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dix ans au moins, celle du deuxième degré pendant cinq ans, enfin la peine du quatrième degré est un emprisonnement de deux années [1]. Ce dernier système a été en partie emprunté à la législation anglaise. Stephen nous apprend que, d'après la loi commune, le faux ne constitue qu'un simple délit passible d'emprisonne ment et d'amende [2]. Les statuts l'ont classé parmi les crimes, et, dans certains cas, parmi les crimes de félonie: la peine fut alors celle de mort; le bill du 23 juillet 1830, quia revisé cette matière, conservait encore cette peine dans les cas les plus graves aujourd'hui, et d'après un bill récent, le premier degré de la peine est la transportation à vie [3]; les degrés inférieurs sont la transportation à temps, avec le minimum de 4 et de 7 ans: un bill du 14 août 1833 permet aux cours d'aggraver la transportation à vie d'un emprisonnement préalable d'un à 4 ans. Mais la distinction de ces peines ne se puise point dans la différence des écritures: la loi élève le taux de la peine d'après l'importance présumée de l'acte falsifié; elle ne classe point ces actes en trois ou quatre catégories comme la loi française. Le crime puise sa gravité dans les effets de l'altération et non dans le caractère des actes altérés.

De cette revue des législations étrangères, on peut inférer une double conséquence: d'abord, que notre Code est le seul qui ait pris la nature de l'écriture pour base unique de ses pénalités; en second lieu, que ce Code est celui, sauf la loi anglaise peut-être, où les peines appliquées au crime de faux sont les plus rigoureuses et les plus élevées.

Il n'est pas sans intérêt de rappeler, sur ce deuxième point, que le projet du Code pénal n'avait point admis la peine des travaux forcés à perpétuité : l'article 145 de ce projet ne portait que la peine de la déportation, et ajoutait même : « s'il est résulté ou s'il a pu résulter de ces différents genres de faux un préjudice public ou privé [4]. » Le Conseil d'état crut inutile d'énoncer ce principe et changea cette peine. M. Defermon dit « que les fonctionnaires publics qui commettent le crime de faux doivent au moins être punis aussi sévèrement que le sont en pareil cas les hommes privés ; qu'ainsi la déportation n'est pas suffisante, qu'il faut la remplacer par les travaux forcés. » M. Berlier dit « qu'il adhère personnellement à l'amendement

[1] Revised statutes of New-York, art. 3, sec. 22. [2] Summary of the criminal law, p. 203. [3] By 2 et 3, William V. c. 123.

proposé : la nature du crime et le caractère des coupables ne doivent point ici laisser la crainte d'être trop sévère; et si, comme il a semblé dans le cours de cette discussion, la déportation est une peine qu'il convienne de réserver aux crimes de l'ordre politique, c'est un motif de plus pour ne pas l'infliger à des fonctionnaires publics commettant un faux, c'est-à-dire un crime d'une espèce aussi basse que funeste à la société.» M. Treilhard dit « que le motif qui a surtout fait proposer la déportation est l'intérêt qu'a la France de repousser les faussaires de son territoire: les retenir aux fers, c'est offrir à la société une moindre garantie; car la plupart des faux se font dans les prisons. » M. Berlier répond que,» si ce motif était admis pour les faussaires désignés dans l'article 145, il devrait l'être également pour tous les autres auxquels on peut également supposer les mêmes dispositions à faire d'autres faux. » M. Cambacérès ajoute que » l'article punit trop légèrement un crime qui, pour la société, a des conséquences très-graves. Autrefois la peine était la mort; qu'aujourd'hui du moins elle soit plus que de la déportation; qu'elle consiste dans les travaux forcés à perpétuité[5]. » Cet amendement fut adopté.

