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tures de commerce étaient rangés dans la même classe que les faux en écritures privées. Notre loi pénale n'a point adopté ce système. Elle a distingué parmi les écritures privées la classe des écritures de commerce, et elle en a formé une catégorie à part, pour en soumettre la falsification à une répression plus sévère.

« La sûreté et la confiance sont les bases du commerce, porte l'exposé des motifs, et ses actes présentent aussi de grands points de ressemblance dans leur importance et dans leur résultat avec les actes publics : la sûreté de leur circulation, qui doit être nécessairement rapide, demande une protection particulière de la part du gouvernement. Ces motifs et la facilité de commettre des faux sur les effets de commerce ont déterminé la gravité de la peine qui a pour objet leur altération. >>

Nous avons apprécié précédemment la valeur de ces causes d'aggravation de la peine. Constatons seulement ici, d'après l'exposé des motifs, qu'elles consistent dans la rapidité de la circulation des effets de commerce et dans la facilité que cette circulation offre au succès du faussaire. Nous verrons tout à l'heure que la loi n'a pas toujours été fidèle à cette théorie, et que ses dispositions ont porté plus loin que sa pensée.

L'article 147 confond dans les mêmes termes les faux commis en écritures publiques et en écritures de commerce. Les différents modes de perpétration qui ont été énumérés dans le chapitre précédent s'appliquent donc complétement à celui-ci : ce sont les mêmes règles et les mèmes restrictions; il serait superflu de les déve lopper de nouveau. Ce que nous avons dessein d'examiner maintenant, ce sont les caractères de l'écriture commerciale et les éléments constitutifs de cette circonstance aggravante du faux.

Le Code pénal, en établissant des peines spéciales contre les faux en écritures de commerce a omis de définir le caractère de ces écritures. Il est résulté de cette omission que la jurisprudence a eu recours aux dispositions du Code de commerce. Aux termes des articles 189 et 636 de ce Code on doit entendre par écritures de commerce, celles qui sont émanées de commerçants et qui ont pour cause des actes de commerce. Mais cette définition, qui peut découler des principes du droit commercial, est peut-être trop générale et trop étendue dans son application à la législation pénale.

En effet, quelle a été l'intention du législateur en frappant d'une peine plus grave les faux en écriture de commerce? Nous venons de le voir, ce n'était point de protéger d'une garantie nouvelle la bonne foi qui doit régner dans les

opérations commerciales; la bonne foi n'est pas moins nécessaire dans les transactions civiles que dans celles qu'opère le commerce. Ses motifs étaient de protéger les écritures de commerce dont la circulation facilite l'altération et en accroît les périls, et surtout de rassurer les tiers que peuvent atteindre les faux commis dans cette espèce d'écritures. Pour obéir à cette pensée, l'art. 147 ne devait donc comprendre dans ses dispositions que les actes dont la circulation est rapide et qui peuvent réfléchir contre des tiers, tels que les effets de commerce. Quant aux autres écritures qui se passent de commerçant à commerçant, et dont personne autre que les stipulants ne peut être victimes on ne voit pas réellement de raison pour les placer hors du droit commun, pour les distinguer des écritures privées, pour frapper leur falsification d'une peine plus forte.

Mais la loi commerciale n'a point dû faire cette distinction; elle a nommé avec raison écritures de commerce toutes celles qui se rattachent aux actes de commerce. Il en résulte qu'en transportant cette définition dans la loi pénale, on étend les dispositions de cette loi au-delà de leur véritable sens, on en élargit les termes, on applique en un mot la peine aggravée à des actes pour lesquels elle n'a point été faite. Mais si nous avons dû faire remarquer cette espèce de contradiction entre la raison de la loi et son texte, il est évident que ce texte est trop explicite et trop formel pour qu'il puisse être éludé.

C'est nécessairement au Code de commerce qu'on doit emprunter les règles qui servent à discerner les écritures commerciales des écritures privées, et ce sont ces règles que nous allons appliquer.

