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serait une violation flagrante de la règle de la mis est sensible: si celui-ci abuse de l'autorité chose jugée.

L'article 174 paraît, à la première vue, former une troisième catégorie des percepteurs des droits, taxes, contributions, deniers, revenus publics ou communaux : il semblerait que ces percepteurs, placés à côté des fonctionnaires ou officiers publics, pourraient être accusés de concussion, encore bien qu'ils n'eussent pas cette dernière qualité. Cette opinion serait erronée : si l'article 174, dans sa disposition énonciative, comprend tous percepteurs de droits ou revenus publics ou communaux, ee n'est qu'en supposant qu'ils peuvent avoir la qualité de fonctionnaires ou d'officiers publics; en effet, il ne les rappelle point dans la nomenclature de ses dispositions pénales; ces percepteurs ne peuvent donc être compris dans cette disposition générale qu'en la qualité de fonctionnaires ou d'officiers publics, et conséquemment cet article ne leur est applicable que d'après le cas seulement où ils peuvent être réputés avoir cette qualité. C'est en adoptant cette interprétation que la Cour de cassation a jugé que le fermier des droits d'une halle communale n'était pas passible des dispositions de l'article 174.

La deuxième catégorie des agents auxquels s'applique cet article sont les commis et préposés des fonctionnaires et officiers publics: ces préposés ont agi en vertu de l'autorité que ces fonctionnaires leur ont conférée, c'est donc la même action avec les mêmes caractères de criminalité; seulement la peine est moins grave, parce que la responsabilité n'est que secondaire. « Je n'ai pas besoin, disait l'orateur du gouvernement, de justifier cette différence dans la peine, quoiqu'il s'agisse du même délit investi d'un plus haut caractère, celui qui doit aux autres citoyens l'exemple d'une conduite pure et sans tache est bien plus repréhensible quand il tombe en faute; il doit donc être puni davantage. »

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Les Codes de Naples et de Prusse ont supprimé cette distinction: une peine uniforme frappe les officiers publics et les commis ou préposés [1]. En principe, le droit pénal doit se garder des généralités : omettre de tenir compte de la nuance qui sépare deux criminalités est une injustice, car c'est punir d'une peine égale deux délits inégaux. Or, dans notre espèce, la diffé rence qui sépare le fonctionnaire et son com

[1] Voy. lois pénales de Naples, art. 196 et 197; Code prussien, art. 337, 413, 421, 422, 425. [2] L. 1, C. ad leg. Jul repetund.

tra

qu'il exerce, cette autorité ne lui est point personnelle, il ne l'exerce que par délégation, c'est plutôt un abus de confiance qu'un abus d'autorité. L'officier public, au contraire, hit le dépôt qu'il tient de l'État; il abuse de la puissance qui a été remise entre ses mains; il viole, outre le devoir moral que lui traçait sa conscience, celui que lui imposaient ses fonctions. En outre, le danger du crime n'est pas le même : les pouvoirs limités d'un commis ne lui permettent ni les mêmes actes ni les mêmes exactions. C'est donc avec raison que la loi a mesuré deux degrés de pénalité.

Mais, si ce fonctionnaire avait connu les exactions de son commis, il serait réputé les avoir autorisées, et devrait dès lors être considéré comme complice. La loi romaine le déclarait, dans tous les cas, responsable de ces actes [2], et les effets de cette responsabilité s'étendaient, suivant un ancien auteur, jusqu'à la peine elle-même : « Sed dato quod non concludenter ipsum prætorem fecisse probatur, concludenter probatur factum fecisse per comites, socios ac famulos qui circa eum erant. Et ex hoc pariter tenebatur ad pœnam sicut ipse fecisset; quia præses, præfectus, vel prætor, non solùm tenetur de his quæ fecit, sed etiam de his quæ patrata sunt per personas interpositas, comites, socios, famulos vel cognatos [3]. » Il faut entendre par commis ou préposés les individus qui n'ont pas personnellement de caractère public, et qui n'agissent pas dans les actes de leurs fonctions en leur propre nom et dans leur intérêt. La ligne qui sépare le fonctionnaire et le simple préposé a paru quelquefois indécise. La Cour de Colmar avait rangé la concussion commise par un préposé des douanes dans la deuxième catégorie de l'article 174, La Cour de cassation a annulé cette décision en se fondant sur ce que : « un préposé des douanes n'est ni le commis ni le préposé d'aucun fonctionnaire ou officier public; qu'il exerce une autorité personnelle au nom de la loi, par le droit qu'elle lui donne de concourir à la rédaction des procès-verbaux qui doivent être crus jusqu'à inscription de faux; qu'il est un agent du gouvernement, et qu'en cette qualité il ne peut être poursuivi, pour faits relatifs à ses fonctions, qu'en vertu de son autorisation ou de celle des agens supérieurs auxquels il a

