jour précédent, et donna lieu à un grand défi entre le duc de Saint-Aignan, qui n'avoit point encore couru, et le marquis de Soyecourt, qui fut remis au lendemain, pour ce que le maréchal duc de Grammont, qui parioit pour ce marquis, étoit obligé de partir pour Paris, d'où il ne devoit revenir que le jour d'après.

Le roi mena toute la cour cette après-dînée, à sa ménagerie, dont on admira les beautés particulières, et le nombre presque incroyable d'oiseaux de toutes sortes, parmi lesquels il y en a beaucoup de fort rares. Il seroit inutile de parler de la collation qui suivit ce divertissement, puisque, huit jours durant, chaque repas pouvoit passer pour un festin des plus grands qu'on puisse faire.

Le soir, sa majesté fit représenter, sur l'un de ces théâtres doubles de son salon, que son esprit universel a luimême inventés, la comédie des Fácheux, faite par le sieur Molière, mêlée d'entrées de ballet, et fort ingénieuse.

SIXIÈME JOURNÉE.

Le bruit du défi qui se devoit courir le lundi, douzième, fit faire une infinité de gageures d'assez grande valeur, quoique celle des deux chevaliers ne fût que de cent pistoles; et comme le duc, par une heureuse audace, donnoit une tête à ce marquis fort adroit, beaucoup tenoient pour ce dernier, qui, s'étant rendu un peu plus tard chez le roi, y trouva un cartel pour le presser, lequel, pour n'être qu'en prose, on n'a point mis en ce discours.

Le duc de Saint-Aignan avoit aussi fait voir à quelquesuns de ses amis, comme un heureux présage de sa victoire, ces quatre vers:

AUX DAMES.

BELLES, vous direz en ce jour,
Si vos sentimens sont les nôtres,
Qu'être vainqueur du grand Soyecourt,
C'est être vainqueur de dix autres :

faisant toujours allusion à son nom de Guidon le sauvage, que l'aventure de l'Ile périlleuse rendit victorieux de dix chevaliers. Aussitôt que le roi eut dîné, il conduisit les reines, Monsieur, Madame, et toutes les dames, dans un lieu où l'on devoit tirer une loterie, afin que rien ne manquât à la galanterie de ces fêtes. C'étoit des pierreries, des ameublemens, de l'argenterie, et autres choses semblables; et, quoique le sort ait accoutumé de décider de ces présens,

il s'accorda sans doute avec le désir de Sa Majesté, quand il fit tomber le gros lot entre les mains de la reine; chacun sortant de ce lieu-là fort content, pour aller voir les courses qui s'alloient commencer.

Enfin Guidon et Olivier parurent sur les rangs, à cinq heures du soir, fort proprement vêtus et bien montés.

Le roi, avec toute la cour, les honora de sa présence; et Sa Majesté lut même les articles des courses, afin qu'il n'y eût aucune contestation entre eux. Le succès en fut heureux au duc de Saint-Aignan, qui gagna le défi.

Le soir, Sa Majesté fit jouer les trois premiers actes d'une comédie nommée Tartufe, que le sieur Molière avoit faite contre les hypocrites; mais quoiqu'elle eût été trouvée fort divertissante, le roi connut tant de conformité entre ceux qu'une véritable dévotion met dans le chemin du ciel, et ceux qu'une vaine ostentation des bonnes œuvres n'empêche pas d'en commettre de mauvaises, que son extrême délicatesse pour les choses de la religion eut de la peine à souffrir cette ressemblance du vice avec la vertu; et quoiqu'on ne doutât point des bonnes intentions de l'auteur, il défendit cette comédie pour le public, jusqu'à ce qu'elle fût entièrement achevée et examinée par des gens capables d'en juger, pour n'en pas laisser abuser à d'autres moins capables d'en faire un juste discernement.

SEPTIÈME JOURNÉE.

gagner

Le mardi, treizième, le roi voulut encore courre les têtes comme à un jeu ordinaire que devoit celui qui en feroit le plus. Sa Majesté eut encore le prix de la course des dames, le duc de Saint-Aignan celui du jeu; et, ayant eu l'honneur d'entrer pour le second à la dispute avec Sa Majesté, l'adresse incomparable du roi lui fit encore avoir ce prix ; et ce ne fut pas sans un étonnement, duquel on ne pouvoit se défendre, qu'on en vit gagner quatre à Sa Majesté en deux fois qu'elle avoit couru les têtes.

On joua le même soir la comédie du Mariage forcé, encore de la façon du même sieur Molière, mêlée d'entrées de ballet et de récits; puis le roi prit le chemin de Fontainebleau le mercredi, quatorzième. Toute la cour se trouva si satisfaite de ce qu'elle avoit vu, que chacun crut qu'on ne pouvoit se passer de le mettre par écrit, pour en donner la connoissance à ceux qui n'avoient pu voir des fêtes si diversifiées et si agréables, où l'on a pu admirer tout à la fois le projet avec le succès, la libéralité avec la politesse, le grand nombre avec l'ordre et la satisfaction de tous; où les soins infatigables de monsieur Colbert s'employèrent en tous ces divertissemens malgré ses importantes affaires; où le duc de Saint-Aignan joignit l'action à l'invention du dessein; où les beaux vers du président de Périgny, à la louange des reines, furent si justement pensés, si agréablement tournés, et récités avec tant d'art; où ceux que monsieur de Benserade fit pour les chevaliers eurent une approbation générale; où la vigilance exacte de monsieur Bontemps, et l'application de monsieur de Launay, ne laissèrent manquer

d'aucune des choses nécessaires; enfin, où chacun a marqué si avantageusement son dessein de plaire au roi dans le temps où Sa Majesté ne pensoit elle-même qu'à plaire, et où ce qu'on a vu ne sauroit jamais se perdre dans la mémoire des spectateurs, quand on n'auroit pas pris le soin de conserver par écrit le souvenir de toutes ces merveilles.

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