Pour que les écritures soient réputées commerciales, il n'est pas nécessaire qu'elles réunissent la double condition d'émaner d'un commerçant et de se rattacher à une opération de commerce.Il suffit, en général, que l'une ou l'autre de ces deux conditions soit constante. Ainsi ; lorsque l'écriture émane d'une personne qui n'a pas la qualité de commerçant, la seule condition exigée pour qu'elle prenne un caractère commercial, est qu'elle ait pour objet un acte de commerce. Mais lorsque l'auteur de l'écriture est commerçant, est-il superflu de consta ter en outre le caractère de l'opération ?

Il semble résulter de l'article 189 du Code de commerce, que la seule qualité de marchand du souscripteur d'un billet suffit pour imprimer à ce billet un caractère commercial, sans qu'il soit besoin de rechercher l'objet auquel il s'appliquait. Tel est aussi le sens que la jurispru

dence lui a reconnu [1]. Dans l'esprit de cette jurisprudence que fortifie d'ailleurs le texte de l'article 638 du même Code, tous les actes souscrits par un commerçant sont frappés par la présomption qu'ils ont trait à son commerce[2], Si l'acte ne porte pas lui-même la preuve d'une autre cause, c'est à l'accusé à prouver, comme une exception, que le fait auquel il se rattachait n'était pas un fait commercial jusqu'à cette preuve, la signature fait foi suffisante de la nature de l'écrit.

Cette règle, que les termes de la loi ne permettent pas de mettre en doute, peut toutefois donner lieu à une observation. La qualité du souscripteur d'un écrit peut être un indice du caractère de cet écrit, mais n'en est point une preuve. Uu commerçant peut souscrire des billets comme propriétaire, et pour tous autres faits que ceux de son commerce. Il semblerait donc plus rationnel de ne déterminer la nature de l'écriture que d'après les caractères intrinsèques de l'acte fabriqué ou altéré, et ses relations avec des opérations commerciales. On substituerait ainsi à une présomption qui peut égarer, la certitude qui résulte d'un fait toujours facile à établir.

L'article 632 du Code de commerce énumère les actes que la loi répute actes de commerce toutes les écritures qui ont pour objet l'un de ces actes sont des écritures commerciales; il suffit donc de prouver que ces écritures sont relatives soit à un achat de marchandises destinées à être revendues, soit à une entreprise industrielle, soit enfin à une opération de banque ou de courtage. Cependant les mêmes preuves ne sont pas exigées pour toutes les espèces d'écritures.

La lettre de change, quelle que soit la personne qui l'a souscrite, constitue par elle-même un acte de commerce. C'est ce qui résulte de l'article 632 du Code de commerce, portant : « La loi répute actes de commerce les lettres de change ou remises d'argent faites de place en place entre toutes personnes. » Il n'est donc pas nécessaire d'établir que la lettre de change émane d'un commerçant, ou qu'elle a pour objet un acte de commerce; il suffit que le fait de cette lettre de change soit constaté pour qu'il y ait

[1] Voy. cependant un arrêt de la Cour de Paris. du 2 mars 1836.

[2] Arr. cass. 26 déc. 1828, 2 avr. 1835; S. 1835, t. 1, p. 628; Br. 12 mars 1825, J. de B. 1825, 2, 170; J. du 19e s., 1825, 3, 169; Dalloz, t. 4, p. 354 et 356.

acte de commerce [3]. Toutefois cette règle reçoit une exception lorsque la lettre de change ne vaut que comme simple promesse. Tel est le cas où elle renferme une simulation du nom des parties, ou porte la signature d'une femme non commerçante; elle cesse alors d'être réputée acte de commerce.

Le billet à ordre ne constitue point en luimême un acte de commerce; il ne prend ce caractère que lorsqu'il est souscrit par un commerçant, ou qu'il a pour cause une opération commerciale. Dans l'absence de l'une ou de l'autre de ces deux conditions, le billet n'est plus qu'un engagement privé.