[3] Estantz, dans son Traité criminel, édit, de Lyon, 1738, controv. 61, no 34.

délégué le pouvoir de l'accorder; qu'exerçant ainsi ses attributions comme agent du gouvernement, étant investi, dans cet exercice, d'une portion de l'autorité publique, un préposé des douanes est donc nécessairement un fonctionnaire ou officier public. (1).

La même question s'est élevée à l'égard des concierges des prisons, et la même solution lui a été donnée : « attendu que les fonctions que remplissent les geòliers et concierges des maisons d'arrêt et de toutes autres de détention sont personnelles, qu'ils les remplissent en leur propre nom, sous leur responsabilité légale, et qu'ils ne sont ni les mandataires ni les commis ou préposés d'aucun fonctionnaire, même de ceux qui ont sur leur conduite, dans la place qui leur est confiée, un droit plus spécial de surveillance [2]. » Ces exemples suffisent pour faire saisir le double caractère des deux classes d'agents dont l'art. 174 a prévu les malversations.

La deuxième condition requise pour l'existence de la concussion est l'illégitimité de la perception : c'est là le fait matériel qui forme la base même du crime. Une perception, quelque vexatoire qu'elle soit, si elle se fonde sur le droit, ne peut être l'objet d'une action répres sive. La perception est illégitime lorsqu'elle n'est pas régulièrement autorisée par la loi ou les règlements, lorsque, légale en elle-même, elle a pour objet une somme que la partie a déjà payée ou qu'elle ne devait pas, enfin lorsqu'elle excède les droits, taxes ou salaires que l'officier public devait recevoir : quo magis quid ex officio suo faceret.

S'il s'agit de la perception d'une contribution publique, elle est illégale si elle n'est pas formellement établie par la loi. Il suffit de rappeler sur ce point l'article 94 de la loi du 15 mai 1818, reproduit depuis dans les diverses lois de finances : « Toutes contributions directes ou indirectes, autres que celles autorisées ou maintenues par la présente loi, à quelque titre et sous quelque dénomination qu'elles se perçoivent, sont formellement interdites, à peine contre les autorités qui les ordonneraient, contre les employés qui confectionneraient les rôles et ceux qui en feraient le recouvrement, d'ètre poursuivis comme concussionnaires, sans préjudice de l'action en répétition, pendant trois années, contre tous receveurs, percepteurs ou individus

[1] Arr. cass. 21 avr. 1821; Dalloz, t. 16, p. 324.

[2] Arr. cass. 26 août 1824; S. 1825, 1, 77.

qui auraient fait la perception, et sans que pour exercer cette action devant les tribunaux il soit besoin d'une autorisation préalable. » S'il s'agit d'une taxe, d'un salaire, d'une rétribution quelconque, il est nécessaire, pour qu'ils soient réputés légitimes, qu'ils prennent leur source, sinon dans une loi, au moins dans un règlement pris par l'administration en exécution de la loi, et dans le cercle de ses attributions. Nous avons examiné précédemment la question de savoir si les avoués et les huissiers qui exigent d'autres taxes que celles qui leur sont allouées par les tarifs peuvent rentrer dans les termes de l'article 174.

