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XII Tables, empruntant cette peine à la Grèce, l'appliquait uniformément à tous les cas de corruption: Si judex aut arbiter jure datus ob rem judicandam pecuniam acceperit, capite luito.

Cependant cette sévérité ne fut qu'un frein impuissant contre la corruption qui envahissait la république romaine; le temps vint où un citoyen riche, quel que fût son crime, n'avait point de juges à craindre : Pecuniosum hominem, quamvis sit nocens, neminem posse damnari. Ces mœurs durent réagir sur les lois et en modifier les dispositions. La loi Julia repetundarum porta pour toute peine une amende égale au quadruple des sommes reçues. Postérieurement le juge eut la faculté de réunir à cette peine pécuniaire une peine corporelle plus en proportion avec la gravité du crime. Hodiè ex lege repetundarum extra ordinem puniatur, et plerumquè vel exilio vel étiam duriùs, prout admiserint [1]. La peine s'élevait jusqu'à la déportation, et même jusqu'à la mort, si la corruption avait eu pour effet de sacrifier la vie d'un homme innocent. Enfin, dans le dernier état de la législation romaine, novo jure, suivant l'expression du Code, une distinction

avait été faite entre les causes civiles et les cau

ses criminelles en matière civile, la peine de la corruption n'était qu'une amende double ou triple de la valeur des choses promises ou reçues et la perte de l'emploi ; en matière criminelle, la peine était la confiscation des biens et l'exil. Sed qui accepit vel promissionem suscepit, si causa pecuniaria sit : dati triplum promissi duplum exigatur dignitate seu cingulo amisso; si verò criminalis causa fuerit, confiscatis omnibus bonis in exilium militatur [2].

Cette distinction avait été adoptée dans notre ancien droit [3]: les peines étaient plus ou moins fortes, suivant que l'acte de corruption avait été commisen matière civile ou criminelle. Mais cette règle, constante dans la jurisprudence des parlements, ne résultait que vaguement des ordonnances, qui se bornaient à prononcer les peines de la concussion contre les juges pré

écorcher vif un juge coupable de corruption, et employa sa peau à recouvrir son siége de juge, et que Darius fit attacher à une croix un autre juge coupable du même crime.

[1] L. 7, § 3, D. ad leg. Jul. repetundarum, [2] L. 1, § 2, C. de pœná judicis qui malè judiavit vel ejus judicem corrumpere curavit.

varicateurs [4], et à recommander aux juges de proportionner les peines à la qualité du délit et aux circonstances [5]. Les peines ordinaires étaient l'interdiction à temps, la privation d'office, la restitution du quadruple et les dommages-intérêts; dans les cas graves, ces peines elles pouvaient devenir capitales à l'égard du s'élevaient jusqu'au blâme et au banissement; juge qui avait reçu de l'argent pour prononcer une condamnation à mort [6].

L'Assemblée constituante édicta des peines sévères contre les officiers dont la corruption avait dirigé les actes. Tout fonctionnaire, tout citoyen placé sur la liste des jurés, convaincu d'avoir moyennant argent, présents ou promesses, trafiqué de son opinion ou de l'exercice du pouvoir qui lui était confié, était puni de la dégradation civique; or on sait que cette peine n'était pas alors une pure abstraction, et qu'elle s'exécutait en place publique où le coupable était à haute voix proclamé infàme et attaché pendant deux heures à un carcan. Tout juré, après le serment prêté, tout juge criminel, tout officier de police en matière criminelle, convaincu du même crime, était puni de vingt ans de gêne, c'est-à-dire de reclusion solitaire. Enfin les membres de la législature étaient, dans le même cas, punis de mort [7]. Le Code du 3 brumaire an Iv ne changea rien à ces pénalités; à la vérité, son art 644 déclara coupable de forfaiture: «< tout juge civil ou criminel, tout juge de paix qui, moyennant argent, présent ou promesse a trafiqué de son opinion ou de l'exercice du pouvoir qui lui est confié. » Mais la peine de la forfaiture, qui consistait dans l'incapacité de remplir aucune fonction, était indépendante, dans le système du Code, de celles établies par les lois pénales; elle se prononçait cumulativement. Au reste, cette législation intermédiaire était défectueuse sous un double rapport: l'inflexible uniformité de la peine de la dégradation civique s'appliquait à des actes dont la moralité pouvait essentiellement différer; et si la loi prononçait une autre peine, c'est dans la qualité du coupable et non dans la gravité du crime et de ses résultats qu'elle en cherchait le principe.

[3] Muyart de Vouglans, p. 165.

[4] Ord. de Blois et de Moulins, art. 19 et 20, et art. 154; ordonn. 1667, tit. 21, art. 15. [5] Jousse, t. 3, p. 779.