Ainsi la fausse signature apposée au bas d'un billet à ordre causé valeur en marchandises ne constituerait qu'un faux en écriture privée, si la signature n'est pas celle d'un commerçant, et s'il n'est pas constaté que le billet a pour objet une opération commerciale: car, et nous citons les termes d'un arrêt, « bien que ce billet soit à ordre, il ne saurait constituer par cela même un acte de commerce; la mention qu'il a été tiré valeur en marchandises ne présente pas un caractère commercial vis-à-vis du tireur, puisque le bénéficiaire était marchand, et que le propriétaire qui souscrit un billet à ordre à un marchand pour prix de marchandise à lui vendues pour sa consommation ne fait pas acte de commerce [4]. »

Il en est de même de la transmission par endossement de billets à ordre; cette transmission, lorsqu'ils ne constituent que de simples obligations civiles, n'est point un acte de commerce, à moins qu'elle n'ait pour cause une opération commerciale entre négociants. Ainsi l'insertion des mots ou à son ordre dans une promesse civile, afin de la rendre transmissible, n'en change point la nature, et ne transforme point cette promesse en billet de commerce [5].

Lorsqu'un billet à ordre qui n'a point pour cause une opération de commerce est endossé par un commerçant, cet endossement, fût-il un acte de commerce, ne change nullement la nature civile du billet, et par conséquent le faux commis dans ce billet ne cesserait pas d'être un faux en écriture privée [6]. Si le billet est d'une nature commerciale et qu'il soit endossé par un

[3] Arr. cass. 3 janv. 1828; 15 juin 1827;26 janv. 1827; 14 juin 1832; S. 1828, 1, 37, 39. [4] Arr. cass. 2 avr, 1835. S. 1835, 1, 328. [5] Arr. cass. 26 janv. 1827; S. 1828, 1, 37. [6] Arr, cass, 23 mars 1827; S. 1827, 1. 479.

individu non commerçant, le faux commis dans cet endossement sera encore un faux en écriture privée. car la nature du billet ne peut donner à l'endossement un caractère autre que celui qui lui est propre [1]. Si cet endossement constituait lui-même un acte de commerce, il est évident que la solution ne serait plus la même.

Mais lorsqu'un billet à ordre est à la fois souscrit et endossé par des individus non commerçants et des individus commerçants, doit-on le considérer comme une écriture commerciale? La Cour de cassation a jugé l'affirmative, en se fondant sur l'indivisibilité et sur ce que la signature d'une seule personne commerçante suffit pour imprimer au billet un caractère commercial [2]. Toutefois, il faut observer que si le faux ne porte que sur la signature d'un individu non commerçant, il ne doit pas être réputé fait en écritures de commerce. Ce n'est que dans le cas où le billet entier aurait été fabriqué ou sa substance altérée, que la signature commerciale apposée à sa suite pourrait réflé chir son caractère sur l'acte lui-même.

Nous avons vu que le Code de commerce considérait comme écritures commerciales d'autres actes que les lettres de change et les billets à ordre: tels sont les livres de commerce, auxquels la loi a conféré une sorte d'authenticité; telles sont les lettres adressées de marchand à marchand et contenant demande de marchandises [3], et les quittances données par un banquier, dans une opération de commerce [4]. Ces différentes écritures, quoiqu'elles diffèrent essentiellement des effets transmissibles, doivent néanmoins être réputées écritures de commerce, dans le sens de l'article 147 du Code pénal, puisque cet article ne fait nulle distinction, et qu'on est dès lors forcé ainsi que nous l'avons déjà fait observer, de s'en référer aux définitions du Code de commerce.

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connaissances que la loi a dû lui supposer. En effet, la valeur légale de l'écrit altéré ne peut être jugée que d'après les principes de la loi civile ou commerciale, que le jury peut ne pas connaître et qu'il ne doit pas invoquer [5].

