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PROLOGUE.

LA COMÉDIE, LA MUSIQUE, LE BALLET.

LA COMÉDIE.

QUITTONS, quittons notre vaine querelle,
Ne nous disputons point nos talens tour à tour;
Et d'une gloire plus belle
Piquons-nous en ce jour.

Unissons-nous, tous trois, d'une ardeur sans seconde
Pour donner du plaisir au plus grand roi du monde.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Unissons-nous, tous trois, d'une ardeur sans seconde Pour donner du plaisir au plus grand roi du monde.

LA MUSIQUE.

De ses travaux, plus grands qu'on ne peut croire, Il se vient quelquefois délasser parmi nous.

LE BALLET.

Est-il de plus grande gloire?

Est-il de bonheur plus doux?

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Unissons-nous, tous trois, d'une ardeur sans seconde Pour donner du plaisir au plus grand roi du monde.

FIN DU PROLOGUE.

COMÉDIE-BALLET.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

SGANARELLE, AMINTE, LUCRÈCE, M. GUILLAUME, M. JOSSE.

SGANARELLE.

AH! l'étrange chose que la vie, et que je puis bien dire, avec ce grand philosophe de l'antiquité, que qui terre a', guerre a, et qu'un malheur ne vient jamais sans l'autre ! Je n'avois qu'une femme, qui est

morte.

M. GUILLAUME.

Et combien donc en vouliez-vous avoir ?

SGANARELLE.

Elle est morte, monsieur Guillaume, mon ami. Cette perte m'est très sensible, et je ne puis m'en ressouvenir sans pleurer. Je n'étois pas fort satisfait de sa conduite, et nous avions le plus souvent dispute ensemble; mais enfin, la mort rajuste toutes choses. Elle est morte; je la pleure. Si elle étoit en vie, nous nous querellerions. De tous les enfans que

III.

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le ciel m'a donnés, il ne m'a laissé qu'une fille, et cette fille est toute ma peine. Car enfin, je la vois dans une mélancolie la plus sombre du monde, dans une tristesse épouvantable, dont il n'y a pas moyen de la retirer, et dont je ne saurois même apprendre la cause. Pour moi, j'en perds l'esprit, et j'aurois besoin d'un bon conseil sur cette matière. (à Lucrèce.) Vous êtes ma nièce; (à Aminte.) vous, ma voisine; ( à M. Guillaume et à M. Josse.) et vous, mes compères et mes amis; je vous prie de me conseiller tout ce que je dois faire.

M. JOSSE.

Pour moi, je tiens que la braverie, que l'ajustement est la chose qui réjouit le plus les filles; et si j'étois que de vous', je lui achèterois, dès aujourd'hui, une belle garniture de diamans, ou de rubis, ou d'émeraudes.

M. GUILLAUME.

Et moi, si j'étois en votre place, j'achèterois une belle tenture de tapisserie de verdure, ou à personnages, que je ferois mettre dans sa chambre pour lui réjouir l'esprit et la vue.

AMINTE.

Pour moi, je ne ferois pas tant de façon. Je la marierois fort bien, et le plus tôt que je pourrois, avec cette personne qui vous la fit, dit-on, demander, il y a quelque temps.

LUCRÈCE.

Et moi, je tiens que votre fille n'est point du tout propre pour le mariage. Elle est d'une complexion

trop délicate et trop peu saine; c'est la vouloir envoyer bientôt en l'autre monde, que de l'exposer, comme elle est, à faire des enfans. Le monde n'est point du tout son fait; et je vous conseille de la mettre dans un couvent, où elle trouvera des divertissemens qui seront mieux de son humeur.

SGANARELLE.

Tous ces conseils sont admirables, assurément; mais je les trouve un peu intéressés, et trouve que vous me conseillez fort bien pour vous. Vous êtes orfévre, monsieur Josse 2, et votre conseil sent son homme qui a envie de se défaire de sa marchandise. Vous vendez des tapisseries, monsieur Guillaume, et vous avez la mine d'avoir quelque tenture qui vous incommode. Celui que vous aimez, ma voisine, a, dit-on, quelque inclination pour ma fille, et vous ne seriez pas fâchée de la voir femme d'un autre. Et quant à vous, ma chère nièce, ce n'est pas mon dessein, comme on sait, de marier ma fille avec qui que ce soit, et j'ai mes raisons pour cela; mais le conseil que vous me donnez de la faire religieuse est d'une femme qui pourroit bien souhaiter charitablement d'être mon héritière universelle. Ainsi, messieurs et mesdames, quoique tous vos conseils soient les meilleurs du monde, vous trouverez bon, s'il vous plaît, que je n'en suive aucun. (seal.) Voilà de mes donneurs de conseils à la mode.

SCÈNE II.

LUCINDE, SGANARELLE

SGANARELLE.

An! voilà ma fille qui prend l'air. Elle ne me voit pas. Elle soupire. Elle lève les yeux au ciel. Dieu vous garde. (à Lucinde.) Bonjour, ma mie. Eh bien, qu'est-ce? Comme vous en va 3? Eh quoi! toujours triste et mélancolique comme cela, et tu ne veux pas me dire ce que tu as? Allons donc, découvre-moi ton petit cœur. Là, ma pauvre mie, dis, dis; dis tes petites pensées à ton petit papa mignon. Courage: veux-tu que je te baise? Viens. (à part.) J'enrage de la voir de cette humeur-là. (à Lucinde.) Mais, dis-moi, me veux-tu faire mourir de déplaisir, et ne puis-je savoir d'où vient cette grande langueur ? Découvrem'en la cause, et je te promets que je ferai toutes choses pour toi. Oui, tu n'as qu'à me dire le sujet de ta tristesse; je t'assure ici et te fais serment qu'il n'y a rien que je ne fasse pour te satisfaire : c'est tout dire. Est-ce que tu es jalouse de quelqu'une de tes compagnes que tu voies plus brave que toi, et seroit-il quelque étoffe nouvelle dont tu voulusses avoir un habit? Non. Est-ce que ta chambre ne te semble pas assez parée, et que tu souhaiterois quelque cabinet de la foire Saint-Laurent? Ce n'est pas cela. Aurois-tu envie d'apprendre quelque chose, et veux-tu que je te donne un maître pour te mon

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