La loi du 28 avril 1832 n'a apporté nulle modification aux peines du faux. Nous avons vu qu'en comparant ces peines à celles des législations étrangères, on est disposé à accuser de sévérité la législation française. Cette opinion semble confirmée par les chiffres de la statistique criminelle. Depuis que le système des circonstances atténuantes a permis au jury d'abaisser les peines, celle des travaux forcés à perpétuité n'a pas été prononcée une seule fois en matière de faux. En 1832, sur 407 accusés, 194 ont été acquittés, 51 condamnés aux travaux forcés à temps, 80 à la reclusion, 82 à l'emprisonnement; en 1833, sur 470, 201 ont été acquittés, 38 condamnés aux travaux forcés à temps, 64 à la reclusion, 167 à l'emprisonnement; enfin, en 1834, sur 478 accusés, 211 ont été acquittés, 47 ont encouru les travaux forcés à temps, 48 la reclusion, et 172 des peines correctionnelles. On voit, de plus, d'après un tableau qui a été introduit pour la première fois dans le compte de la justice criminelle de 1834, qu'à l'égard de 188 accusés de faux, c'est-à-dire de la totalité à peu près des accusés justiciables des assises, la Cour s'est réunie au jury et a abaissé la peine de

[4] Locré, t. 30, p. 54.

[5] Procès-verbaux du Cons. d'état, séance du 5 août 1809.

deux dégrés. Ces résultats sont dignes d'être médités; ils indiquent que les peines actuelles ne sont pas, aux yeux des jurés et des juges euxmêmes, en harmonie avec la gravité intrinsèque du crime; ils semblent même marquer le point où ces peines devraient descendre pour rétablir une juste proportion entre le fait et la répression.

Après ces considérations préliminaires, nous allons entrer dans l'examen des caractères du faux en écritures publiques, et des principes qui en règlent l'incrimination.

Ce crime se subdivise en deux classes, suivant qu'il est commis par des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions, ou par ces fonctionnaires hors de leurs fonctions, et par de simples particuliers. Nous ferons de ces deux sortes de faux l'objet de deux paragraphes distincts.

SI.

Une question domine tout ce chapitre: quelles écritures sont réputées authentiques oupubliques?

L'article 1317 définit l'acte authentique, « celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé et avec les solennités requises. >>

On peut en général distinguer quatre sortes d'actes authentiques; savoir: 1° les actes législatifs et ceux qui émanent du pouvoir exécutif ou du gouvernement, tels que les ordonnances du roi, les traités de paix ou d'alliance, etc.; 2o les actes judiciaires ; ce qui comprend tant les jugements que différentes sortes d'exploits et de procès-verbaux faits par des officiers de justice, et en général tous les actes de procédure; 3o les actes administratifs qui émanent des chefs et préposés des différentes administrations: on peut ranger dans cette classe les actes consignés dans les registres publics, tels que ceux de l'état civil, les registres du conservateur des hy

[1] Toullier, t. 8, p. 110.

[3] Arr. cass. 9 sept. 1810; S. 1811, 1, 57; 25 juin 1812; Dalloz, t. 15, p. 419.

[3] Arr. cass. 26 août 1825.

[4] Arr. cass. 28 fév. 1835.

[5] Arr. cass. 5 sept. 1833; S. 1834, 1, 108. [6] Arr. cass. 14 sept. 1821; Bull. P. 443. [7] Arr. cass. 2 et 17 juill. 1829; 7 déc. 1833; S. 1829, 1, 259, 303.

[8] Arr. cass. 22 janv. 1829; 10 avr. 1829; 16 juillet 1829; S. 1829, 1, 203 et 303; 22 mai 1835.

pothèques, de l'enregistrement; 4o enfin, les actes notariés [1].

La Cour de cassation n'a fait qu'appliquer ces principes, lorsqu'elle a successivement rangé dans la classe des écritures publiques les actes de l'état civil [2], les diplômes de pharmacien [3], de bachelier ès lettres [4], de docteur en médecine [5], les actes de remplacement reçus par un intendant militaire [6], les registres des administrations publiques [7], les certificats délivrés par les maires en matière de remplacement militaire [8], la mention de l'enregistrement des actes [9], les registres d'écrou des prisons [10]. les billets de la loterie royale [11], les registres de comptabilité intéressant le trésor pu-blic, tels que les registres de recette d'un receveur [12], les expéditions de la régie des contri-. butions indirectes [13], les pièces comptables émanées d'un préposé des ponts et chaussées, lorsque sur leur vu le trésor fait des paiements [14], enfin les actes délivrés par l'officier chargé de percevoir les droits d'essai des matières d'or et d'argent [15].