[6] Muyart de Vouglans, p. 167.

[7] Art. 7. 8, 9 et 10, sect. 5, tit. 1, 2o part. L. du 25 sept.-26 oct. 1791.

Pour apprécier le caractère de la corruption, il faut en dévoiler les éléments. Quelque odieuse que soit la prévarication du fonctionnaire ou du juge, cette prévarication ne constitue, dans la plupart des cas, qu'un simple abus de confiance commis au préjudice de l'État. De même que le mandataire privé qui trahit les ordres de ses commettants et dilapide les deniers déposés entre ses mains, le fonctionnaire, mandataire du pouvoir social, abuse de sa mission et trahit le dépot de l'autorité confiée à sa foi. Ce fait ne devrait donc être considéré que comme un simple délit si la qualité du coupable et les résultats de l'action ne venaient ajouter à sa gravité: la qualité du coupable, car la prévarication d'un magistrat, d'un fonctionnaire, lèse plus profondément la société que celle d'un mandataire privé; les résultats de l'action, car la corruption s'aggrave quand elle est commise pour arriver à un autre crime et que celui-ci s'exécute. Tel est donc le caractère de ce crime: c'est un abus de confiance qui puise sa qualification criminelle, soit dans la qualité de l'agent, soit dans les résultats de l'acte lui-même.

Cette appréciation semble confirmée par le choix et la gradation des peines que les diverses législations ont imposées à la corruption des fonctionnaires. Les statuts anglais, les lois pénales des états de New-York et de Géorgie, prononcent pour tous les cas de corruption (bribery) une triple peine : l'incapacité de rem plir un office public, l'amende et l'emprisonnement. Cette dernière peine peut s'étendre depuis un jusqu'à dix ans [1]. Le Code de la Louisiane limite à deux années la durée de l'emprisonnement, et même, dans les cas les moins graves, se borne à punir l'officier d'une suspension momentanée de ses fonctions (2). La loi brésilienne, dont les peines portent l'empreinte d'une extrême mansuétude, n'ajoute à l'amende et à la perte de l'emploi qu'un emprisonnement de 3 à 9 mois (art. 130). Les législations européennes, quoiqu'en général les plus rigoureuses, n'ont pas excédé la mesure des lois américaines le Code d'Autriche prescrit la prison dure d'un an à cinq ans, avec la faculté de l'étendre jusqu'à dix ans, selon le degré de criminalité et l'importance du préjudice qui en est résulté. Une reclusion qui s'étend de 3 à 6 ans est la peine établie par le Code prussien (art. 361); enfin, les lois pénales

[1] Revised statutes of New-York, tit. 4, art. 2, § 10; Penal Code of the state of Georgia, Se div., scc. 16; Stephen's Summary, p. 75.

de Naples prononcent, soit l'interdiction des fonctions, soit la relégation, suivant la gravité des résultats de la corruption. En outre, dans quelques-unes de ces législations, ainsi que nous aurons lieu de le faire remarquer plus loin, la pénalité s'élève lorsque l'acte a eu pour effet une condamnation criminelle injuste. Ainsi donc, si l'on tient compte des différences qui séparent ces diverses dispositions, on ne pourra méconnaître qu'une double pensée leur est commune et les anime: d'une part, la minimité de leurs peines assigne en général aux faits de corruption le caractère que nous leur avons reconnu ; d'un autre côté, c'est à raison seulement des résultats qu'ils peuvent avoir, que ces faits, soit qu'ils prennent ou non une autre qualification, sont frappés d'une pénalité plus grave.

:

Le législateur de 1810, quoique les dispositions du Code relatives à cette matière renferment plus d'une imperfection, n'a point, en général, dévié de ces principes, On lit dans l'exposé de motifs : « Les crimes de corruption ont des nuances que la loi doit sagement distinguer, et punir, suivant leur gravité, d'une peine plus ou moins forte aussi celle que nous vous présentons atteint-elle les divers coupables, suivant que leur prévarication annonce plus ou moins de perversité, ou cause de plus grands dommages... Le fonctionnaire public qui retire de ses fonctions un lucre illicite devient criminel par ce seul fait; mais ce crime peut s'aggraver beaucoup quand il est commis pour arriver à un autre, et que celui-ci a été suivi d'exécution: c'est surtout dans les jugements criminels que cette aggravation peut se faire remarquer. » Nous allons examiner, en discutant les textes du Code, si les distinctions que mentionnent ces termes sont suffisamment tranchées et si les nuances qui séparent les différentes espèces du crime ont été fidèlement observées.

