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PREMIÈRE JOURNÉE.

LES PLAISIRS DE L'ILE ENCHANTÉE.

Ce fut en ce beau lieu, où toute la cour se rendit le cinquième de mai, que le roi traita plus de six cents personnes, jusqu'au quatorzième, outre une infinité de gens nécessaires à la danse et à la comédie, et d'artisans de toutes sortes, venus de Paris; si bien que cela paroissoit une petite armée.

Le ciel même sembla favoriser les desseins de sa majesté, puisqu'en une saison presque toujours pluvieuse, on en fut quitte pour un peu de vent, qui sembla n'avoir augmenté, qu'afin de faire voir que la prévoyance et la puissance du roi étoient à l'épreuve des plus grandes incommodités. De hautes toiles, des bâtimens de bois faits presque en un instant, et un nombre prodigieux de flambeaux de cire blanche pour suppléer à plus de quatre mille bougies chaque journée, résistèrent à ce vent, qui, partout ailleurs, eût rendu ces divertissemens comme impossibles à achever.

M. de Vigarani, gentilhomme modénois, fort savant en toutes ces choses, inventa et proposa celles-ci; et le roi commanda au duc de Saint-Aignan, qui se trouva lors en fonction de premier gentilhomme de sa chambre, et qui avoit déjà donné plusieurs sujets de ballets fort agréables, de faire un dessein où elles fussent toutes comprises avec liaison et avec ordre, de sorte qu'elles ne pouvoient manquer de bien réussir.

Il prit pour sujet le Palais d'Alcine, qui donna lieu au titre des Plaisirs de l'ile enchantée; puisque, selon l'Arioste, le brave Roger et plusieurs autres bons chevaliers Y furent retenus par les doubles charmes de la beauté,

quoique empruntée, et du savoir de cette magicienne, et en furent délivrés, après beaucoup de temps consommé dans les délices, par la bague qui détruisoit les enchantemens. C'étoit celle d'Angélique, que Mélisse, sous la forme du vieux Atlas, mit enfin au doigt de Roger.

On fit donc en peu de jours orner un rond, où quatre grandes allées aboutissent entre de hautes palissades, dé quatre portiques de trente-cinq pieds d'élévation et de vingt-deux en carré d'ouverture, et de plusieurs festons enrichis d'or et de diverses peintures, avec les armes de sa majesté.

Toute la cour s'y étant placée le septième, il entra dans la place sur les six heures du soir un héraut d'armes, représenté par M. Des Bardins, vêtu d'un habit à l'antique, cou leur de feu, en broderie d'argent, et fort bien monté.

Il étoit suivi de trois pages. Celui du roi (M. d'Artagnan), marchoit à la tête des deux autres, fort richement habillé de couleur de feu, livrée de sa majesté, portant sa lance et son écu, dans lequel brilloit un soleil de pierreries,

avec ces mots :

Nec cesso, nec erro,

faisant allusion à l'attachement de sa majesté aux affaires de son état, et à la manière avec laquelle il agit. Ce qui étoit encore représenté par ces quatre vers du président de Périgni, auteur de la même devise:

Ce n'est pas sans raison que la terre et les cieux
Ont tant d'étonnement pour un objet si rare,
Qui, dans son cours pénible, autant que glorieux,
Jamais ne se repose, et jamais ne s'égare.

Les deux autres pages étoient aux ducs de Saint-Aignan et de Noailles; le premier, maréchal de camp, et l'autre, juge des courses.

Celui du duc de Saint-Aignan portoit l'écu de sa devise, et étoit habillé de sa livrée de toile d'argent enrichie d'or,

avec des plumes incarnates et noires, et les rubans de même. Sa devise étoit un timbre d'horloge, avec ces mots :

De mis golpes mi Ruido.

Le page du duc de Noailles étoit vêtu de couleur de feu, argent et noir, et le reste de la livrée semblable. La devise qu'il portoit dans son écu, étoit un aigle, avec ces mots :

Fidelis et audax.

Quatre trompettes et deux timballiers marchoient après ces pages, habillés de satin couleur de feu et argent; leurs plumes de la même livrée, et les caparaçons de leurs chevaux couverts d'une pareille broderie, avec des soleils d'or fort éclatans aux banderolles des trompettes, et aux couvertures des timballes.

Le duc de Saint-Aignan, maréchal de camp, marchoit après eux, armé à la grecque, d'une cuirasse de toile d'argent, couverte de petites écailles d'or, aussi-bien que son bas de soie; et son casque étoit orné d'un dragon, et d'un grand nombre de plumes blanches, mêlées d'incarnat et de noir. Il montoit un cheval blanc, bardé de même, et représentoit Guidon le sauvage.