Mais il doit, à peine de nullité, déclarer toutes les circonstances constitutives de l'écriture commerciale. Ainsi, lorsque le faux a été commis dans une lettre de change, le jury doit constater l'existence de cette lettre de change; s'il a été commis dans un billet à ordre, il doit déclarer ou que ce billet a été souscrit par un individu ayant la qualité de commerçant, ou que l'opération à laquelle il se rattachait était une opération de commerce. Et c'est seulement sur ces éléments ainsi constatés que la Cour d'assises doit légalement caractériser l'écriture.

Ces principes n'ont point été méconnus par la Cour de cassation. En conséquence elle a jugé en propres termes que le crime est dépourvu de toute base, lorsque le jury n'a pas reconnu tous les faits constitutifs de l'écriture commerciale, et que, par exemple, il doit constater, à peine de nullité, si les effets falsifiés sont des lettres de change, ou, dans le cas où ces effets sont des billets à ordre, si la signature qu'ils por tent est celle d'un commerçant, et s'ils puisent leur cause dans une opération commerciale [6].

Il ne suffit donc pas que le billet à ordre altéré porte valeur en marchandises; s'il n'est pas déclaré que le signataire avait la qualité de commerçant ou que le billet provenait d'un fait de

commerce, l'écriture n'est plus qu'une écri ture privée [7]. Il en est de même à l'égard de l'accusé qui est déclaré coupable d'avoir commis un faux en écriture en fabriquant un faux billet à ordre ; il est évident que cette déclaration n'établit qu'un faux en écriture privée, puisque le billet n'est déclaré par le jury ni l'œuvre vraie ou supposée d'un commerçant, le résultat d'un acte de commerce [8].

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ni

Mais il suffit qu'il soit déclaré, ainsi que nous l'avons reconnu plus haut, que le faux billet a été souscrit par un commerçant pour que l'écriture soit commerciale, « attendu qu'aux termes de l'article 638 du Code de commerce les billets souscrits par un négociant sont censés faits pour son commerce, à moins qu'une autre cause n'y

1827; 4 déc. 1828; 2 avr. 1831; 5 janv. 1833; S. 1828, 1, 37.

[6] Arr. cass. 26 janv. 1826; 15 juin 1827; 26

[4] Arr. cass. 28 mai 1825; 19 août 1830; S. 1826, déc. 1828; 14 juin 1832; 5 janv. 1833; S. 1828, 1, 39.

1, 89.

[3] Arr. cass. 7 oct, 1825; 1er avr. 1826; 26 janv.

[7] Arr. cass 2 avr. 1835; S. 1835, 1, 328. [8] Arr. cass. 18 juin 1831.

soit énoncée; qu'ainsi le fait d'avoir fabriqué ture. A la vérité cette appréciation constitue

un faux billet souscrit de la fausse signature d'un commerçant, constitue le faux prévu par l'article 147 du Code de commerce [1]. »

Il y a également faux de la même nature dans le fait reconnu constant d'avoir fabriqué une lettre adressée à un marchand sous le nom d'un autre marchand, et contenant demande de marchandises [2]. Car, d'une part, cette lettre est évidemment commerciale, de l'autre elle oblige celui dont elle porte la signature; et nous avons vu précédemment que tous les écrits relatifs au commerce devaient rentrer dans les écritures de commerce énoncées par l'article 147, pourvu d'ailleurs qu'ils renfermeut obligation ou décharge, ou qu'ils soient destinés à constater le fait objet de l'altération. Les mêmes motifs s'appliquent à l'addition frauduleuse, dans une quittance donnée de commerçant à commerçant, d'une deuxième quittance intercalée dans la première [3]; à la falsification de ses registres de commerce, par un individu commerçant [4]: dans ces diverses hypothèses, la qualité de commerçant domine le fait et lui impose sa qualification.

Si l'écriture émane d'un individu non com merçant, le jury est appelé à apprécier la nature de l'opération qui a donné lieu à cette écri

souvent une véritable question de droit ; mais il est possible d'éviter cet écueil en demandant au jury, non pas si tel acte est un acte de commerce, mais si tel achat de marchandises a été fait pour les revendre; si telle opération a eu pour objet une entreprise commerciale, etc.

