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La dépéche adressée au prince de Lieven, qu'il aura ordre de communiquer à Votre Seigneurie, est néanmoins courtoise et amicale dans la forme, quoique ferme et positive dans le rejet de nos suggestions, et exprimant clairement l'espoir que ce sont les dernières qui seront faites. Tous les arguments contenus dans la dépêche de Votre Seigneurie sont récapitulés et réfutés en détail, et ces réponses sont basées sur le même enchaînement de raisonnements que j'ai eu déjà l'honneur de détailler à Votre Seigneurie dans plus d'une occasion. Mais les motifs réels du rejet de nos suggestions ne sont pas ceux qui sont mis en avant d'une façon proéminente, et en réalité il n'y est fait qu'obscurément allusion dans la dépêche du comte de Nesselrode, qui contient principalement des explications sur les engagements contractés par le traité de Vienne. Ces motifs peuvent toutefois être résumés facilement. On croit en premier lieu qu'aucune mesure de conciliation ou de faveur ne pourra jamais réconcilier les classes élevées de la Pologne avec la domination russe; deuxièmement, que le rétablissement des priviléges ne serait alors que le rétablissement des forces de résistance, et enfin que si l'on pouvait même trouver moyen de paralyser ces forces, la coexistence pacifique, pendant une longue période et sous le même sceptre, du gouvernement absolu en Russie et de la liberté constitutionnelle en Pologne, deviendrait impossible.

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Tels sont, je le crains, les motifs réels du refus de prêter l'oreille à nos arguments la question est une question de vie ou de mort pour ce gouvernement-ci. Il sent qu'il en est ainsi, l'opinion publique est du même avis, et je crains fort qu'on ne persévère résolument dans ce refus, quelles qu'en puissent être les conséquences.

Il ne faut pas cependant en conclure que nos efforts en faveur des Polonais ont été entièrement inutiles. Il suffira pour se convaincre du contraire de jeter les yeux sur les provinces russo-polonaises qui ne sont pas comprises dans le royaume de Pologne et qui sont conséquemment en dehors d'une intervention étrangère. Dans le royaume de Pologne, laissant de côté les individus accusés d'assassinats et les officiers des trois corps d'armée de Kaminski, Rybinski et Ramorino qui forment une classe à part et qui rentrent graduellement chez eux en consentant à renouveler leur serment de fidélité; il n'y a pas plus de vingt personnes qui sont exclues de l'amnistie ou qui auront à porter la peine de leur conduite. Mais dans les provinces russo-polonaises incorporées à l'empire, la confiscation, l'exil ou la déportation en Sibérie sont le sort général. Pas un individu qui a pris une part active dans la révolution n'a été épargné. Cette différence dans la punition, quoique parlant peu peut-être en faveur de la clémence de ce gouvernement-ci, montrent clairement quels ont été les effets de l'intervention étrangère. Nous pensons n'avoir pas gagné grand'chose, mais nous avons au moins la consolation de songer que les mesures auraient été infiniment plus sévères, si nous n'avions pas suivi la ligne de conduite que nous avons adoptée.

Heytesbury.

Dépêche diplomatiqne du comte Charles de Nesselrode, ministre des affaires étrangères de Russie, au prince de Lieven, ambassadeur russe à Londres, annonçant que l'empereur Nicolas n'acceptera jamais aucune intervention étrangère dans les affaires de Pologne, et qu'il changera complètement le régime adopté au congrès de Vienne en 1815.

Saint-Pétersbourg, le 22 décembre 1831 = 3 janvier 1832'.

Mon Prince,

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Par mon expédition du 3/15 décembre, j'ai eu l'honneur d'entretenir prèslablement Votre Altesse de l'objet de communications que lord Heytesbury venait de nous adresser, par ordre de sa cour, relativement aux affaires de Pologne. Ayant depuis pris les ordres de l'Empereur, je me trouve à même de vous faire connaître, mon Prince, le point de vue sous lequel Sa Majesté envisage ces communications. Elles se divisent en deux parties distinctes. Ce sont d'abord des conseils bienveillants, offerts à l'Empereur sur les moyens les plus propres à calmer les esprits en Pologne, à leur inspirer de la confiance, à effacer, en un mot, les traces de la lutte sanglante à laquelle la victoire des armes russes vient de mettre un terme, et en second lieu quelques observations sur l'interprétation des articles du traité de Vienne auxquels le royaume de Pologne doit son existence.