Le caractère distinctif de la concussion était, dans la loi romaine, d'exiger les sommes indûment reçues : les violences, les menaces, l’nsage et l'abus de l'autorité en un mot, étaient considérés comme des circonstances pour ainsi dire constitutives du crime « Committiturconcussio, dit Farinacius, quandò quis in officio constitutus aliquid à subditis per metum extorquet [3]. » Dans notre droit actuel, la même incrimination atteint et le fonctionnaire qui exige une somme qui n'est pas due, et celui qui, sans l'avoir exigée, s'est borné à la recevoir; la seule illégalité de la perception peut motiver l'action pénale, alors même que cette perception est isolée de toutes circonstances aggravantes.

Cette interprétation, puisée dans le texte de l'article 174, donna lieu, lors de la rédaction du Code, à la commission du Corps législatif, de faire observer « qu'il conviendrait, pour caractériser pleinement le crime en cette circonstance, de réunir les deux faits, savoir celui d'exiger et celui de recevoir. Exiger sans recevoir, c'est manifester l'intention sans compléter le crime; recevoir après avoir exigé, c'est manifester l'intention et consommer. Celui qui exige ce qui n'est pas dû peut être refusé ou se tromper: la condition serait entièrement juste si l'on mettait ces mots en exigeant et recevant. » Le changement proposé en cet article consistait donc à remplacer ou par et. Le Conseil d'état répondit : « que la conjonctive absoudrait celui qui aurait reçu sans avoir exigé, et que ce délit, beaucoup plus commun que l'autre, est tout aussi digne de répression. » L'amendement fut en conséquance rejeté [4]. La loi prussienne a appliqué au crime de con

[3] Quæst. 111, no 43.

[4] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 9 janv. 1810.

cussion une pénalité graduée sur la quotité des sommes perçues, et dont notre Code a limité l'application aux soustractions ou détournements de deniers. Si la somme illicitement perçue n'excède pas 150 fr., la peine. se réduit à l'incapacité de remplir aucun emploi public; si cette limite est excédée, la peine estune détention de deux à quatre années dans une maison de correction. Les parties lésées ont droit, de plus, au quadruple de la somme qui a été levée injustement sur eux (art. 413, 421 et 422). Il nous semble que c'est avec raison qu'en cette matière notre Code a repoussé une telle distinction: lorsqu'il s'agit d'un détournement de deniers, la criminalité de l'agent s'échelonne dans une mesure presque certaine avec la quotité de la somme détournée. En matière de concussion il n'en est plus ainsi : la quotité du préjudice ne peut exercer, en effet, qu'une influence secondaire sur la gravité du délit, puisqu'on ne peut supposer à l'agent la pensée de faire un emprunt momentané et de restituer plus tard, pensée qui modifie le caractère du détournement. Une seule perception illégale suffit pour constituer la concussion, et la violation du devoir est la même, quel que soit le montant de cette perception.

Le troisième élément du crime est la connaissance que l'agent a dû avoir de l'illégalité de la perception; il faut qu'il soit constaté qu'il a exigé ou reçu ce qu'il savait n'être pas dù. Toute la moralité de l'action réside dans cette circonstance; car, en voulant que l'agent ait fait sciemment la perception illicite, la loi suppose nécessairement qu'il a agi avec mauvaise foi. Ainsi il n'y a point de concussion, dans le sens de la loi pénale, si la perception, bien qu'illégale, se fonde néanmoins sur une interprétation qui, quelque fragile qu'elle soit, peut l'excuser. On peut citer à l'appui de cette règle un avis du Conseil d'état du 16 juillet 1817, qui décide qu'il y a pas lieu de mettre en jugement un sous-préfet qui avait perçu un droit d'expédition sur la vente des biens communaux, parce que cette perception, établie ostensiblement et avouée par ce fonctionnaire, avait été basée sur une assimilation des biens commu. naux aux biens nationaux. Nous citerons encore un arrêt de la Cour de cassation qui déclare que le fait d'exiger irrégulièrement le paiement d'une amende à raison d'une contravention régulièrement constatée ne constitue pas un acte de concussion; les motifs de cet arrêt portent : « que dans l'espèce, il y avait un procès-verbal dressé par le préposé de l'octroi pour constater ce délit ; que ce procès-verbal avait été affirmé