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POUR LE DUC DE SAINT-AIGNAN, REPRÉSENTANT GUIDON LE SAUVAGE..

Les combats que j'ai faits en l'Ile dangereuse,
Quand de tant de guerriers je demeurai vainqueur,

Suivis d'une épreuve amoureuse

Ont signalé ma force aussi-bien que mon cœur.
La vigueur qui fait mon estime,

Soit qu'elle embrasse un parti légitime,

Ou qu'elle vienne à s'échapper,

T

Fait dire, pour ma gloire, aux deux bouts de la terre,

Qu'on n'en voit point, en toute guerre,

Ni plus souvent, ni mieux frapper.

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POUR LE MÊME.

SEUL contre dix guerriers, seul contre dix pucelles,
C'est avoir sur les bras deux étranges querelles.
Qui sort à son honneur de ce double combat,

Doit être, ce me semble, un terrible soldat.

Huit trompettes et deux timballiers, vêtus comme les premiers, marchoient après le maréchal de camp.

Le roi, représentant Roger, les suivoit, montant un des plus beaux chevaux du monde, dont le harnois, couleur de feu, éclatoit d'or, d'argent et de pierreries.

Sa majesté étoit armée à la façon des Grecs, comme tous ceux de sa quadrille, et portoit une cuirasse de lames d'argent, couverte d'une riche broderie d'or et de diamans. Son port et toute son action étoient dignes de son rang: son casque, tout couvert de plumes couleur de feu, avoit une grace incomparable, et jamais un air plus libre, ni plus guerrier, n'a mis un mortel au-dessus des autres hommes.

POUR LE ROI, REPRÉSENTANT ROGER,

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QUELLE taille, quel port a ce fier conquérant!
Sa personne éblouit quiconque l'examine;
Et, quoique par son poste il soit déjà si grand,
Quelque chose de plus éclate dans să mine.

Son front, de ses destins est l'auguste garant,
Par-delà ses aïeux sa vertu l'achemine,

Il fait qu'on les oublie; et de l'air qu'il s'y prend,
Bien loin derrière lui laisse son origine.

De ce cœur généreux c'est l'ordinaire emploi
D'agir plus volontiers pour autrui que pour soi;
La principalement sa force est occupée :

Il efface l'éclat des héros anciens,

N'a que l'honneur en vue, et ne tire l'épée

Que

pour des intérêts qui ne sont pas les siens.

Le duc de Noailles, juge du camp, sous le nom d'Oger

le Danois, marchoit après le roi, portant le couleur de feu et le noir sous une riche broderie d'argent; et ses plumes, aussi-bien que tout le reste de son équipage, étoient de cette même livrée.

FOUR LE DUC DE NOAILLES, JUGE DU CAMP, REPRÉSENTANȚ

ROGER LE DANOIS.

Ce paladin s'applique à cette seule affaire,
De servir dignement le plus puissant des rois.
Comme pour bien juger il faut savoir bien faire,
Je doute que personne appelle de sa voix.

Le duc de Guise et le comte d'Armagnac marchoient ensemble après lui. Le premier, portant le nom d'Aquilant le noir, avec un habit de cette couleur en broderie d'or et de jais; ses plumes, son cheval et sa lance assortissoient à sa livrée et l'autre, représentant Griffon le blanc, portoit sur un habit de toile d'argent, plusieurs rubis, et montoit un cheval blanc bardé de la même couleur.

POUR LE DUC DE GUISE, Représentant aquilant le nOIR.

La nuit a ses beautés, de même que le jour.
Le noir est ma couleur, je l'ai toujours aimée;
Et, si l'obscurité convient à mon amour,

Elle ne s'étend pas jusqu'à ma renommée.

POUR LE COMTE D'ARMAGNAC, REPRÉSENTÁN T
GRIFFON LE BLANC.

VOYEZ quelle candeur en moi le ciel a mis!
Aussi nulle beauté ne s'en verra trompée;
Et, quand il sera temps d'aller aux ennemis,
C'est où je me ferai tout blanc de mon épée.

Les ducs de Foix et de Coaslin, qui paroissoient ensuite, étoient vêtus, l'un d'incarnat avec or et argent, et l'autre de vert, blanc et argent. Toute leur livrée et leurs chevaux étoient dignes du reste de leur équipage.

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