En principe, il ne peut exister de faux criminel en écritures authentiques et publiques, si la pièce falsifiée n'a pas, en la supposant vraie, un caractère d'authenticité et de publicité. Ce principe, quelque évident qu'il puisse paraître, n'est pas moins important à tracer; car il en résulte qu'un acte faux, qu'on suppose émané d'un fonctionnaire, n'a pas néanmoins le caractère de l'authenticité, si le fonctionnaire dont la signature est imitée n'était pas compétent pour le recevoir ou le rédiger. La Cour de cassation s'est strictement conformée à cette règle quand elle a décidé que l'acte de décès, que le certificat de mariage revêtus de la fausse signature d'un ecclésiastique, que le faux certificat délivré sous le nom d'un fonctionnaire sans qualité pour le délivrer, ne pouvaient être considérés comme des faux en écritures publiques [16], Mais il n'est pas nécessaire, pour que l'acte

[9] Arr. cass. 14 juin 1821; Bull. p. 341. [10] Arr. cass. 10 févr. 1827; S. 1827, 1, 486. [11] Arr. cass. 2 juin 1825; S. 1826, 1, 88. [12] Arr. cass. 10 juill. 1806; Dalloz,t. 15, p. 401; S. 1806, 2, 677.

[13] Arr. cass. 10 nov. 1808; S. 1809, 1, 398. [14] Arr. cass. 29 avr. 1825.

[15] Arr. cass. 19 mai 1826.

[16] Arr. cass. 17 août 1815; S. 1815, 1, 297; 13 oct. 1809; Dalloz, t. 15, p. 464, et arr. Grenoble, 7 mars 1829; S. 1830, 2, 35.

soit considéré comme authentique, que l'officier public soit réellement intervenu dans sa rédac tion; il suffit que l'acte soit faussement attribué à cet officier, qu'il ait la figure extérieure de l'acte public, que les formes essentielles qui impriment à un acte le caractère de l'authenticité aient été simulées ; car la contrefaçon de la signature du fonctionnaire caractérise, aussi bien que l'abus qui serait fait de son concours, l'usurpation, à l'aide du faux, de la garantie légale qui y est attachée. Cette règle se trouve encore confirmée par un arrêt de la Cour de cassation, qui a décidé que la contrefaçon de la fausse expédition d'un acte imaginaire, revêtue des formes de l'authenticité, constituait un faux en écritures publiques [1].

L'écriture est réputée authentique dans le cas même où l'acte est nul comme acte public pour vice de forme [2]. La véritable raison de cette solution est, ainsi qu'on l'a fait remarquer précédemment que si cette nullité est indépendante de la volonté de l'agent, l'acte même nul présente encore les caractères d'une tentative de faux en écritures publiques.

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Toutefois, il est indispensable que l'acte présente les éléments essentiels d'un acte authentique; car, si ces formes n'existaient pas, on pourrait douter que l'agent ait eu l'intention de fabriquer un acte de cette nature, et le faux prendrait dès lors un autre caractère [3].

La question de savoir si l'acte entaché de faux est un acte public, de commerce, ou privé, est elle de la compétence du jury, ou appartient-elle exclusivement à la Cour d'assises? Cette question, fort grave, puisque le caractère de l'écriture est un élément d'aggravation de la peine, a été constamment résolue par la Cour de cassation en faveur des Cours d'assises, dont l'hé sitation à cet égard s'est révélée par le nombre même des annulations. Les motifs de cette jurisprudence consistent à dire : « que si l'article 337 du Code d'instruction criminelle ordonne qu'il sera demandé au jury si l'accusé est coupáble d'avoir commis tel ou tel crime, cet article se réfère nécessairement aux faits qui ont par eux mêmes l'évident caractère de crime, et non aux circonstances dont la nature ne peut être déterminée que par l'appréciation du caractère légal de certains actes; qu'en demandant aux jurés si l'accusé a commis le crime de faux, le président

[1] Arr. cass. 2 mai 1833; S. 1833, 1, 660.