Toutes les circonstances du fait appartiennent exclusivement au jury : l'auteur du faux ne peut donc être réputé commerçant qu'autant qu'il a été déclaré tel par les jurés. A la vérité cette qualité n'est point décisive de la nature du faux lui-même ; la nature du faux ne se détermine pas par la qualité de la personne qui l'a commis, mais par les caractères intrinsèques de l'acte ou de l'écriture falsifiés; mais elle peut exercer quelque influence sur cette appréciation, et dès lors il rentre dans la domaine du jury de la résoudre [5].

Telles sont les règles sépciales qui s'appliquent aux faux commis dans des écritures de commerce; elles se bornent à ce qui concerne la constatation des circonstances élémentaires de cette espèce de faux L'aggravation de la peine est subordonnée à l'existence de ces circonstances; si elles ne sont pas déclarées constantes, le faux peut subsister encore, mais seulement en écriture privée.

CHAPITRE XXV,

DU FAUX EN ÉCRITURE PRIVÉE. C'EST LE FAUX SIMPLE OU DÉNUÉ DE CIRCONSTANCES AGGRAVANTES. PENALITÉS. DE LA PEINE accessoire de L'EXPOSITION PUBLIQUE DIFFÉRENTS MODES DE PERPÉTRATION. DU FAUX PAR ALTÉRATION D'ÉCRITURES.

SI LA CONTREFAÇON D'UN Billet de médeCIN POUR OBTENIR DES SUBSTANCES VÉNÉNEUSES

CONSTITUE UN FAUX DE CETTE NATURE.

DU FAUX PAR FABRICATION DE CONVENTIONS

LE PAUX PAR SUPPOSITION DE PERSONNES PEUT ÊTRE COMMIS EN ÉCRITURES PRIVÉES. DE QUELLE PEINE EST PASSIBLE LE PORTEUR D'UN BLANC SEING QUI SE REND COMPLICE DE LA FALSIFICATION COMMISE PAR UN TIERS? DU FAUX PAR ALTÉRATION DE FAITS DANS DES ACTES DESTINÉS A LES CONSTATER. — DANS QUELS CAS LES FAUX CERTIFICATS RENTRENT DANS LA CLASSE DES FAUX EN ÉCRITURES PRIVÉES. (COMMENTAIRE DE L'ART. 150 DU CODE PÉNAL.)

Le faux en écriture privée est le faux simple, c'est-à-dire dégagé des circonstances aggra

[1] Arr. cass. 9 juill. 1835. [2] Arr. cass, 2 avr. 1831.

[3] Arr. cass. 19 août 1830.

vantes de l'écriture publique et de l'écriture commerciale. La disparition de ces circon

[4] Arr. cass. 27 janv. 1827; S. 1827, 1, 486. [5] Arr. cass. 5 janv. 1833 et 12 déc. 1832.

stances ne fait donc que modifier le caractère du crime, sans en altérer la nature; il retombe dans la classe du faux que comprend l'article 150. Cet article est ainsi conçu: «< Tout individu qui aura, de l'une des manières exprimées en l'article 147, commis un faux en écriture privée, sera puni de la reclusion. >>

Le seul point nouveau qui soit établi par cet article consiste à modifier la peine portée par les articles précédents. En général, la peine de la reclusion nous semble en parfaite harmonie avec la gravité du crime de faux : nos doutes ont pu porter sur la nécessité d'élever la peine par cela seul que l'écriture falsifiée changeait de caractère et se trouvait classée parmi les actes publics ou de commerce; mais, considéré en lui-même, le faux nous paraît, en thèse générale, avoir la même valeur morale que la circonstance aggravante qui şert à faciliter et à accomplir le vol. Le choix de la peine de la reclusion place même, dans l'économie générale du Code, ces deux crimes sur la même ligne, et leur assigne, dans la pensée du législateur, une valeur identique.

