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Quelqu'un a dit aussi, et tout le monde l'a répété, que l'Amour Médecin étoit le premier ouvrage dans lequel Molière eût attaqué les médecins ; cependant, la première scène du 11 acte du Festin de Pierre avoit déjà annoncé leur art comme une des grandes erreurs qui soient parmi les hommes, et toute cette scène est pleine de traits de la plus grande force contre eux.

A l'égard du premier fait, on seroit tenté de croire qu'il fut inventé par quelque médecin du temps, pour décrier le motif qui faisoit agir notre auteur.

Les médecins de ce temps-là courant les rues de Paris en habits de docteurs sur leurs mules, consul, tant gravement en latin sur les maladies les plus ordinaires, avoient eux-mêmes, depuis nombre d'années, répandu sur leur profession un ridicule ineffaçable, par leurs divisions, et par les injures dont ils s'accabloient mutuellement.

Ce qui s'étoit passé dans la dernière maladie du cardinal Mazarin, qui avoit dit au roì avant de mourir, que tous ses médecins n'étoient que des charlatans, les scènes bouffonnes qu'ils jouoient tous les jours entre eux à l'occasion du célèbre vin émétique, les deux procès des facultés de médecine de Rouen et de Marseille, contre les apothicaires des mêmes villes, en 1664, les sarcasmes dont se régalèrent les deux professions dans leurs écrits publics; tout cela ne pouvoit qu'altérer beaucoup la confiance dont cet art a besoin, et qu'il s'est conciliée depuis en renonçant à la pédanterie et à l'empirisme, et en daignant parler un langage plus humain qui les fit entendre, et du malade, et de ceux qui l'entourent.

Les habiles gens de cette profession qui sont parmi

nous aujourd'hui, ne ressemblent plus aux originaux de l'Amour Médecin. Des découvertes sans nombre, faites depuis ce temps-là, des études mieux soignées nous donnent nécessairement des médecins plus instruits; et, comme le dit M. de Voltaire, « l'esprit de « raison s'est introduit dans toutes les sciences, et la politesse dans toutes les conditions. »

Pourquoi donc les tableaux que Molière nous a laissés des docteurs de son temps nous font-ils rire encore? C'est que les habiles gens de tout état sont toujours en petit nombre; c'est que dans une profes sion nombreuse, il est inévitable qu'il ne s'y glisse des particuliers qui cherchent à suppléer aux talens qu'ils n'ont pas, par quelques dehors qui puissent en avoir l'air; c'est qu'enfin, pour abuser le vulgaire, l'ancienne pédanterie est encore, et sera toujours une ressource merveilleuse. Il y aura toujours des gens qui, comme Guenaut', diront « qu'on ne sauroit attraper l'écu « blanc des malades si on ne les trompe.

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Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que Molière osât, sous les yeux du roi, jouer les quatre premiers médecins de la cour. Seroit-ce abuser de la conjecture, d'imaginer que notre auteur en avoit au moins prévenu son maître, ou plutôt qu'il avoit reçu de ce maître même le conseil de peindre ces nouveaux caractères, comme il en avoit reçu jadis, chez M. Fouquet, celui de peindre le Chasseur des Fâcheux? Le silence des quatre médecins et celui de leur corps, après la repré

C'est de ce médecin qu'un charretier disoit plaisamment, laissons passer monsieu le docteux, c'est li qui nous a fait la grâce de tuer le cardinal. Les Romains, à la mort d'Adrien vi, firent placer sur la porte de son médecin l'inscription suivante : Au libérateur de son pays.

sentation de la pièce, fortifie beaucoup cette idée. On n'a qu'à se peindre ce que produiroit aujourd'hui la liberté que Molière prit alors.

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On a joué depuis peu à Versailles (écrivoit Gui « Patin), une comédie des médecins de la cour, où « ils ont été traités en ridicules devant le roi, qui en a « bien ri; on y met en premier chef les cinq premiers médecins, et par-dessus le marché notre maître Élie Beda, autrement, le sieur Desfougerais, qui est un grand homme de probité et fort digne de louanges, « si l'on croit ce qu'il en voudroit persuader. »

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Gui Patin, mal informé, compte six médecins, quoiqu'on n'en voie que cinq dans la pièce, et qu'il n'y en ait que quatre connus. Molière voulut au moins déguiser leurs noms, et pria son ami Despréaux, à qui la langue grecque étoit familière, de lui en forger qui leur fussent convenables.