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En nous adressant ces observations et ces conseils, le Cabinet britannique a reconnu combien était délicate la tâche qu'il a cru devoir s'imposer. Aussi son langage dans cette circonstance est-il empreint de tous les ménagements que l'amitié a pu inspirer, et des justes égards auxquels l'Empereur était en droit de s'attendre. Sa Majesté Impériale y a été sensible, et elle y a trouvé un motif de m'autoriser à répondre en détail aux communications de lord Heytesbury, bien que nos déclarations antérieures auraient dû ne laisser aucun doute sur les sentiments et les intentions de l'Empereur à l'égard des affaires de Pologne. Votre Altesse a été plus d'une fois dans le cas d'assurer, de la manière la plus formelle, les ministres de Sa Majesté Britannique que l'empereur n'a jamais eu ni ne saura avoir la pensée de s'écarter des stipulations du traité de Vienne, mais qu'il est fermement décidé à ne point admettre d'intervention étrangère dans les questions qui sont exclusivement de son ressort. Ce que nous demandions en même temps, c'est une interprétation loyale et équitable des articles du traité, qui déterminent le mode d'existence du royaume de Pologne. Or nous voyons à regret que celui de ces articles qui stipule que le royaume de Pologne sera lié à la Russie par sa constitution a donné lieu, même dans le Cabinet britannique, à des conclusions sur lesquelles nous ne saurions partager son opinion. Pour peu qu'on veuille examiner cette clause avec impartialité, on se convaincra qu'elle n'a été insérée dans le traité que pour exprimer que l'union du royaume à la Russie doit être le principe fondamental et la condition de sa nouvelle existence. Cette clause n'impose donc à la Russie d'autre obligation que celle de maintenir l'union que le traité avait formée; s'il avait été de l'intention des parties contractantes de stipuler en faveur du royaume une chart

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spéciale, et de la lui garantir, nul doute qu'une telle stipulation n'eût été comprise d'une manière plus explicite et plus formelle. Loin de là, on s'est borné dans un paragraphe subséquent à assurer aux Polonais sujets respectifs de Russie, d'Autriche et de Prusse, des institutions nationales, en réservant à chacun des trois gouvernements la faculté de les régler selon qu'il le jugerait utile et convenable. La constitution que dans sa magnanimité l'Empereur Alexandre, de glorieuse mémoire, accorda au royaume ne fut donc point une conséquence du traité de Vienne, mais un acte spontané de son pouvoir souverain. Postérieure par sa date aux transactions du Récès, elle n'en fait point partie, et leur garantie ne s'étend point à elle. Si la constitution de Pologne avait été donnée en exécution du traité de Vienne, les puissances contractantes auraient eu le droit d'en prendre connaissance, et de s'assurer qu'elle répond aux engagements contractés par la Russie. Aucune d'elles n'a réclamé ce droit, et ne pouvait le réclamer légalement. Toutes ont reconnu, au contraire, soit explicitement, soit par leur silence, qu'en octroyant cette constitution à ses nouveaux sujets, l'Empereur avait suivi l'impulsion de sa libre volonté.

En envisageant la question sous ce point de vue, l'on conviendra que puisque les Polonais ont eux-mêmes, par leur rébellion et leur décret de déchéance, annulé la constitution du royaume, rien n'oblige l'Empereur de la rétablir, et que Sa Majesté Impériale se trouve, au contraire, replacée dans la situation facultative où était son auguste prédécesseur lorsque, aux termes du traité de Vienne, il avait encore à choisir le mode d'existence politique qu'il jugerait utile et convenable d'accorder à ses nouveaux sujets polonais. Sous ce rapport, les engagements que la Russie a contractés sont les mêmes pour les trois puissances, et il serait difficile de prouver que l'Empereur fat tenu envers le royaume de Pologne à des concessions que n'ont pas obtenues la Galicie ni le grand-duché de Posen.

