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PRÉFACE

Une étude spéciale sur la vie et les écrits de Swedenborg rencontre, dans la disposition actuelle des esprits, de vives sympathies d'une part et de plus vives préventions de l'autre.

Ce sont deux genres de difficultés; car les sympathies ressemblent en ceci aux préventions, qu'ennemies de toute concession, elles demandent des appréciations tout aussi exclusives. Si les préventions ne veulent pas être éclairées, les sympathies ne veulent être que flattées.

Il n'y a aucun moyen de vaincre ces deux difficultés; mais il y a celui d'en faire abstraction. Je déclare qu'en entreprenant ce livre, je me suis persuadé que pour moi elles n'existaient pas, et il m'a été d'autant plus aisé d'en être convaincu que,

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du «

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parmi nous, à l'exception des rares amis que Swedenborg compte en France, sa vie et ses écrits sont encore plus ignorés que la vie et les écrits Philosophe inconnu » par excellence. J'ai donc cru que je pourrais présenter la vie et la doctrine de Swedenborg telles qu'elles se développèrent réellement en plein dix-huitième siècle; l'une et l'autre apparaissant avec netteté, avec indépendance, tout d'une pièce, sans concession aucune pour aucun homme, pour aucun système, aucune Église, aucune espèce de bannière, si ce n'est pour les deux autorités suprêmes, la révélation et la raison.

L'entreprise en devenait plus aisée, mais restait difficile encore.

Car, d'abord, la vie de Swedenborg se passe en grande partie dans l'autre monde, où il est impossible d'aller avec lui; ensuite sa doctrine ne se trouve que dans des écrits qui, en outre qu'ils sont très-nombreux, offrent le fruit d'une illumination qu'il est impossible de soumettre à la raison sans la faire évanouir. Or comment juger, si ce n'est au nom de la raison? ou comment ex

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poser une vie et une doctrine sans juger? Tout exposé, si impartial qu'il soit, est un jugement. On sent la difficulté de l'œuvre.

Mais ce qui en fait la difficulté est précisément aussi ce qui en fait et l'attrait éternel et l'importance spéciale dans l'état de nos esprits. Swedenborg, c'est le surnaturel en face de la critique du dix-huitième siècle. Or le surnaturel n'est pas seulement la question la plus haute et la plus agitée pour nous, enfants du dix-huitième siècle plus que nous ne pensons, mais encore a toujours été et sera toujours la plus grosse question de l'intelligence, la question auprès de laquelle pâlissent toutes les autres. Et si Swedenborg est le surnaturel en face de la critique, il est aussi la plus grande conciliation qui ait jamais été tentée entre le naturel et le surnaturel, entre le rationnel et le merveilleux.

Or cette noble tentative, qui est à l'ordre du jour depuis qu'est l'homme, le sera toujours, du moins tant que seront Dieu et la raison humaine. Car la question du surnaturel n'est pas seulement celle de l'existence du monde spirituel, c'est en

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core celle du rapport entre les deux mondes. Et

que serait-ce si l'homme, ainsi que le pense Swedenborg, était à la fois la plus belle énigme et la plus éloquente solution de ce rapport? Dans ce cas, l'intelligence humaine aurait bien raison d'avoir toujours fait et de continuer à faire de cette énigme celle de toutes avec laquelle elle aime le plus à se mesurer.

La critique du dernier siècle s'est crue plus forte que le surnaturel, et, dans ses heures de folle confiance, elle n'a pas hésité à le jeter pardessus bord. C'était une de ces conceptions surannées à mettre désormais au ban de la raison pure et du sens commun. Et, comment dirai-je? par une sorte d'ironie du destin ou par une dispensation providentielle, c'est en face de cette critique devenue une guerre à mort, que le surnaturel s'est tout à coup produit sous ses formes les plus hardies et les plus ambitieuses: car jamais il n'en avait pris, jamais il n'en saurait prendre de plus tranchées que celles qu'il revêtit dans la vie et dans la doctrine de Swedenborg. Savant du premier ordre dans toutes les sciences, ce miné

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