Toutefois l'article 165 ajoute à cette peine, comme un accessoire indispensable, la peine de l'exposition publique. C'est ici le lieu d'examiner si cette peine, appliquée sans distinction à tous les auteurs et complices des faux, n'eût pas du subir quelques restrictions. La loi, qui accordait aux faux en écritures publiques ou en écritures commerciales un caractère plus grave, pouvait l'attacher à ces crimes; les motifs qui lui faisaient aggraver la peine pouvaient s'étendre jusqu'au mode de son exécution: mais la distance même que le législateur plaçait entre ces crimes et le faux en écriture privée ne commandait-elle pas une distinction à l'égard de ce dernier crime? En principe général, l'exposition n'est que facultative quand elle s'applique à des peines temporaires. La loi n'a fait à cette règle que deux exceptions: l'une qui concerne une classe de condamnés, les condamnés en récidive; l'autre une classe de crimes, les crimes de faux. L'exception relative aux coupables en récidive peut se justifier: la récidive signale un agent dangereux et corrompu. La loi ne frappe pas au hasard en le frappant; l'exemplarité plus grave que l'exposition imprime à sa peine serait même, si l'exposition n'était pas destructive de tout amendement moral, un juste moyen de répression. Mais l'application absolue de cette peine à toute une classe de crimes n'est pas aussi facile à motiver. Sans doute le faux révèle, en général, une immoralité grave, et ses dangers sont manifestes; mais ce crime n'a-t-il pas,

CHAUVEAU. T. II.

comme tous les crimes qui portent atteinte aux propriétés, ses degrés et ses nuances? Est-il certain que l'agent mérite dans tous les cas d'être voué à l'infamie d'une exposition publique? Seul entre les condamnés à des peines temporaires, le faussaire ne doit-il connaître ni le repentir, ni le retour à la probité? Et si ce retour n'est pas impossible, pourquoi lui en fermer la voie, en élevant une barrière entre la société et lui? Cette rigoureuse disposition a pris sa source dans l'ancien article 165 qui flétrissait de la marque tous les condamnés pour faux, et cet article lui-même ne puisait ses motifs que dans la législation précédente. « La marque, disait M Berlier, rarement applicable à des peines temporaires, sera pourtant infligée à tout faussaire condamné aux travaux forcés à temps ou à la reclusion; c'est l'état actuel de la législation, et il était difficile de le changer pour un crime qui inspire à la société de si vives alarmes, et dont les auteurs ne sauraient être trop signalés. »>

Dans la discussion de la loi du 28 avril 1832, la chambre des pairs reprit l'article 165 que l'autre chambre avait aboli, et substitua l'exposition à la marque. «Comme le faux, disait l'un des membres de la commission, est un des crimes les plus graves qu'on puisse connaître, votre commission a pensé qu'il n'y avait aucune raison de diminuer les peines dont ce crime était frappé, et en conséquence elle propose de remplacer la peine de la marque par celle de l'exposition publique. » Cependant un pair avait proposé de rendre, dans ce cas même, l'exposition facultative. «Quand il y a des circonstances atténuantes, disait-il, la Cour d'assises doit appliquer une peine d'un ordre inférieur cette peine pour le cas de faux en écriture privée se ra l'emprisonnement, peine à laquelle n'est point attachée l'exposition; en sorte qu'il n'y a pas de peine intermédiaire entre la reclusion avec exposition et la peine correctionnelle de l'emprisonnement. Il semble qu'il serait plus rationnel de donner aux Cours d'assises le droit, quand il y aura des circonstances alténuantes, de prononcer la reclusion sans exposition. »> Cette objection provoqua une explication: « La commission, fut-il répondu, pense que, comme ce crime, si honteux qu'il soit, est commis quelquefois par des gens qui tiennent un certain rang dans la société, laisser aux jurés le droit facultatif de prononcer l'exposition, serait les mettre dans une position fort embarrassante, en les exposant aux persécutions ou à la haine des familles des condamnés. »>

Cette réponse est peu concluante. D'abord ce n'est point le jury, mais la Cour d'assises elle

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