Ceux que lui fournit le satirique, marquoient en effet le caractère de chacun de ces messieurs; il donna à M. Desfougerais celui de Desfonandrés, de Qiva, je tue, et de ardpès, homme.

A. M. Esprit, qui bredouilloit, celui de Bahis, de Bole, aboyer.

A M. Guenaut, celui de Macroton, de paxpòs, long, et de révos, ton, parce qu'il parloit lentement.

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A M. Dacquin, apôtre de la saignée, celui de Tomés, de roμòs, coupant.

On ne nous dit rien du cinquième médecin qui commence le troisième acte de la pièce et qui s'appelle Fillerin, nom, sans doute, tiré comme les autres du grec, de pinos pebos, ami de la mort; ce qui va très bien à ce qu'il dit lui-même, que ceux qui sont

morts sont morts, et qu'il a de quoi se passer des vivans. Il faut remarquer, pour cet ouvrage, comme pour tous ceux où Molière a joué les médecins, qu'il n'en a jamais fait le sujet principal de ses comédies, et qu'il ne les y a placés que comme caractères secondaires et faits pour égayer l'action à laquelle ils étoient subordonnés.

La liberté de jouer les médecins est aussi ancienne que l'art du théâtre. Voyez Aristophane, dans sa comédie des Nuées, où il dit que ces divinités aériennes servent d'alimens et donnent de l'âme aux sophistes, aux poètes et aux médecins.

Οὐ γὰρ μὰ Δ ̓ οἶθ ότι πλέιτες ἆνται βόσκεσι σοφιστάς,
Θεριομάντεις, ιατροτέχνας.

On trouve parmi les fragmens des anciens comiques, plus d'un trait plaisant sur les médecins ; nous en transcrirons un ici de Philemon, traduit en 1569 par Henri Étienne.

Nullus etenim medicus, probè si inspexeris,

Valere amicos ne suos quidem cupit.

C'est ce qu'a imité l'auteur de la Double Extravagance, lorsqu'il a dit, scène III, acte :

Tous ces gens-là, monsieur, à l'intérêt soumis,
Haïssent la santé jusque chez leurs amis.

Athénée, dans la version de Daleschamp, page 495, dit que rien n'est plus fou qu'un grammairien, à l'exception des médecins. Exceptis medicis nihil esse grammaticis stultius.

Plaute, dans ses Ménechmes, acte v, scène II, parle d'un certain médecin ridicule qui se vante d'avoir été

appelé pour remettre une jambe à Esculape, et un bras à Apollon.

Odiosus tandem vix ab ægrotis venit,

Ait se obligasse crus fractum Esculapio,
Apollini autem brachium. .

Les scènes iv et v de ce même acte des Ménechmes, ont fourni à Molière la scène II du premier acte de Pourceaugnac, avec le médecin auquel on l'a confié. On peut voir, surtout dans la scène v de Plaute, par combien de questions ridicules le médecin annonce sa charlatanerie. '

Montaigne, le plus gai de nos moralistes, et par conséquent l'écrivain le plus fait pour être connu d'un auteur comique, avoit consacré le chapitre xxxvii du livre 11 de ses Essais, à des plaisanteries sur les médecins, qu'il n'aimoit guère plus que Molière, et dont ce dernier a bien su profiter dans plus d'un endroit. Cependant, tout ce que notre auteur s'est permis contre les médecins de son temps, est bien au-dessous de ce qu'en écrivoit un de leurs confrères; et il auroit pu dire comme Montaigne, qu'il ne faisoit que les pincer, tandis qu'on les égorgeoit. En effet, il n'y a qu'à parcourir les Lettres de Gui Patin, pour voir que Molière fut pour eux un ennemi moins terrible.

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Ce savant médecin ne pouvoit supporter la nouveauté, la variété, et la multiplicité des remèdes qu'on employoit alors. Il s'indignoit de l'usage reçu des

'Les Italiens, dans leurs meilleures pièces, ne ménageoient point les médecins. Voyez la scène 11 du premier acte de l'Hypocrite du fameux Arétin. Il phisico... un carnefice honorato, ed in dispregio de la giustitia vede premiarsi de gli homicidi commissi, è però vagheggia orine, ed un contempla sterchi.

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