Images de page
PDF
ePub

je m'en félicite, d'exprimer nos espérances dans une réunion des personnes les plus illustres et les plus renommées, qui nous honorent de leur amitié.

Vous, messieurs, à qui j'ai l'honneur de m'adresser, vous sentez bien qu'il m'est difficile de remplir mes engagements. Vous, vous avez montré une prédilection toute particulière pour la Pologne; vous vous êtes occupés de sa cause dans vos écrits éloquents et pleins de feu, dans les journaux qui propageaient les lumières; vous vous en êtes occupés en publiant de savants ouvrages, qui savaient exciter tout l'intérêt pour elle. Vos manières, vos soins firent une impression profonde sur les esprits préoccupés de tout ce qui est vrai et juste.

Mais au moment où nous étions joués et abandonnés par la politique craintive et insidieuse, oubliés et négligés dans d'autres ressorts qui furent capables de nous fournir des moyens efficaces pour nos efforts, vos voix se sont élevées. Messieurs les députés de la chambre, chargés de toute confiance nationale, vous avez su pénétrer la mission qui vous a été confiée, et vous avez cru répondre aux souhaits de votre nation en embrassant notre cause. Les vœux généreux qui désiraient que le ministère de la France reconnût le gouvernement suprême de la Pologne et l'indépendance de la nation, furent indiqués dans les discours prononcés à votre tribune. Vos instances énergiques retentirent dans nos âmes; elles ont soulagé nos peines; et vos noms, messieurs, chéris chez les peuples étrangers, ne cesseront de vivre dans le souvenir de la nation polonaise.

Vous, messieurs du comité central français-polonais, vous avez laissé dans nos esprits un souvenir ineffaçable. Vous avez plaidé pour nous, et vous avez pris avec persévérance et un zèle infatigable notre défense. Vous avez appuyé par votre initiative toutes les questions avantageuses pour la Pologne: vos obligeants pressentiments devinaient nos désirs, et devançaient par des présages favorables tous nos mouvements. Vous seuls, vous avez brisé les entraves qu'opposait une politique ombrageuse, et vous vous êtes communiqués avec nous. Par votre entremise, une adresse de la garde nationale polonaise était présentée à la garde nationale française, et les vœux nationaux se ranimaient au sein du comité polonais. Vous avez relevé nos espérances; vous nous avez encouragés, et vous devenez notre consolation. Vos empressements, vos instances, votre bienveillance, vos soins et vos peines nous assistent sans relâche. Vous nous tendez la main pour nous introduire dans les régions de la France, qui doivent devenir notre patrie adoptive.

Et vous, illustre et respectable général Lafayette, vous qui partagez la gloire des nations des deux hémisphères, votre belle âme connaît la valeur de la liberté; votre esprit juste a bien apprécié le but de notre mémorable lutte, et vous avez tourné tous vos vœux et toute votre sollicitude vers elle. Vous savez inspirer vos compatriotes des mêmes sentiments que vous nous prodiguez. Contemplez ces lambeaux du premier drapeau enlevé à notre puissant ennemi; contemplez ces fruits de nos premières victoires, que nous avons, dès le commencement de notre guerre sanglante, remportés sur nos agresseurs. Mes compatriotes, qui étaient témoins actifs de la lutte acharnée comme volontaires, et les vaillants officiers actuellement présents, et ceux qui se dirigent vers la France et vers sa capitale, vous raconteront tous les détails des combats de nos braves soldats ils les conduisaient eux-mêmes à des victoires. Ils vous diront tous les succès de notre courageuse armée. Elle a peuplé nos provinces de prisonniers de guerre; elle a garni les murailles de notre cité antique des nombreux trophées, des étendards, des drapeaux et des signes militaires; elle a orné nos

églises avec les riches chapelles abandonnées par l'ennemi épouvanté; elle a rempli les arsenaux des armes et des canons arrachés à nos spoliateurs. Tous ces trophées ont disparu actuellement; mais il viendra un temps qu'ils reparaîtront! Réduits au pèlerinage, nous nous sommes échappés avec nos consolations, nos espérances, et avec ces faibles lambeaux, qui n'ont de valeur que par le souvenir de nos efforts et de nos exploits. Acceptez, général, de nos mains ce souvenir. Nous vous le remettons au moment où nous célébrons notre gloire et notre deuil; nous vous le déposons comme un témoignage d'affection nationale pour vous.

