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gliau, et qui venoit comme envars nous par secousse. Je voyois cela fixiblement, pis tout d'un coup je voyois que je ne voyois plus rian. Hé! Lucas, ç'ai-je fait, je pense que vlà des hommes qui nagiant là-bas. Voire, ce m'a-t-il fait, t'as été au trépassement d'un chat, t'as la vue trouble. Parsanguienne, ç'ai-je fait, je n'ai point la vue trouble, ce sont des hommes. Point du tout, ce m'a-t-il fait, t'as la barlue. Veuxtu gager, ç'ai-je fait, que je n'ai point la barlue, ç'ai-je fait, et que ce sont deux hommes, ç'ai-je fait, qui nagiant droit ici? ç'ai-je fait. Morguienne, ce m'at-il fait, je gage que non. Oh ça, ç'ai-je fait, veux-tu gager dix sols que si? Je le veux bian, ce m'a-t-il fait, et pour te montrer, vlà argent su jeu, ce m'at-il fait. Moi, je n'ai point été ni fou, ni étourdi, j'ai bravement bouté à tarre quatre pièces tapées, et cinq sols en double, jerniguienne, aussi hardiment que si j'avois avalé un varre de vin; car je sis hasardeux moi, et je vas à la débandade. Je savois bian ce que je faisois pourtant. Queuque gniais ! Enfin donc, je n'avons pas putôt eu gagé, que j'avons vu les deux hommes tout à plain, qui nous faisiant signe de les aller querir, et moi de tirer les enjeux. Allons, Lucas, ç'ai-je dit, tu vois bian qu'ils nous appelont; allons vite à leu secours. Non, ce m'a-t-il dit, ils m'ont fait pardre. Oh donc, tanquia, qu'à la parfin, pour le faire court, je l'ai tant sarmonné, que je nous sommes boutés dans une barque, et pis j'avons tant fait cahin caha, que je les avons tirés de gliau, et pis je les avons menés cheux nous auprès du feu,

et pis ils se sant dépouillés tout nus pour se sécher, et pis il y en est venu encore deux de la même bande, qui s'équiant sauvés tout seuls, et pis Mathurine est arrivée là à qui l'en a fait les doux yeux. Vlà justement, Charlotte, comme tout ça s'est fait.

CHARLOTTE.

Ne m'as-tu pas dit, Piarrot, qu'il y en a un qu'est pu mieux fait que les autres ?

bien

PIERROT.

Oui, c'est le maître. Il faut que ce soit queuque gros monsieu, car il a du dor à son habit tout depis le haut jusqu'en bas, et ceux qui le servent sont des monsieux eux-mêmes; et stapendant, tout gros monsieu qu'il est, il seroit par ma fiqué nayé si je n'avionne été là.

Ardez un peu.

CHARLOTTE.

PIERROT.

Oh, parguienne, sans nous, il en avoit pour sa

maine de féves.

CHARLOTTE.

Est-il encore cheux toi tout nu, Piarrot?

PIERROT.

Nannain, ils l'avont r'habillé tout devant nous. Mon guieu, je n'en avois jamais vu s'habiller. Que d'histoires et d'engingorniaux boutont ces messieuxlà les courtisans ! Je me pardrois là-dedans, pour moi, et j'étois tout ébobi de voir ça. Quien, Charlotte, ils avont des cheveux qui ne tenont point à leu tête; et ils boutont ça, après tout, comme un

gros bonnet de filasse. Ils ant des chemises qui ant des manches où j'entrerions tout brandis toi et moi. En glieu d'haut-de-chausse, ils portont un garderobe aussi large que d'ici à Pâques; en glieu de pourpoint, de petites brassières, qui ne leu venont pas jusqu'au brichet, et en glieu de rabats, un grand mouchoir de cou à réziau, aveuc quatre grosses houpes de linge qui leu pendont sur l'estomaque. Ils avont itou d'autres petits rabats au bout des bras, et de grands entonnois de passement aux jambes', et, parmi tout ça, tant de rubans, tant de rubans, que c'est une vraie piquié. Ignia pas jusqu'aux souliers qui n'en soient farcis tout depis un bout jusqu'à l'autre ; et ils sont faits d'eune façon que je me romprois le cou aveuc.

CHARLOTTE.

Par ma fi, Piarrot, il faut que j'aille voir un peu ça.

PIERROT.

Oh, acoute un peu auparavant, Charlotte. J'ai queuque autre chose à te dire, moi.

CHARLOTTE.

Eh bian, di, qu'est-ce que c'est ?

PIERROT.

Vois-tu, Charlotte, il faut, comme dit l'autre, que je débonde mon cœur. Je t'aime, tu le sais bian, et je sommes pour être mariés ensemble; mais marguienne, je ne suis point satisfait de toi.

CHARLOTTE.

Quement! qu'est-ce que c'est donc qu'iglia?

PIERROT.

Iglia que tu me chagraines l'esprit, franchement.

CHARLOTTE.

Et quement donc ?

PIERROT.

Tétiguienne, tu ne m'aimes point.

CHARLOTTE.

Ah, ah, n'est-ce que ça ?

PIERROT.

Oui, ce n'est que ça, et c'est bian assez.

CHARLOTTE.

Mon guieu, Piarrot, tu me viens toujou dire la même chose.

PIERROT.

Je te dis toujou la même chose, parce que c'est toujou la même chose; et si ce n'étoit pas toujou la même chose, je ne te dirois pas toujou la même chose.

CHARLOTTE.

Mais, qu'est-ce qu'il te faut? Que veux-tu ?

PIERROT,

Jerniguienne, je veux que tu m'aimes.

CHARLOTTE.

Est-ce que je ne t'aime pas?

PIERROT.

Non, tu ne me m'aimes pas, et si je fais tout ce que je pis pour ça. Je t'achette, sans reproche, des rubans à tous les marciers qui passont; je me romps le cou à t'aller dénicher des marles; je fais jouer pour toi les vielleux quand ce vient ta fête, et tout

ça comme si je me frappois la tête contre un mur. Vois-tu, ça n'est ni biau ni honnête de n'aimer pas les gens qui nous aimont.

CHARLOTTE.

Mais, mon guieu, je t'aime aussi.

PIERROT.

Oui, tu m'aimes d'une belle dégaîne !

CHARLOTTE.

Quement veux-tu donc qu'on fasse ?

PIERROT.

Je veux que l'en fasse comme l'en fait, quand l'en aime comme il faut.

CHARLOTTE.

Ne t'aimai-je pas aussi comme il faut?

PIERROT.

Non. Quand ça est, ça se voit, et l'en fait mille petites singeries aux parsonnes quand on les aime du bon du cœur. Regarde la grosse Thomasse, comme elle est assottée du jeune Robain, alle est toujou autour de li à l'agacer, et ne le laisse jamais en repos. Toujou alle li fait queuque niche, ou li baille queuque taloche en passant; et l'autre jour qu'il étoit assis sur un escabiau, alle fut le tirer de dessous li, et le fit cheoir tout de son long par tarre. Jarni vlà où l'en voit les gens qui aimont; mais toi, tu ne me dis jamais mot, t'es toujou là comme eune vraie souche de bois; et je passerois vingt fois devant toi, que tu ne te grouillerois pas pour me bailler le moindre coup, ou me dire la moindre chose.

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