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Or la fenfation compofée qui réfulte d'un Accord para fait, fe réfout dans la fenfation abfolue de chacun des Sons qui le compofent, & dans la fenfation comparée dé chacun des Intervalles que ces mêmes Sons forment entre eux; il n'y a rien au de-là de fenfible dans cet Accord: d'où il fuit que ce n'eft que par le rapport des Sons & par l'analogie des Intervalles qu'on peut établir la liaison dont il s'agit; c'est-là le vrai & l'unique principe d'où découlent toutes les loix de l'Harmonie & de la Modulation. Si donc toute l'Harmonie n'étoit formée que par une fucceffion d'Accords parfaits majeurs, il fuffiroit d'y procéder par intervalles femblables à ceux qui compofent un tel Accord car alors quelque Son de l'Accord précédent fe prolongeant néceffairement dans le fuivant, tous les Accords fe trouveroient fuffisamment liés, & l'Harmonie feroit une, au moins en ce fens.

Mais outre que de telles fucceffions excluroient toute Mélodie en excluant le Genre Diatonique qui en fait la bafe, elles n'iroient point au vrai but de l'Art, puifque la Mufique, étant un difcours, doit avoir comme lui fes périodes, fes phrafes, fes fufpenfions, fes repos, fa ponctuation de toute efpéce, & que l'uniformité des marches Harmoniques n'offriroit rien de tout cela. Les marches Diatoniques exigeoient que les Accords majeurs & mineurs fuffent entremêlés, & l'on a fenti la néceffité des Diffonnances pour marquer les Phrafes & les repos. Or, la fucceffion liée des Accords parfaits majeurs ne donne ni l'Accord parfait mineur, ni la Diffonnance, ni aucune efpèce de phrafe, & la ponctuation s'y trouve tout-à-fait en défaut.

M. Rameau, voulant abfolument, dans fon Syftême tirer de la Nature toute notre Harmonie, a eu recours, pour cer effet, à une autre expérience de fon invention, de la-' quelle j'ai parlé ci-devant, & qui eft renversée de la première. Il a prétendu qu'un Son quelconque fourniffoit dans fes multiples un Accord parfait mineur au grave, dont il étoit la Dominante ou Quinte, comme il en fournit un majeur dans fes aliquotes, dont il eft la Tonique ou Fondamentale. Il a avancé comme un fait affuré, qu'une Corde fonore faifoit vibrer dans leur totalité, fans pourtant les faire réfonner deux autres Cordes plus grayes, l'une à fa

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Douzième majeure & l'autre à fa Dix-feptième; & de ce fait, joint au précédent, il a déduit fort ingénieusement, non-feulement l'introduction du mode mineur & de la diffonnance dans l'Harmonie, mais les regles de la phrafe harmonique & de toute la modulation, telles qu'on les trouve aux mots AccoRD, ACCOMPAGNEMENT, BASSEFONDAMENTALE, CADENCE, DISSONNANCE, MODULA

TION.

Mais premiérement, l'expérience eft fauffe. Il est reconnu que les cordes accordées au-deffous du Son fondamental, ne frémillent point en entier à ce Son fondamental, mais qu'elles fe divifent pour en rendre feulement l'unisson, lequel, conféquemment, n'a point d'harmoniques endeffous. 11 eft reconnu de plus que la propriété qu'ont les cordes de fe divifer, n'eft point particulière à celles qui font accordées à la Douzième & à la Dix-feptième en-deffous du Son principal; mais qu'elle eft commune à tous fes multiples: d'où il fuit que les intervalles de Douzième & de Dix-feptième en deffous n'étant pas uniques en leur manière, on n'en peut rien conclure en faveur de l'accord parfait mineur qu'ils repréfentent..