[2] Arr. Metz, 18 janv. 1820; S. 1820, 2, 335; cass. 20 nov. 1807; Dalloz, t. 15, p. 432; S. 1808, 1, 193.

de la Cour d'assises satisfait au vœu de la loî, puisqu'il les met à portée de s'exprimer avec conviction sur les circonstances matérielles et sur les circonstances morales de la question du fait ; mais qu'en les interrogeant sur la nature de l'écrit qui constitue le corps du délit, il leur soumet une question de droit, étrangère à la compétence de jury, puisqu'elle ne peut être résolue que d'après les principes de la loi civile ou com merciale, et que les jurés peuvent ne pas connaître ces lois, dont il est essentiellement contraire à leur institution qu'ils fassent jamais l'application [4]. >>

»

On pourrait émettre quelques doutes, quelques objections. Le faux, de même que le vol ou l'homicide, est à la fois simple et complexe : il est simple quand il ne se complique d'aucune circonstance aggravante, lorsqu'il est commis en écritures privées ; il s'élève en gravité quand fl se complique d'une circonstance extrinsèque, quand l'écriture falsifiée est authentique ou commerciale. Cet élément nouveau qui sert de base à l'élévation de la peine, a tous les caractères d'une circonstance aggravante; elle produit les mêmes effets que la préméditation ou le guet-apens dans l'homicide, le port d'armes ou l'effraction dans le vol; c'est une modification du fait principal qui en altère le caractère : la connaissance semble done devoir en appartenir aux juges qui sont investis de la connaissance du fait. Cette conséquence paraîtrait découler d'ailleurs, du texte même de la loi ; l'article 337 du Code d'instruction criminelle porte: «La question résultante de l'acte d'accusation sera posée en ces termes : l'accusé estil coupable d'avoir commis tel meurtre, tel vol ou tel autre crime avec toutes les circonstances comprises dans le résumé de l'acte d'accusation ? » Or, la circonstance que le faux a été commis en écritures publiques n'est-elle pas au nombre de ces circonstances? ne figuret-elle pas dans le résumé de l'acte d'accusation? Ces objections ne sont point dénuées de force. Néanmoins on peut répondre, à l'appui de la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'un principe général domine l'article 337 lui-même : c'est la séparation du fait et du droit, que les pouvoirs du jury sont nécessairement circons crits dans l'appréciation des circonstances de fait, et que là où cette appréciation soulève une

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[3] Arr. cass. 12 févr. 1813; S. 1817, 1, 94.

[4] Arr. cass. 1er avr., 8 sept. et 3 nov. 1826; 26 janv. 1827, 20 avr. 1827; S. 1827, 1, 80, 536, et 1828, 1, 37.

question de droit, sa mission expire, et son incompétence est proclamée. De là une distinction entre les circonstances aggravantes qui résultent d'une appréciation de faits, et celles qui résultent d'une appréciation d'actes. Cette distinction n'est point écrite dans la loi, mais elle est la conséquence du principe général qui vient d'être rappelé. En effet, les jurés ne peuvent être appelés à statuer que sur les faits que les débats leur permettent d'apprécier. Or, les points de savoir si l'acte émane d'un fonctionnaire ou d'un commerçant, s'il constitue un acte du ministère de l'officier public, ou s'il a pour but une opération de commerce, sont des points de fait que les débats éclairent, et sur lesquels ils permettent de statuer. Mais la question de savoir si, ces éléments établis, l'acte est authentique ou commercial, ne prend point ses raisons de solution dans les débats seulement, mais dans les règles de la loi qui pose les caractères divers de ces différents actes. Les jurés sont done incompétents pour prononcer une telle décision. Tous les éléments qui constituent le faux en écritures publiques ou commerciales doivent être soumis à leur appréciation: ainsi ils doivent déclarer, s'il s'agit d'un faux en écritures publiques, que l'écriture fabriquée émane de tel fonctionnaire, ou qu'elle est attribuée à ce fonctionnaire, qu'elle constitue un acte de ces fonctions; s'il s'agit d'un faux en écritures de commerce, que la fausse signature apposée au bas du billet est celle d'un commerçant, et que ce billet a eu pour cause un fait de commerce. Ces faits reconnus, c'est à la Cour d'assises à déclarer s'ils constituent tel ou tel faux, à spécifier la nature du crime. Cette séparation des deux pouvoirs résulte de la nature même des choses.

