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de beautés, et vous n'êtes pas née pour

demeurer

dans un village. Vous méritez, sans doute, une meilleure fortune; et le ciel, qui le connoît bien, m'a conduit ici tout exprès pour empêcher ce mariage, et rendre justice à vos charmes; car enfin, belle Charlotte, je vous aime de tout mon cœur, et il ne tiendra qu'à vous que je vous arrache de ce misérable lieu, et que je vous mette dans l'état où vous méritez d'être. Cet amour est bien prompt, sans doute; mais quoi ! c'est un effet, Charlotte, de votre grande beauté, et l'on vous aime autant en un quart d'heure, qu'on feroit une autre en six mois.

CHARLOTTE.

Aussi vrai, monsieu, je ne sais comment faire quand vous parlez. Ce que vous dites me fait aise, et j'aurois toutes les envies du monde de vous croire; mais on m'a toujou dit qu'il ne faut jamais croire les monsieux, et que yous autres courtisans êtes des enjoleux, qui ne songez qu'à abuser les filles..

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Voyez-vous, monsieu, il n'y a pas plaisir à se laisser abuser. Je suis une pauvre paysanne; mais j'ai l'honneur en recommandation, et j'aimerois mieux me voir morte, que de me voir déshonorée.

D. JUAN.

Moi, j'aurois l'âme assez méchante pour abuser

pour

une personne comme vous? Je serois assez lâche vous déshonorer? Non, non, j'ai trop de conscience pour cela. Je vous aime, Charlotte, en tout bien et en tout honneur; et pour vous montrer que je dis vrai, sachez que je n'ai point d'autre dessein que de vous épouser. En voulez-vous un plus grand témoignage? M'y voilà prêt, quand vous voudrez; et je prends à témoin l'homme que voilà, de la parole que je vous donne.

SGANARELLE.

Non, non, ne craignez point. Il se mariera avec vous tant que vous voudrez.

D. JUAN.

Ah, Charlotte! je vois bien que vous ne me connoissez pas encore. Vous me faites grand tort de juger de moi par les autres ; et s'il y a des fourbes dans le monde, des gens qui ne cherchent qu'à abuser des filles, vous devez me tirer du nombre, et ne pas mettre en doute la sincérité de ma foi; et puis votre beauté vous assure de tout. Quand on est faite comme vous, on doit être à couvert de toutes ces sortes de craintes; vous n'avez point l'air, croyezmoi, d'une personne qu'on abuse; et, pour moi, je l'avoue, je me percerois le cœur de mille coups, si j'avois eu la moindre pensée de vous trahir.

CHARLOTTE.

Mon Dieu! je ne sais si vous dites vrai, ou non; mais vous faites que

l'on vous croit.

D. JUAN.

Lorsque vous me croirez, vous me rendrez justice

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assurément, et je vous réitère encore la promesse que je vous ai faite. Ne l'acceptez-vous pas, et ne voulez-vous pas consentir à être ma femme?

CHARLOTTE.

Oui, pourvu que ma tante le veuille.

D. JUAN.

Touchez donc là, Charlotte, puisque vous le voulez bien de votre part.

CHARLOTTE.

Mais au moins, monsieu, ne m'allez pas tromper, je vous prie; il y auroit de la conscience à vous, et vous voyez comme j'y vais à la bonne foi.

D. JUAN.

Comment! il semble que vous doutiez encore de ma sincérité? Voulez-vous que je fasse des sermens épouvantables? Que le ciel.....

CHARLOTTE.

Mon Dieu, ne jurez point; je vous crois.

D. JUAN.

Donnez-moi donc un petit baiser pour gage de

votre parole.

CHARLOTTE.

Oh! monsieu, attendez que je soyons mariés, je vous prie; après ça, je vous baiserai tant que vous voudrez.

D. JUAN.

Eh bien, belle Charlotte, je veux tout ce que vous voulez; abandonnez-moi seulement votre main, et souffrez que par mille baisers, je lui exprime le ravissement où je suis.

SCÈNE III.

DON JUAN, SGANARELLE, PIERROT, CHARLOTTE.

PIERROT, poussant don Juan qui baise la main de Charlotte. TOUT doucement, monsieu, tenez-vous, s'il vous plaît. Vous vous échauffez trop, et vous pourriez gagner la purésie.

D. JUAN, repoussant rudement Pierrot.

Qui m'amène cet impertinent?

PIERROT, se mettant entre don Juan et Charlotte.

Je vous dis qu'ou vous tegniez, et qu'ou ne caressiais point nos accordées.

D. JUAN, repoussant encore Pierrot.

Ah, que de bruit!

PIERROT.

Jerniguienne, ce n'est pas comme ça qu'il faut

pousser les gens.

CHARLOTTE, prenant Pierrot par le bras.

Et laisse-le faire aussi, Piarrot.

PIERROT.

Quement, que je le laisse faire? Je ne veux pas,

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Tétiguienne, parce qu'ous êtes monsieu, vòus viendrez caresser nos femmes à notre barbe? Allezvs-en caresser les vôtres.

Hé?

D. JUAN.

PIERROT.

Hé? (Don Juan lui donne un soufflet.) Tétigué, ne me frappez pas. (Autre soufflet.) Oh, jernigué. (Autre soufflet.) Ventregué. (Autre soufflet.) Palsanguié, morguienne, ça n'est pas bian de battre les gens, et ce n'est pas là la récompense de vs avoir sauvé d'être nayé.

CHARLOTTE.

Piarrot, ne te fäche point.

PIERROT.

Je veux me fâcher; et t'es une vilaine, toi, d'endurer qu'on te cajole.

CHARLOTTE.

Oh, Piarrot, ce n'est pas ce que tu penses. Ce monsieu veut m'épouser, et tu ne dois pas te bouter en colère.

PIERROT.

Quement! jerni tu m'es promise.

CHARLOTTE.

Ça n'y fait rian, Piarrot, Si tu m'aimes, ne dois-tu pas être bien aise que je devienne madame?

PIERROT.

Jernigué, non. J'aime mieux te voir crévée que de

te voir à un autre.

CHARLOTTE.

Va, va, Piarrot, ne te mets point en peine. Si je sis madame, je te ferai gagner queuque chose, et tu apporteras du beurre et du fromage cheux nous.

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