Quand on fuppoferoit la vérité de cette expérience, cela ne leveroit pas, à beaucoup près, les difficultés. Si, comme le prétend M. Rameau, toute l'Harmonie eft dérivée de la réfonnance du corps fonore, il n'en dérive donc point des feules vibrations du corps fonore qui ne réfonne pas. En effet, c'est une étrange théorie de tirer de ce qui ne réfonne pas, les principes de l'Harmonie ; & c'est une étrange phyfique de faire vibrer & non réfonner le corps fonore, comme fi le Son lui-même étoit autre chofe que l'air ébranpar ces vibrations. D'ailleurs, le corps fonore ne donne pas feulement, outre le Son principal, les 'Sons qui compofent avec lui l'accord parfait, mais une infinité d'autres Sons, formés par toutes les aliquotes du corps fonore, lefquels n'entrent point dans cet accord parfait. Pourquoi les premiers font-ils confonnans ; & pourquoi les autres ne le font-ils pas, puifqu'ils font tous également donnés par la nature ?

Tout Son donne un accord vraiment parfait, puifqu'il eft formé de tous fes harmoniques, & que c'est par eux qu'il eft un Son. Cependant ces harmoniques ne s'enten

Y

dent pas, & l'on ne diftingue qu'un Son fimple, à moins qu'il ne foit extrêmement fort: d'où il fuit que la feule bonne harmonie eft l'uniffon, & qu'auffi-tôt qu'on diftingue les Confonnances, la proportion naturelle étant altérée, l'harmonie a perdu fa pureté.

Cette altération fe fait alors de deux manières. Premié tement en faifant fonner certains Harmoniques, & non pas les autres, on change le rapport de force qui doit régner entr'eux tous, pour produire la fenfation d'un Son unique, & l'unité de la Nature eft détruite. On produit, en doublant ces Harmoniques, un effet femblable à celui qu'on produiroit en étouffant tous les autres; car alors il ne faut pas douter qu'avec le Son générateur, on n'entendît ceux des Harmoniques qu'on auroit laiffés. Au lieu qu'en les laiffant tous, ils s'entre-détruilent & concourant enfemble à produire & renforcer la fenfation unique du Son principal. C'eft le même effet que donne le plein jeu de l'Orgue, lorsqu'ôtant fucceffivement les Regiftres, on laiffe avec le Principal la Doublette & la Quinte: car alors: cette Quinte & cette Tierce, qui reftoient confondues, fe diftinguoient féparément & défagréablement.

De plus, les Harmoniques qu'on fait fonner ont euxmênies d'autres Harmoniques, lefquels ne le font pas du. Son fondamental : c'eft par ces Harmoniques ajoûtés que celui qui les produit fe diftingue encore plus durement; & ces mêmes Harmoniques qui font ainfi fentir l'Accord n'entrent point dans fon harmonie. Voilà pourquoi les Confonnances les plus parfaites déplaifent naturellement aux oreilles peu faites à les entendre, & je ne doute pas que l'Octave elle-même ne déplût, comme les autres, fi le mélange des voix d'hommes & de femmes n'en donnoit l'habitude dès l'enfance.

C'eft encore pis dans la Diffonnance; puifque, nonfeulement les Harmoniques du Son qui la donnent, mais ce Son lui-même n'entre point dans le fyftême harmonieux du Son fondamental; ce qui fait que la Diffonnance se diftingue toujours d'une manière choquante parmi tous tes autres Sons.

Chaque touche d'un Orgue, dans le plein-jeu, donne un Accord parfait Tierce majeure qu'on ne diftingue pas

du

du Son fondamental, à moins qu'on ne foit d'une attention extrême & qu'on ne tire fucceffivement les jeux; mais ces Sons Harmoniques ne fe confondent avec le principal, qu'à la faveur du grand bruit & d'un arrangement de ré giftres par lequel les tuyaux qui font réfonner le Son fondamental, couvrent de leur force ceux qui donnent fes Harmoniques. Or, on n'observe point, & l'on ne fauroit obferver cette proportion continuelle dans un Concert, puifqu'attendu le renversement de l'Harmonie, il faudroit que cette plus grande force paffar à chaque inftant d'une Partie à une autre; ce qui n'eft pas pratiquable, & défigureroit toute la Mélodie.