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Nous avons dit plus haut, mon Prince, que la constitution polonaise a été annulée par le fait de la rébellion. Aurions-nous besoin de le démontrer? Il est connu que de gouvernement à gouvernement les traités et conventions librement consentis de part et d'autre sont anéantis par l'état de guerre et ont besoin d'être renouvelés, ou du moins expressément confirmés à la paix. A plus forte raison, il en est ainsi d'un acte qui n'est point bilatéral, d'un acte accordé par un souverain à ses sujets, et dont la première condition est l'obéissance et la fidélité de ceux-ci. A plus forte raison, dis-je, un pareil acte se trouve annulé par l'état de guerre, lorsque la guerre est forcément amenée, à la suite de l'insurrection et de la trahison. Ceci répond, mon Prince, aux citations que lord Palmerston a cru devoir faire de divers articles de la constitution polonaise, pour en déduire l'obligation où serait l'Empe reur de la rétablir. Frappée de nullité dans son ensemble, elle l'est aussi dans chacune de ses stipulations, et nous ne saurions, par conséquent, accorder aucune valeur aux différentes clauses que l'on voudrait encore en invoquer. ainsi que

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En traitant cette question, le ministère britannique a distingué, nous l'avons observé plus haut, l'examen des traités existants d'avec les considérations qui lui semblent fondées sur les convenances politiques. Nous croyons avoir montré que dans les arrangements qui concernent la Pologne, l'Empereur ne s'écarte pas des traitės, mais que ceux-ci ne renferment aucune stipulation qui puisse être invoquée pour le rétablissement de la constitution polonaise. Les arguments que nous avons développés ne sont pas nouveaux. L'Autriche et la Prusse les ont fait valoir avant nous, et le ministère britan

nique aura pu se convaincre, par le langage que ces deux puissances ont prescrit à leurs représentants à Londres et à Paris, qu'il existe, relativement à l'interprétation et à l'application du traité du 21 avril 3 mai 1815, une entière uniformité de vues et de principes entre les trois Cours qui en sont spécialement les parties contractantes.

Pour ce qui est des convenances politiques, rien de plus judicieux, sans doute, que les considérations dans lesquelles le ministre anglais a cru devoir entrer, rien de plus amical que les conseils qui en découlent. L'Empereur se plaît à en offrir ses remerciements au Cabinet de Sa Majesté Britannique. Mais il se flatte que ce Cabinet ne se refusera point à vouer de justes égards à la position du gouvernement impérial et aux devoirs qu'elle lui impose. Les ques tions dont il s'agit touchent trop directement aux intérêts de sa couronne età ceux de son empire, pour que Sa Majesté Impériale ne croie, avant tout, de voir consulter ces mêmes intérêts dans les déterminations qui lui restent à prendre.

Ce n'est pas pour infliger aux Polonais un châtiment bien mérité, sans doute, que l'Empereur a résolu de ne plus faire revivre une constitution qu'ils ont eux-mêmes foulée aux pieds, mais parce que l'expérience a prouvé que cette constitution n'est pas le moyen le plus propre à assurer la tranquillité, et par conséquent le bonheur du pays; que loin d'avoir pu prévenir les désastres dont la Pologne a été le théâtre, c'est elle qui a pendant quinze ans alimenté parmi les Polonais cet esprit inquiet et remuant que la première étincelle a fait éclater en révolte ouverte. Or nous laissons les ministres anglais juger eurmêmes s'il serait prudent et d'une saine politique de laisser subsister des insti tutions qui ont si peu répondu aux vues bienfaisantes de leur auguste fondateur, et dont il a été fait un si criminel abus.

Pour ce qui regarde l'appel que le Cabinet britannique fait aux sentiments de clémence et d'humanité de notre auguste maître, Sa Majesté y a répondu d'avance par le manifeste du 20 octobre 1er novembre. Tous nos alliés, mon Prince, ont applaudi à cet acte. La France seule avait cru devoir insister sur une amnistie générale, sans exception aucune. Mais elle paraît être revenue depuis à des dispositions plus équitables. Peut-être le gouvernement français reconnaîtra-t-il avec le temps qu'il est dans son propre intérêt que la révolte ne reste pas impunie, et qu'il se consolide et se fortifie lui-même en raison de l'affaiblissement du parti révolutionnaire en France comme dans d'autres pays. Tels sont les arguments que nous opposerions, mon Prince, aux suggestions que renferment les communications du ministre anglais par rapport à une amnistie pleine et entière. Nous aimons à croire d'ailleurs, que ce ministre n'y insistera pas plus que celui du roi Louis-Philippe, et qu'il jugera même avec plus d'impartialité les actes du gouvernement impérial.