Au milieu des héros et des guerriers américains, à côté de Washington et de Lafayette, les noms polonais de Pulaski et de Kosciuszko, rentrèrent dans le sanctuaire de l'histoire de l'Amérique. On croyait qu'alors la sympathie de deux nations embrassait la cause de la liberté du nouveau monde. Et nous voyons, non sans émotion, arriver nos amis d'outre-mer, attirés par un penchant singulier pour nos efforts. Le nouveau monde, qui rajeunit le genre humain, s'est approprié la liberté et les institutions républicaines; il veut apprendre à les faire aimer, et veut servir de modèle à la vieille Europe. Nous, Polonais, nous avons manifesté notre haine de l'esclavage, notre amour pour les institutions républicaines et pour la liberté, nous avons manifesté nos efforts contre la servitude. Nous sommes fiers d'avoir fourni de nobles motifs pour provoquer, en notre faveur, les généreux sentiments de nos amis Américains. Messieurs, vous vous êtes empressés de nous porter vos secours, et vous avez cru assister notre affranchissement. Vous voyez que vous ne nous apportez que des soulagements dans nos infortunes. Vous les trouverez bien graves. Mais ne désespérez pas de nous. Les nations ne meurent pas. Tout le peuple polonais entonne son chant chéri: «Notre patrie ne périra tant que nous vivons. » Elle se trouve dans les angoisses, mais elle vit encore : elle ne périra pas. Vos drapeaux serviront à son rétablissement. Soyez persuadés que vos empressements seront chers à la nation, et qu'elle est fortement convaincue que vous ne refuserez vos secours à la Pologne pour revendiquer son indépendance.

Avant que de finir ma tâche, que j'ai essayé de remplir, je reviens sur les objets qui m'en ont occupé. Je voulais tracer les espérances que nourrissent les Polonais, et la confiance qui les rassure. Il viendra un temps, il n'est pas éloigné, où leur attente sera réalisée, et le monde détrompé. Je voulais faire ressortir les sentiments et la sympathie de nations qui ne retireront jamais leur assistance dans l'avenir, et qui embrasseront toujours notre trop juste cause, la cause universelle. Enfin, je voulais être l'organe de nos vœux pour la prospérité et le bonheur de la grande nation française.

Acte constitutif et organisation du Comité national polonais permanent, présidé par Joachim Lelewel.

Paris, le 8 décembre 1831'.

Depuis les temps les plus reculés, les peuples de France et de Pologne sont unis par les mêmes intérêts: leurs sentiments, leur amour de la liberté et de l'indépendance, leur haine de la tyrannie et des préjugés, sont les mêmes. Ces deux peuples ont bien compris que leurs existences sont intimement liées. Revers ou succès, tout leur est commun.

1. Sources précédentes.

Cette union et cette identité politique ont à jamais cimenté la fraternité entre les deux peuples, et lorsque les Polonais cherchèrent dans l'étranger les candidats au trône des Jagellons, ils vinrent choisir en France leur roi électif.

Cette constance d'amitié se reproduit à chaque commotion politique, à toute époque marquée par des combats contre l'oppression et la barbarie. Le sang français et le sang polonais arrosèrent les mêmes champs; ils se confondirent sous le ciel des tropiques et au pied des Pyramides. L'un et l'autre teignirent les eaux du Borysthène et du Tage, et la vie de quatre cent mille Polonais morts sous les drapeaux de la France, de 1795 à 1815, a largement payé leur droit de naturalisation en France.

Mais ce n'était pas assez la France brise un sceptre de lis, détruit un trône gothique, qui tombe vermoulu sous la pique de la liberté, et le despotisme et les préjugés sont sapés jusque dans leurs fondements.

Mais l'autocrate du Nord, au moment où il versait le sang des peuples soumis à son sceptre, et voulait faire croire à l'univers qu'il était l'envoyé de Dieu, qu'il était l'arbitre du Destin, aiguisait son glaive afin de punir un peuple qui arracha le masque à l'hypocrisie, et qui revendiqua ses droit méconnus.

Les Polonais ont saisi le tranchant de ce glaive, et la brèche que leur main y a faite affaiblit le coup du géant.

