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SGANARELLE.

Fort bonne. Mais, par exemple, de vous voir tous les mois vous marier comme vous faites.

D. JUAN.

Y a-t-il rien de plus agréable?

SGANARELLE.

Il est vrai. Je conçois que cela est fort agréable et fort divertissant, et je m'en accommoderois assez, moi, s'il n'y avoit point de mal; mais, monsieur, se jouer ainsi du mariage, qui....

D. JUAN.

Va, va, c'est une affaire que je saurai bien démêler, sans que tu t'en mettes en peine.

SGANARELLE.

Ma foi, monsieur, vous faites une méchante raillerie.

D. JUAN.

Holà, maître sot! Vous savez que je vous ai dit que je n'aime pas les faiseurs de remontrances.

SGANARELLE.

Je ne parle pas aussi à vous; Dieu m'en garde! Vous savez ce que vous faites, vous, et, si vous êtes libertin, vous avez vos raisons; mais il y a de certains petits impertinens dans le monde qui le sont sans savoir pourquoi, qui font les esprits forts, parce qu'ils croient que cela leur sied bien; et, si j'avois un maître comme cela, je lui dirois nettement, le regardant en face : C'est bien à vous, petit ver de terre, petit mirmidon que vous êtes (je parle au maître

que j'ai dit); c'est bien à vous à vouloir vous mêler de tourner en raillerie ce que tous les hommes révèrent! Pensez-vous que pour être de qualité, pour avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre chapeau, un habit bien doré, et des rubans couleur de feu (ce n'est pas à vous que je parle, c'est à l'autre); pensez-vous, dis-je, que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit permis, et qu'on n'ose vous dire vos vérités? Apprenez de moi, qui suis votre valet, que les libertins ne font jamais une bonne fin, et que....

D. JUAN.

Paix.

SGANARELLE.

De quoi est-il question?

D. JUAN.

Il est question de te dire qu'une beauté me tient au cœur, et qu'entraîné par ses appas, je l'ai suivie jusqu'en cette ville.

SGANARELLE.

Et ne craignez-vous rien, monsieur, de la mort de ce commandeur que vous tuâtes il y a six mois?

D. JUAN.

Et pourquoi craindre? Ne l'ai-je pas bien tué?

SGANARELLE.

Fort bien, le mieux du monde, et il auroit tort de se plaindre.

D. JUAN.

J'ai eu ma grâce de cette affaire.

SGANARELLE.

Oui; mais cette grâce n'éteint pas peut-être le ressentiment des parens et des amis, et....

D. JUAN.

Ah! n'allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons seulement à ce qui peut donner du plaisir. La personne dont je te parle est une jeune fiancée, la plus agréable du monde, qui a été conduite ici par celui même qu'elle y vient épouser, èt le hasard me fit voir ce couple d'amans trois ou quatre jours avant leur voyage. Jamais je n'ai vu deux personnes être si contentes l'une de l'autre, et faire éclater plus d'amour. La tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l'émotion; j'en fus frappé au cœur, et mon amour commença par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir d'abord de les voir si bien ensemble; le dépit alluma mes désirs, et je me figurai un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligence, et rompre cet attachement, dont la délicatesse de mon cœur se tenoit offensée; mais, jusques ici tous mes efforts ont été inutiles, et j'ai recours au dernier remède. Cet époux prétendu doit aujourd'hui régaler sa maîtresse d'une promenade sur mer. Sans t'en avoir rien dit, toutes choses sont préparées pour satisfaire mon amour, et j'ai une petite barque, et des gens, avec quoi, fort facilement, je prétends enlever la belle.

SGANARELLE.

Ah! monsieur....

D. JUAN.

Hé?

SGANARELLE.

C'est fort bien fait à vous, et vous le prenez comme il faut. Il n'est rien tel en ce monde que de se con

tenter.

D. JUAN.

Prépare-toi donc à venir avec moi, et prends soin toi-même d'apporter toutes mes armes, afin que.... (apercevant done Elvire.) Ah! rencontre fâcheuse. Traître, tu ne m'avois pas dit qu'elle étoit ici elle-même.

SGANARELLE.

Monsieur, vous ne me l'avez pas

D. JUAN.

demandé.

Est-elle folle, de n'avoir pas changé d'habit, et de venir en ce lieu-ci avec son équipage de campagne ?

SCÈNE III.

DONE ELVIRE, DON JUAN, SGANARELLE.

D. ELVIRE.

ME ferez-vous la grâce, don Juan, de vouloir bien me reconnoître? Et puis-je au moins espérer que vous daigniez tourner le visage de ce côté?

D. JUAN.

Madame, je vous avoue que je suis surpris, et que je ne vous attendois pas ici.

D. ELVIRE.

Oui, je vois bien que vous ne m'y attendiez pas; et vous êtes surpris, à la vérité, mais tout autrement que je ne l'espérois; et la manière dont vous le

paroissez, me persuade pleinement ce que je refusois de croire. J'admire ma simplicité, et la foiblesse de mon cœur, à douter d'une trahison que tant d'apparences me confirmoient. J'ai été assez bonne, je le confesse, ou plutôt assez sotte, pour me vouloir tromper moi-même, et travailler à démentir mes yeux et mon jugement. J'ai cherché des raisons pour excuser à ma tendresse le relâchement d'amitié qu'elle voyoit en vous, et je me suis forgé exprès cent sujets légitimes d'un départ si précipité, pour vous justifier du crime dont ma raison vous accusoit. Mes justes soupçons chaque jour avoient beau me parler, j'en rejetois la voix qui vous rendoit criminel à mes yeux, et j'écoutois avec plaisir mille chimères ridicules, qui vous peignoient innocent à mon cœur; mais enfin, cet abord ne me permet plus de douter, et le coup d'œil qui m'a reçue, m'apprend bien plus de choses que je ne voudrois en savoir. Je serai bien aise pourtant d'ouïr de votre bouche les raisons de votre départ. Parlez, don Juan, vous prie, et voyons de quel air vous saurez vous justifier.

D. JUAN.

je

Madame, voilà Sganarelle qui sait pourquoi je suis parti.

SGANARELLE, bas, à don Juan.

Moi, monsieur? je n'en sais rien, s'il vous plaît.

D. ELVIRE.

Eh bien! Sganarelle, parlez. Il n'importe de quelle bouche j'entende ses raisons.

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