La jurisprudence n'est point d'ailleurs ici en désaccord avec elle-même. La cour de cassation a jugé que la circonstance de l'âge de la personne qui a été victime d'un attentat à la pudeur, doit être reconnue et déclarée par le jury [1]; et elle a étendu cette règle, quelque temps contestée, à la question de savoir si le prévenu qui prétend avoir moins de seize ans a cet âge [2], si l'accusé de viol est tuteur ou beaupère de la victime [3]. Mais on sent que ces diverses espèces ne sont pas identiques avec celles que nous discutons l'âge du prévenu ou de la victime, la qualité de tuteur ou de beau-père de la personne outragée ne sont que des circon

[1] Arr. cass. 1er oct. 1834; S. 1834, 1, 787. [2] Voy. tom. 2, p. 183.

stances du fait. La raison de douter était seulement que cette qualité et cet âge étaient déjà établis par des actes authentiques; mais dès que ces circonstances sont considérées comme des circonstances aggravantes d'un crime, elles appartiennent au jury, et ne sauraient être dérobées à son pouvoir. Or, il n'en est plus de même en ce qui concerne la qualité des actes altérés, parce que si cette qualité forme une circonstance aggravante, elle ne peut être établie que par des considérations de droit qui excèdent l'attribution du jury. C'est ainsi que l'on doit soumettre aux jurés la question de savoir si l'accusé est tuteur ou beau-père de la victime, mais non celle de savoir s'il avait autorité sur elle, parce que c'est là la conséquence légale d'un fait que les juges du droit peuvent seuls déduire.

Après avoir défini les écritures qui sont réputées publiques, il faut examiner les différentes espèces de faux qui sont commis dans ces écritures par les fonctionnaires publics.

La loi a séparé dans deux articles le faux matériel et le faux intellectuel. Le premier est prévu par l'article 145, ainsi conçu : « Tout fonctionnaire ou officier public qui, dans l'exercice de ses fonctions, aura commis un faux, soit par fausses signatures, soit par altération des actes, écritures ou signatures, soit par supposition de personnes, soit par des écritures faites ou intercalées sur des registres ou d'autres actes publics, depuis leur confection ou clôture, sera puni des travaux forcés à perpétuité.»

Nous allons examiner successivement chacune des importantes dispositions de cet article. Le fonctionnaire ou officier public qui a commis un faux n'est passible de la peine portée par l'article 145, qu'autant que ce faux a été commis dans l'exercice de ses fonctions. Il suit de cette condition, formellement établie dans la loi, que les faux commis par un fonctionnaire public, même dans des écritures publiques, ne rentrent pas dans les termes de cet article, si ces actes ne constituent pas un acte de ses fonctions. Il en résulte encore qu'ils sont réputés commis hors de ses fonctions, toutes les fois que le jury n'a pas positivement déclaré cette circonstance.

La Cour de cassation a reconnu cette double conséquence. Dans une première espèce, la question avait été posée au jury de savoir si un accusé, ex-notaire, était coupable d'avoir com

[3] Arr. cass. 3 mai 1832.

mis un faux en écritures publiques, avec la circonstance que l'altération avait été commise dans l'exercice de ses fonctions de notaire; et le jury avait répondu : L'accusé est coupable du crime énoncé en la question. La Cour considéra «< que cette déclaration ne répondait que sur le fait principal du faux commis dans un acte public, et qu'elle laissait sans réponse la circonstance si ce faux avait été commis par l'accusé dans l'exercice de ses fonctions; que cette circonstance était néanmoins aggravante et pouvait seule donner lieu à l'application de la peine [1]. » En conséquence, l'arrêt qui avait appliqué les peines dont l'officier public est passible, quand il commet le crime dans l'exercice de ses fonctions, fut annulé.