Comme un lion pris dans les filets, ce peuple infortuné repoussa pendant dir mois les forces toujours renaissantes de son puissant envahisseur; et si ce peuple n'avait eu à combattre encore, soit les fautes, soit l'obstination, soit l'obscurantisme, soit la trahison de quelques-uns de ses chefs, l'envahisseur se serait déjà traîné aux pieds du Sarmate victorieux; et le Polonais, errant en ce moment et émigré, aurait déjà ouvert sa porte hospitalière aux peuples opprimés.

C'en est fait! aujourd'hui c'est nous qui cherchons cette même hospitalité, voulant, sur quelque point du globe que le sort nous jette, garder pieusement les souvenirs de la patrie, et nourrir une foi permise dans sa résurrection: nous nous sommes donné ici rendez-vous, sur le sol de la France hospitalière, persuadés que nous en avons acquis le droit.

Considérant donc que la France, sous le règne de Louis XIV, secourait les Polonais contre l'envahissement du tzar Pierre Ier protégeant la cause d'Auguste II contre le roi Stanislas Leszczynski.

Que, sous Louis XV, cette même France soutenait la confédération de Bar contre les atrocités moskovites;

Que la Convention nationale, honorant la Pologne tout entière dans la personne de Kosciuszko, lui accorda, dans sa séance du 26 août 1792, le droit de citoyen français;

[ocr errors]

TH

[ocr errors]

1

Que dans la journée du 30 décembre 1792, protestation solennelle a été faile et agréée par la Convention nationale contre le complot liberticide des Targoviciens, et contre l'abolition de la constitution du 3 mai 1791;

i

Que la France n'a jamais confirmé, par aucun acte, les trois partages de la Pologne;

Qu'en 1795, à l'époque de l'anéantissement de la république de Pologne. le Comité national polonais, formé à Paris sous la présidence de François Barss, envoyé de Pologne lors de la diète constituante et lors de la guerre de l'indépendance sous Kosciuszko, a été placé sous la protection particulière du gouvernement, alors le Directoire français; MIC

Qu'en 1797, sous la protection immédiate de ce même Directoire, ont été

formées les légions polonaises, auxiliaires d'abord de la république lombarde, et, plus tard, à la solde de la république française elle-même;

Que la loi du 22 fructidor an vii, promulguée sous le consulat de Bonaparte, avait autorisé la formation des légions polonaises du Danube à l'armée du Rhin, commandée par le général Moreau;

Que les légions polonaises combattirent pour la France même à Saint-Domingue, et plus tard encore, en 1805, en Italie, et que les relations les plus intimes n'ont cessé d'exister entre la Pologne et l'Empire français jusqu'en 1815; Que le prince Joseph Poniatowski, généralissime des armées polonaises, fut nommé maréchal de France, quoiqu'il ne fût pas légalement naturalisé;

Que comme la révolution de juillet a réagi dernièrement sur celle du 29 novembre, et que les combats à mort qui en sont résultés ont couvert la France contre les guerres de coalition du despotisme;

Que le roi des Français, Louis-Philippe Ier, dans son discours du trône, prononcé à l'ouverture des chambres, le 23 juillet 1831, a solennellement assuré à la Pologne cette nationalité qui a résisté au temps et à ses vicissitudes;

Que ces mêmes chambres, dans leurs adresses en réponse au discours du roi, ont confirmé et pris sous la sauvegarde de l'honneur français une assurance que cette nationalité polonaise ne périrait pas ;

En conséquence de ces considérations, de ces augustes et solennelles promesses, et en s'appuyant sur des sympathies mutuelles, les Polonais réunis à Paris, après s'être abouchés avec le Comité central français, présidé par l'illustre Lafayette, de ce Comité qui depuis le commencement de la lutte polonaise, travaille si généreusement pour cette noble cause, comprenant le devoir de la servir sans interruption, ont résolu de former un Comité national polonais per

manent.

Réponse de Loubianoffski, gouverneur civil de Podolie, à l'ordre de Kankrine, ministre des finances russes, datée de Pétersbourg le 9/21 novembre 1831, en lui annonçant les mesures qu'il prend, et les catégories qu'il fait pour déporter les nobles Polonais au fond de la Moskovie et au Kaukase.

Kamienieck-Podolski, le 29 novembre, 11 décembre 1831 1.