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et déposé, et que le prévenu ne s'était point inscrit en faux pour le faire tomber; que dèslors tous les faits relatés dans le procès-verbal devaient être crus; que les mêmes faits présentant l'idée d'une contravention pour raison de laquelle la loi prononçait une amende, il en résulterait qu'en en réclamant le paiement, en sa qualité de préposé, il ne commettait point de concussion [1]. » On voit que, dans ces deux exemples, la somme exigée n'était pas due, puisque dans un cas il s'agissait d'un impôt que la loi n'avait point établi, et dans l'autre d'une amende qu'aucun jugement n'avait prononcée ; et cependant il n'y avait point de crime, parce que l'agent était de bonne foi, parce qu'il avait pu penser que la perception était licite, parce qu'en un mot il n'avait pas eu connaissance, dans le sens de la loi, de l'illégitimité de la perception, c'est-à-dire l'intention d'exiger une somme qui n'était pas due, et par conséquent de porter préjudice à la partie lésée.

Cette recette illicite peut constituer le crime, encore bien qu'elle n'ait point tourné au profit de l'agent. La loi, en effet, ne fait aucune distinction, et c'est d'ailleurs dans ce sens que la discussion du Conseil d'état l'a expliquée. M. Regnaud posait en principe: « qu'on devait punir comme concussionnaire quiconque percevrait ou ordonnerait de percevoir ce qui n'est pas alloué par la loi, lors même que la perception ne tournerait pas à son profit. » M. Berlicr fit observer qu'une règle aussi absolue pouvait soulever des difficultés : « Si un ordonnateur, dit-il, interprétant mal un règlement ou faisant une fausse application de tarif, prescrit à scs inférieurs une perception excessive, mais dont le produit tourne au profit da trésor public, deviendra-t-il concussionnaire? Quelque fatigantes que soient de telles personnes pour la société qu'elles vexent, et quelque intérêt qu'ait un gouvernement juste à réprimer leur faux zèle, on ne saurait voir en eux de vrais concussionnaires. » A ces objections il fut répliqué : « qu'une telle doctrine n'est propre qu'à introduire et faciliter les extensions de perception et la violation de la propriété ; que les tribunaux ne pouvaient réprimer de tels abus, puisqu'ils ne peuvent connaître des actes administratifs, et qu'il faut punir toute perception qui est faite au mépris des lois et des règlements. » M. Treilhard proposa en conséquence de substituer à

[1] Arr. cass. 28 mai an xш (Bull. p. 70).

ces mots employés dans le projet ce qu'ils savaient ne leur être pas dú, ceux-ci : ce qu'ils savaient n'être pas dû [1]. De cet amendement que le Code a adopté, il résulte que si la connaissance de l'illégitimité de la perception est un élément essentiel du crime, il n'en est pas ainsi du but que se propose l'agent, et que le fait, par conséquent, reçoit la même qualification, soit que la perception illégale soit faite au profit de l'Etat, soit qu'elle ait tourné au profit particulier de l'agent.

Mais cette règle absolue est-elle exacte? Le fonctionnaire mérite-t-il dans les deux cas la même peine? Est-ce le même crime qu'il a commis? La concussion est un délit complexe qui se compose de deux actes distincts: l'abus de pouvoir, qui est le moyen, et la soustraction de deniers, qui est le but.Or,si l'agent, lorsqu'il excède son autorité, a pour objet non son intérêt privé, mais l'intérêt de l'Etat, il est coupable encore d'un excès de zèle et d'une exaction; mais l'action n'a plus les caractères du vol, elle se modifie et perd l'un des éléments de sa criminalité. Cette distinction prend tellement sa base dans la conscience humaine, que les Codes étrangers l'ont adoptée. Le Code de Prusse dispose que les fonctionnaires «< qui, dans une intention coupable, vexent les citoyens dans la recherche, l'établis scment, la répartition ou la levée des contributions, doivent restituer à la partie lésée le quadruple de ce qu'ils ont reçu par une injuste exaction.» Mais, s'ils ont détourné à leur profit cette recette illicite, la pénalité change de nature: ils sont frappés d'incapacité d'exercer aucun emploi public, et de la reclusion de deux à quatre ans (art. 413 et 414). Le Code du Brésil fait la même distinction: « Si l'employé public fait une perception illicite, mais dans l'intérêt de l'Etat, la peine est la suspension de l'emploi de six mois à deux ans ; s'il s'approprie les deniers illégalement perçus, la peine est la perte de l'emploi, la prison de deux mois à quatre ans, et une amende proportionnée au dommage (article 135). » Les lois de Naples vont encore plus loin: « La concussion n'existe, dans cette législation, qu'autant que les officiers publics ou employés ont exigé pour leur profit particulier ce que la loi ne permet pas de recevoir (art. 196). » Cette dernière solution est la plus conforme aux définitions de l'ancien droit; tous les textes supposent que les exactions des fonc