Dans une deuxième espèce, un notaire était accusé d'avoir, comme notaire, fabriqué un faux testament notarié : la circonstance de la perpétration du faux, comme notaire, était donc l'élément constitutif de l'un des caractères de la criminalité du fait imputé. Néanmoins l'arrêt de condamnation n'énonça point si c'était ou non comme notaire qu'il avait commis le faux; en cela il omettait de statuer sur une partie intégrante de l'accusation; et, de même que dans la première espèce, il fut annulé [2]. Les actes commis dans l'exercice des fonctions sont les actes du ministère même des fonctionnaires. Il ne suffirait donc pas que le faux eût été fabriqué, pendant l'exercice des fonctions, il faudrait qu'il fût une conséquence et une suite de ces fonctions. Cette distinction a été tracée avec précision par la Cour de cassation dans l'espèce d'un notaire qui avait frauduleusement écrit sur les minutes de plusieurs actes le certificat de l'enregistrement avec la signature du receveur. La Cour reconnut : « que la fausse quittance des droits d'enregistrement n'était point un acte du ministère d'un notaire; que ces faux étaient étrangers à la substance des actes par lui reçus, aux faits ou conventions que ces actes avaient pour objet de constater [3]. » Le fait ne constituait donc que le faux déterminé par l'article 147,puisqu'il se réduisait à la fabrication de l'écriture et de la signature d'un officier public pour former une preuve de paiement et de décharge de droits dus au trésor.

avait, en sa qualité, délivré des expéditions de ces actes avec la fausse mention de l'enregistrement; car l'expédition des contrats notariés est un acte du ministère des notaires, et la mention de l'enregistrement est un fait qui doit être énoncé dans l'expédition de ces contrats. La fausse mention de cet enregistrement est donc une exécution qui constate comme vrai un fait qui est faux et dont l'énonciation rentrait dans la subtance de cette expédition [4]; dès lors cette mention a été écrite dans l'exercice des fonctions du notaire, et le crime de faux peut étre imputé au fonctionnaire.

L'officier public qui, depuis qu'il a cessé ses fonctions, commet en vertu de son ancienne qualité un acte de ces mêmes fonctions qu'il antidate, doit-il être considéré comme ayant agi dans leur exercice? Cette question paraît avoir été résolue affirmativement par un arrêt de la Cour de cassation, rendu dans l'espèce d'un maire qui, depuis sa révocation, avait signé la commission d'un garde champêtre, en la reportant par sa date à une époque antérieure à cette révocation [5]. Nous ne pensons pas que cette solution soit fondée. Dès qu'il a cessé ses fonctions, l'officier public rentre dans la classe des simples particuliers; s'il usurpe, avec une intention criminelle, une qualité qui ne lui appartient plus, il est dans la même position que s'il usurpait un titre qui ne lui aurait jamais appartenu; il commet un faux en écritures publiques, mais on ne pourrait soutenir sans une fiction évidente qu'il le commet dans l'exercice de ses fonctions, puisqu'il ne les exerce plus.

L'article 145, après avoir posé ce premier principe, énumère les divers modes de perpétration des faux commis par les fonctionnaires publics dans les actes de leur ministère. « L'article 145, a dit la Cour de cassation, n'a pour objet que les faux commis par les officiers publics dans les actes de leurs fonctions, au moyen desquels ces fonctionnaires détruisent ou altèrent les conventions qui avaient été stipulées et reconnues dans ces actes, ou bien donnent à ces actes, par de fausses signatures ou par des suppositions de personnes, un caractère d'obligation au préjudice de tiers qui n'y ont pas participé, ou enfin fabriquent, en leur qualité de fonctionnaires publics, des actes de leur

Mais la décision se modifierait si le notaire ministère entièrement faux [6]. »

[1] Arr. cass. 6 mai 1813.

[2] Arr. cass. 14 août 1830; S. 1831, 1, 32.

[3] Arr. cass. 27 janv. 1815; Dalloz, t. 15, p.` 425; S. 1815, 1, 214.

[4] Arr. cass. 14 juin 1821; Dalloz, t. 15, p. 432. [5] Arr. cass, 30 juin 1808; S. 1810, 1, 238. [6] Arr. cass. 27 janv. 1815; Dalloz, t. 15, p. 425; S. 1818, 1, 214.

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