J'ai eu l'honneur de recevoir la communication de Votre Excellence du 9/21 novembre, no 1183, reproduisant l'ordre de Sa Majesté, de transplanter cinq mille familles de gentilshommes polonais de la goubernie de Podolie, sur la terre inculte du Kaukase. En me hâtant de remplir le plus strictement cette volonté suprême, je crois de mon devoir de fixer l'attention de Votre Excellence sur les points suivants :

Les gentilhommes polonais, dans la goubernie de Podolie, peuvent être divisées en quatre classes: la première est la classe des propriétaires; la seconde, des possesseurs, fermiers, laboureurs, ouvriers; la troisième, les serviteurs et employés des propriétaires; la quatrième, les hommes de loi et les oisifs habitants des villes.

La première classe ne promet rien de bon pour la prospérité du pays. La seconde n'a pas pris une grande part à la dernière insurrection. La troisième, qui est très-nombreuse, est composée de gens qui passent souvent d'un endroit

1. Archives de Russie.

à un autre, d'un district à un autre, et d'une goubernie à une autre goubernie; qui, n'ayant rien à perdre, ne tiennent pas à la localité, et qui, en servant les maîtres qui les payent, sont décidés à toutes les démarches contraires à la conscience et à la probitė; serviteurs mercenaires, ils sont prêts à remplir tous les ordres de leurs maîtres; dans tous leurs projets ambitieux, ils leur servent de machine, et ont été principalement les complices des chefs de la révolte pendant l'insurrection; ce sont des gens dangereux, et qui peuvent encore être bien nuisibles dans tous les cas imprévus. Il serait bien avantageux, sous tous les rapports, de dépeupler le pays de ces gens-là. Les avocats et hommes de loi, dont l'intérêt est de prolonger les procès civils, et qui gagnent leurs fortunes au détriment des citoyens, en ont d'autant plus d'influence sur eux, et il est désirable, pour le bien même de ce pays que leur nombre soit considérablement diminué par la transplantation.

Conformément à la plus stricte interprétation de l'ordre suprême, les cinq mille familles de gentilshommes polonais se composeront de ceux qui, ayant pris part à l'insurrection, sont revenus au terme fixé, pour témoigner de leur repentir, et de ceux qui, étant compris dans la troisième classe des coupables, ont obtenu la haute grâce et le pardon de Sa Majesté; et quoique je sache que ce nombre doit être rempli au moyen des gens suspects et dénués de la confiance du gouvernement, pour que, cependant, la volonté suprême soit exécutée avec toute l'exactitude possible, je prie Votre Excellence de vouloir bien résoudre cette question : les gentilshommes polonais compris dans les première, troisième et quatrième classes, doivent-ils être compris au nombre de ceux qui sont destinés à être transplantės?

Le gouverneur, Loubianoffsky.

Dépêche diplomatique de lord Heytesbury à lord Palmerston, annonçant que la Russie repousse toujours toute intervention étrangère à l'endroit de la Pologne.

Saint-Pétersbourg, le 2 janvier 1832 1.

La réponse du gouvernement russe au sujet de la question polonaise est telle que je le craignais, c'est-à-dire le refus d'admettre notre interprétation du traité de Vienne, et la détermination de persévérer dans les arrangements annoncés précédemment.

La dépêche adressée au prince de Lieven, qui contient cette réponse, m'a été donnée à lire ce soir par le comte de Nesselrode. Elle sera envoyée demain par un courrier qui sera également porteur de la présente dépêche. Votre Seigneurie verra sans doute avec grand regret le peu d'effet produit par ses argu. ments. Ceux dont je me suis servi pour tâcher de les soutenir n'ont pas eu plus de succès. Il y a un instinct de conservation personnelle plus fort que tous les arguments de la terre et contre lequel aucun raisonnement ne peut prévaloir. Ce gouvernement-ci est persuadé que sa propre sûreté dépend de la suppression des priviléges qui dans le court espace de quinze ans ont déjà produit des fruits si amers, et Votre Seigneurie peut être persuadée qu'à moins d'une impuissance positive, rien n'empêchera leur suppression, autant du moins que cela pourra se faire sans violer directement la stricte lettre du traité de Vienne.

1. Archives d'Angleterre.

« PrécédentContinuer »