Tous les efforts et tous les soins de l'Empereur tendent à amener la pacification morale du royaume, c'est-à-dire à calmer les esprits, à faire cesser les irritations, suite nécessaire d'une lutte sanglante et désastreuse, et à amener graduellement une réconciliation sincère entre deux peuples réunis sous le même sceptre, Sa Majesté Impériale nourrit le juste espoir qu'à l'aide de la divine Providence, elle remplira cette tâche salutaire; mais ce qui doit en retarder l'accomplissement, entretenir une certaine agitation parmi les Polonais, encourager les coupables espérances de ceux qui persistent dans leur opposition au gouvernement légitime, c'est l'intervention étrangère dans les affaires de la Pologne, c'est l'inquiète surveillance que l'on exerce sur ce qui se passe

dans ce pays, la fausse interprétation que l'on donne aux traités, c'est le droit de patronage que l'on paraît vouloir s'attribuer sur ceux des Polonais qui sont exclus de l'amnistie ou qui en repoussent les bienfaits. Ce déplorable système que la propagande a fait adopter en France, et qui depuis a été imité dans plus d'un pays, a déjà eu les plus funestes conséquences pour le royaume de Pologne. Il est en grande partie la cause de l'opiniâtre résistance des Polonais, qui a prolongé la lutte au delà de tous les calculs. Il peut encore faire un mal infini, si les gouvernements ne cherchent pas, au moins par leur exemple, à paralyser les effets d'une tendance qui se manifeste si généralement, s'ils ne consentent pas à s'en remettre de bonne foi pour le sort futur du royaume de Pologne, à la sagesse et aux sentiments de l'Empereur, à la connaissance qu'il doit avoir lui-même des vrais intérêts de son gouvernement et de ses peuples, au respect qu'il a sans cesse professé pour les traités existants, enfin à la sollicitude que hai inspirent le bonheur de ses sujets, la réparation des maux qu'une époque de désastres leur a causés, et le besoin d'en prévenir à jamais le retour.

C'est surtout de la part du gouvernement de Sa Majesté Britannique que notre auguste maître croit pouvoir s'attendre à ce témoignage de confiance et d'égards. La marche politique de son Cabinet, dont l'Angleterre a tant de fois été à même d'apprécier la franchise et la loyauté, en donne le droit à Sa Majesté Impériale. D'autre part, le gouvernement britannique ne se trouve pas dans la fâcheuse nécessité d'obtempérer aux exigences d'un parti qui ne cherche qu'à troubler les relations amicales entre les puissances, et à parvenir ainsi au but de ses efforts, c'est-à-dire à un bouleversement général. Ce gouvernement usera donc de sa force pour se maintenir sur la ligne de conduite que lui tracent ses principes de justice et la sagesse de ses conseils. Par une suite nécessaire, il respectera les droits de l'Empereur dans la plus juste des

causes.

Nous venons de nous expliquer, mon Prince, avec une entière franchise sur l'objet des communications que lord Heytesbury nous a faites par ordre de sa Cour. Nous le devions aux liens d'amitié qui unissent les deux gouvernements, et que l'Empereur aimera toujours à cimenter. Nous le devions surtout au caractère amical qui a présidé à ces communications. Mais Sa Majesté Impériale croit pouvoir se flatter que nos explications seront de nature à satisfaire le gouvernement britannique, et que c'est pour la dernière fois qu'elle se trouve dans le cas de s'expliquer sur des questions dont elle seule est appelée à connaître. Sa Majesté le désire d'autant plus vivement, qu'elle met un prix infini à rendre de plus en plus intimes ses relations avec le gouvernement britannique, et qu'il lui importe d'en écarter tout ce qui pourrait leur nuire.

Votre Altesse voudra bien exprimer ce vœu à lord Palmerston, en lui communiquant le contenu de la présente dépêche. Recevez, etc.

Nesselrode.

Dépêche diplomatique de lord Heytesbury à lord Palmerston, en lui annonçant que, peut-être, les changements que la Russie se propose de faire en Pologne, ne seront pas si radicaux.

(Extrait)

Saint-Pétersbourg, le 4 janvier 1832 '.

En relevant les dépêches que j'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Seigneurie

1. Archives d'Angleterre.

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