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tionnaires avaient pour but leur intérêt personnel; ils n'incriminent leurs actes qu'autant qu'ils ont employé leur autorité pour extorquer de l'argent ou des présents [2]. Farinacius ne parle point de la concussion qu'il ne montre aussitôt son but : « Inducit ad sibi dandum numera aut pecuniam [3]. »Il est donc dans la nature des choses de ne pas faire abstraction, dans la distribution de la peine, du but que s'est proposé l'auteur de la concussion : si les deniers extorqués ont été détournés à son profit, sa culpabilité s'aggrave de toute la criminalité du vol, s'il n'a été mû au contraire, que par l'excès d'un faux zèle pour les intérêts de l'Etat, si les deniers perçus indûment ont profité au trésor, le crime n'est plus qu'un abus d'autorité, odieux sans doute, mais qui se dégage de l'immoralité du vol Le châtiment doit donc avoir deux degrés pour ces deux hypothèses.

Les préposés ou commis à une perception qui auraient exigé ou reçu ce qu'ils savaient n'être pas dû, pourraient-ils se justifier en se couvrant de l'ordre de leur supérieur? Cette question fut agitée lors de la rédaction de l'art. 174. M. Treilhard prétendait qu'il est impossible de constituer l'inférieur juge de l'ordre qu'il reçoit, et qu'il ne faut pas lui faire un crime d'avoir exécuté ce qui lui a été prescrit, sauf à punir le supérieur de qui l'ordre est émané. M. Berlier ne donnait pas à cette cause de justification des effets aussi larges : « Si un fonctionnaire, disait-il, autorise son inférieur à faire des perceptions indues, pour les partager ensuite avec lui, nul doute que tous deux ne soient coupables de concussion. » La loi, en n'exprimant aucune décision spéciale sur ce point, s'en est nécessairement référée au principe général de responsabilité posé dans l'art. 64. Or, il résulte de ce principe, ainsi que nous l'avons précédemment fait observer [4], qui si l'obéissance hiérarchique est un devoir, si la présomption de légitimité accompagne l'ordre supérieur, si enfin les agents qui l'ont exécuté sont en général justifiés par cet ordre, cette cause de justification n'est point absolue, et qu'elle cesse même lorsque la criminalité de l'ordre est évidente et que l'agent n'a pu le croire légitime. Cela posé, il est difficile qu'en matière de perception illicite, les commis ou préposés puissent méconnaître l'illégitimité de l'ordre qui

[3] Quæst. 111.

[4] V. notre t. 1, p 226.

leur serait donné; car les droits et taxes à percevoir sont clairement énoncés par les lois et les règlements; et l'on doit leur supposer, d'après les fonctions mêmes qu'ils exercent, assez de discernement et de lumières pour savoir où s'arrête la puissance de la perception. Ils se ront donc le plus souvent responsables d'une recette, même ordonnée par le fonctionnaire, dont ils dépendent, lorsque cette recette présentera ouvertement les caractères d'un délit ou d'un crime. Mais il est évident, ainsi que l'a fait remarquer M. Berlier, que cette complicité n'offrirait plus aucun doute, si les fruits de la concussion ont été partagés entre l'ordonnateur et les préposés.

