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LA PRINCESSE.

Il y a grande différence; et ce qui sied bien à un sexe, ne sied pas bien à l'autre. Il est beau qu'une femme soit insensible, et conserve son cœur exempt des flammes de l'amour; mais ce qui est vertu en elle, devient un crime dans un homme; et comme la beauté est le partage de notre sexe, vous ne sauriez ne nous point aimer, sans nous dérober les hommages qui nous sont dus, et commettre une offense dont nous devons toutes nous ressentir.

EURIALE.

Je ne vois pas, madame,

, que celles qui ne veulent point aimer doivent prendre aucun intérêt à ces sortes d'offenses.

LA PRINCESSE.

Ce n'est pas une raison, seigneur; et, sans vouloir aimer, on est toujours bien aise d'être aimée.

EURIALE.

Pour moi, je ne suis pas de même; et dans le dessein où je suis de ne rien aimer, je serois fâché d'être aimé.

Et la raison ?

LA PRINCESSE.

EURIALE.

C'est qu'on a obligation à ceux qui nous aiment, et que je serois fâché d'être ingrat.

LA PRINCESSE.

Si bien donc que, pour fuir l'ingratitude, vous aimeriez qui vous aimeroit.

EURIALE.

Moi, madame? Point du tout. Je dis bien que je serois fâché d'être ingrat; mais je me résoudrois plutôt de l'être, que d'aimer.

LA PRINCESSE.

Telle personne vous aimeroit peut-être, que votre

cœur....

EURIALE.

Non, madame. Rien n'est capable de toucher mon cœur. Ma liberté est la seule maîtresse à qui je consacre mes vœux; et, quand le ciel employeroit ses soins à composer une beauté parfaite, quand il assembleroit en elle tous les dons les plus merveilleux et du corps et de l'âme ; enfin, quand il exposeroit à mes yeux un miracle d'esprit, d'adresse et de beauté, et que cette personne m'aimeroit avec toutes les tendresses imaginables, je vous l'avoue franchement, je ne l'aimerois pas.

LA PRINCESSE, à part.

A-t-on jamais rien vu de tel?

MORON, à la Princesse.

Peste soit du petit brutal! Faurois bien envie de lui bailler un coup de poing.

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Cet orgueil me confond; et j'ai un tel dépit, que

je ne me sens pas.

MORON, bas au Prince.

Bon. Courage, seigneur : voilà qui va le mieux du monde.

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EURIALE, bas à Moron.

Ah, Moron! je n'en puis plus, et je me suis fait

des efforts étranges.

LA PRINCESSE, à Euriale.

C'est avoir une insensibilité bien grande, que de parler comme vous faites.

EURIALE.

Le ciel ne m'a pas fait d'une autre humeur. Mais, madame, j'interromps votre promenade, et mon respect doit m'avertir que vous aimez la solitude.

SCÈNĚ V.

LA PRINCESSE, MORON.

MORON.

Il ne vous en doit rien, madame, en dureté de

cœur.

LA PRINCESSE.

Je donnerois volontiers tout ce que j'ai au monde, pour avoir l'avantage d'en triompher.

Je le crois.

MORON.

LA PRINCESSE.

Ne pourrois-tu pas, Moron, me servir dans un tel dessein?

MORON.

Vous savez bien, madame, que je suis tout à votre service.

LA PRINCESSE.

Parle-lui de moi dans tes entretiens; vante-lui

adroitement ma personne et les avantages de ma naissance, et tâche d'ébranler ses sentimens par la douceur de quelque espoir. Je te permets de dire tout ce que tu voudras pour tâcher à me l'engager.

Laissez-moi faire.

MORON.

LA PRINCESSE.

C'est une chose qui me tient au cœur. Je souhaite ardemment qu'il m'aime.

*

MORON.

Il est bien fait, oui, ce petit pendard-là; il a bon air, bonne physionomie, et je crois qu'il seroit assez le fait d'une jeune princesse.

LA PRINCESSE.

Enfin, tu peux tout espérer de moi, si tu trouves moyen d'enflammer pour moi son cœur.

MORON.

Il n'y a rien qui ne se puisse faire. Mais, madame, s'il venoit à vous aimer, que feriez-vous, s'il vous plaît ?

LA PRINCESSE.

Ah! ce seroit lors que je prendrois plaisir à triompher pleinement de sa vanité, à punir son mépris par mes froideurs, et à exercer sur lui toutes les cruautés que je pourrois imaginer.

MORON.

Il ne se rendra jamais.

LA PRINCESSE.

Ah, Moron! il faut faire en sorte qu'il se rende.

MORON.

Non, il n'en fera rien. Je le connois, ma peine seroit inutile.

LA PRINCESSE.

Si faut-il pourtant tenter toute chose, et éprouver si son âme est entièrement insensible. Allons, je veux lui parler, et suivre une pensée qui vient de me

venir.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

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