Quand on joue de l'Orgue, chaque touche de la Balfe fait fonner l'Accord parfait majeur; mais parce que certe. Balle n'eft pas toujours fondamentale, & qu'on module fouvent en Accord parfait mineur, cet Accord parfait majeur eft rarement celui que frappe la main droite; de forte qu'on entend la Tierce mineure avec la majeure, la Quinte avec le Triton, la Septième fuperflue avec l'Octave; & mille autres cacophonies dont nos oreilles font peu choquées, parce que l'habitude les rend accommodantes; mais il n'eft point à préfumer qu'il en fût ainfi d'une oreille naturellement jufte, & qu'on mettroit, pour la première fois, à l'épreuve de cette Harmonie.

M. Rameau prétend que les Deffus d'une certaine fimplicité fuggèrent naturellement leur baffe, & qu'un homme ayant l'oreille jufte & non exercée, entonnera naturellement cette Balle. C'est-là un préjugé de Muficien dé menti par toute expérience. Non-feulement celui qui n'aura jamais entendu ni Baffe ni harmonie, ne trouvera de luimême, ni cette harmonie ni cette Baffe; mais elles lui déplairont fi on les lui fait entendre, &, il aimera beaucoup mieux le fimple Uniffon.

Quand on fonge que, de tous les peuples de la terre qui tous ont une Mufique & un Chant, les Européens font les feuls qui aient une harmonie, des Accords, & qui trouvent ce mélange agréable; quand on fonge que le monde a duré tant de fiécles, fans que de toutes les, Nations qui ont cultivé les Beaux-Arts aucune ait connu cette harmonie; qu'aucun animal qu'aucun oifeau, qu'aucun être dans la Nature ne produit d'au

tre Accord que l'Uniffon, ni d'autre Mufique que la Mélodie; que les langues orientales, filonores, fi muficales; que les oreilles Grecques, fi délicates, fi fenfibles, exercées avec tant d'Art, n'ont jamais guidé ces peuples voluptueux & paffionnés vers notre Harmonie; que, fans elle, leur Mufique avoit des effets fi prodigieux; qu'avec elle la nôtre en a de fr foibles; qu'enfin il étoit réfervé à des Peuples du Nord, dont les organes durs & groffiers font plus rouchés de l'éclat & du bruit des voix, que de la douceur des accens & de la Mélodie des inflexions, de faire cette grande découverte & de la donner pour principe à toutes les règles de l'Art; quand, dis-je, on fait attention à tout cela, il eft bien difficile de ne pas foupçonner que toute notre Harmonie n'est qu'une invention gothique & barbaré dont nous ne nous fuffions jamais avifés, fi nous cuffions été plus fenfibles aux véritables beautés de l'Art, & à la Mufique vraiement naturelle.

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M. Rameau prétend cependant, que l'Harmonie eft la fource des plus grandes beautés de la Mufique; mais ce fentiment eft contredit par les faits & par la raifon. Par les faits puifque tous les grands effets de la Mufique ont ceffe, & qu'elle a perdu fon énergie & fa force depuis l'invention du Contre-point à quoi j'ajoute que les beautés purement harmoniques font des beautés favantes, qui ne tranfportent que des gens verfés dans l'Art; au lieu que les véritables beautés de la Mufique étant de la Nature. font & doivent être également fenfibles à tous les hommes favans & ignorans.

Par la raifon; puifque l'Harmonie ne fournit aucun principe d'imitation par lequel la Mufique formant des images ou exprimant des fentimens fe puifle élever au genre Dramatique ou imitatif, qui eft la partie de l'Art la plus noble, & la feute énergique; tout ce qui ne tient qu'au phyfique' des Sons, étant très-borné dans le plaifir qu'il nous donne, & n'ayant que très-peur de pouvoir fur le cœur humain. (Voyez MELODIE.)

- HARMONIE. Genre de Mufique. Les Anciens ont fouvent donné ce nom au Genre appellé plus communément Genre Enharmonique. ( Voyez ENHARMONIQUE.)

HARMONIE DIRECTE, eft celle où la Baffe eft fon-" damentale, & où les Parties fupérieures confervent l'ordre

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