L'effet de cette cause de justification devra êire restreint encore dans un cercle plus étroit, si l'ordre de perception illicite a été donné, non à un commis ou préposé, mais à un fonctionnaire public inférieur dans l'ordre hiérarchique au fonctionnaire ordonnateur. En effet, le fonctionnaire inférieur n'est point l'agent de l'ordonnateur, le lien de la dépendance est moins resserré; la loi, en lui confiant l'exercice d'une partie de la puissance publique, lui crée des devoirs plus rigoureux; enfin il ne doit au fonctionnaire supérieur que l'obéissance hiérarchique et seulement à l'égard des objets qui sont du ressort de celui-ci. Nous n'hésitons donc point à croire que, dans la plupart des cas, l'accusé du crime de concussion, qui serait investi d'une fonction publique, ne serait point admis à alléguer comme une excuse l'ordre d'un supérieur prescrivant la perception incriminée [1].

Nous avons examiné les trois éléments constitutifs de la concussion: chacune de ces circonstances est également substantielle à l'existence du crime; car, si l'agent n'est pas revêtu de la qualité de fonctionnaire ou de préposé, l'exaction qu'il commet peut avoir le caractère d'une escroquerie ou d'un vol, mais ce n'est plus un fait de concussion; si l'acte prévaricateur est autre qu'une perception illicite, cet acte est qualifié de corruption ou de toute autre malversation, mais il cesse encore de constituer la concussion; enfin, si à ce fait de perception ne se réunit pas la connaissance de son illégitimité, ce n'est plus qu'une erreur, un abus de pouvoir peut-être, mais la criminalité de l'action s'évanouit. De là la conséquence que ces trois caractères doivent nécessairement être

[1] Il faut au surplus se reporter, pour la solution des questions de celte nature, à notre chapitre 14.

CHAUVEAU. T. II.

constatés dans le verdict du jury: l'omission d'un seul rendrait leur déclaration insuffisante; la peine n'aurait plus de base légale. Cette règle a été confirmée par la jurisprudence [2].

Il nous reste à faire mention de l'amende proportionnelle que l'art. 174 a attachée comme peine accessoire aux faits de concussion. Le dernier paragraphe de cet article est ainsi conçu : « Les coupables seront de plus condamnés à une amende dont le maximum sera le quart des restitutions et des dommages-intérêts, et le minimum le douzième. » Cette disposition nous suggérera deux observations.

La première, c'est que cette peine, qui du reste est la même, qu'elle que soit la qualification que reçoive la concussion, ne peut être prononcée que dans le seul cas où des restitutions ou dommages-intérêts seraient déjà prononcés, puisqu'elle est proportionnelle au taux de ces indemnités; et de là il suit qu'au cas où le crime, bien que consommé dans son exécution, serait manqué dans ses effets, et par conséquent au cas où la perception, bien qu'exigée, n'aurait pas été faite, cette peine accessoire, manquant de base d'évaluation, ne pourrait être appliquée.

Notre deuxième observation est relative à la nécessité d'énoncer dans les jugements et arrêts portant condamnation pour concussion, le taux des restitutions ou dommages-intérêts, puisque, si ces jugements ne portaient pas en euxmêmes cette énonciation, il serait impossible de juger, lorsqu'ils seraient l'objet d'un pourvoi, si l'amende a été prononcée dans les limites légales. Mais, lorsque la concussion est qualifiée crime, est-ce par les jurés, est-ce par les juges, que la quotité du dommage doit être fixée? La raison de douter de la compétence des juges est que cette évaluation est un fait qui sert de base à l'application de l'amende. Mais il faut considérer, d'une autre part, que le crime de concussion ne dépend pas de la quotité du produit des faits élémentaires qui constituent la concussion, et que le crime existe indépendamment du bénéfice qu'en retire l'agent; or, si ce bénéfice n'est point une circonstance constitutive du crime, ce n'est point au jury qu'il appartient de l'apprécier. La fixation de l'amende, de même que la distribution de toutes les peines, rentre dans le domaine du juge, et le chiffre des dommages-intérêts ne saurait sortir de cette compétence par cela seul qu'elle est prise comme

[2] Arr. cass. 15 mars 1831.

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