Remarquons, en premier lieu, pour l'ordre de cette discussion, que le crime de corruption renferme deux faits distincts, le crime du corrupteur et celui du fonctionnaire qui se laisse corrompre : nous traiterons successivement de ces deux faces de la matière. Le crime du fonctionnaire, considéré par la loi pénale comme auteur principal, réclame d'abord notre examen.

[2] Code of crimes and punishments, art. 126 et suiv., 138 et suiv.

L'art. 177 est ainsi conçu : « Tout fonctionnaire public de l'ordre administratif ou judiciaire, tout agent ou préposé d'une administration publique, qui aura agréé des offres ou promesses ou reçu des dons ou présents pour faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, sera puni de la dégradation civique, et condamné à une amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues, sans que ladite amende puisse être inférieure à 200 fr. La présente disposition est applicable à tout fonctionnaire, agent ou préposé de la qualité ci-dessus exprimée, qui, par offres ou promesses agréées, dons ou présents reçus, se sera abstenu de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs. >>

Cette première disposition est générale; elle s'applique à tous les fonctionnaires de l'ordre administratif ou judiciaire, et par conséquent aux juges; elle semble donc, au premier abord, faire double emploi avec les art. 181 et 182. Mais il suffira de remarquer que ces derniers articles ne prévoient qu'un cas particulier de corruption, et qu'à l'égard de tous les autres cas, les juges restent soumis aux règles de l'art. 177.

Cet article établit avec beaucoup de netteté les trois élémens constitutifs du crime, les trois conditions dont le concours peut seul justifier l'application de ses pénalités ces éléments sont que le coupable ait la qualité de fonction naire public de l'ordre administratif ou judiciaire, d'agent ou préposé d'une administration publique; qu'il ait agréé des offres ou promesses ou reçu des dons ou présents; enfin que ces dons ou promesses aient eu pour objet de faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, ou de s'abstenir de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs. Développons successivement ces trois conditions.

La qualité de fonctionnaire ou d'agent d'une administration publique est la première base du crime; en effet, la corruption est un crime spécial qui ne peut être commis que par des agents revêtus de cette qualité; lex Julia repetundarum pertinet ad eas pecunias quas quis in magistratu, potestate, vel quo alio officio cepit. Si cette condition n'était pas établie, le fait pourrait encore avoir le caractère d'un abus de confiance ou d'une

[1] Arr. cass. 16 janv. 1812 (Bull. no 8), 12 nov. 1812; Dalloz, t. 16, p. 327.

[2] Arr. cass. 16 sept. 1820; Dalloz, t. 16,

escroquerie, mais il cesserait d'être qualifié de corruption. Le premier point à constater dans toute accusation de cette nature est donc la qualité du coupable.

La loi comprend dans son incrimination tous les fonctionnaires publics de l'ordre administratif ou judiciaire, tous les agents ou préposés des administrations publiques. Nous avons déjà eu occasion de définir les agents qui appartiennent à ces deux classes: nous nous bornerons ici à rendre compte des difficultés qui se sont élevées dans cette matière même, au sujet de la qualité de quelques-uns de ces agents.

La jurisprudence a reconnu que la qualité de fonctionnaire public appartenait, dans le sens de l'art. 177, non-seulement aux gardes forestiers [1], mais aux gardes champêtres des communes [2], et même aux gardes champêtres des particuliers [3]. Le serment que prêtent ces gardes, le pouvoir dont ils sont investis, en leur qualité d'officiers de la police judiciaire, de dresser des procès-verbaux et de constater des délits et des contraventions, les classe dans cette catégorie. Mais la question s'est élevée de savoir si l'irrégularité de serment dépouille l'un de ces gardes de sa qualité, et, par exemple, si la prestation de ce serment devant le maire, tandis qu'elle doit être reçue devant le juge de paix, enlève à l'acte de corruption qu'il commet sa qualification criminelle, de même qu'elle ôte aux procès-verbaux qu'il dresse leur force probante. La Cour de cassation a jugé négativement cette question, en se fondant en droit sur ce que : «si la prestation du serment est l'un des actes substantiels qui confèrent le caractère d'officier public, le mode de prestation n'a pas cette qualité, et qu'il n'est pas prescrit à peine de nullité [4]. » Mais il était établi en fait, dans l'espèce, que l'agent était depuis longtemps garde champêtre, qu'il en avait exercé les fonctions sans obstacle et sans réclamation, et qu'il s'était soumis à toutes les obligations que ces fonctions imposent: ces circonstances ont dù nécessairement exercer quelque inflence sur la question de droit.

Des doutes plus graves s'étaient élevés au sujet de la qualité des médecins délégués par les préfets pour la visite des jeunes gens appelés devant les conseils de révision en vertu de la loi de recrutement. La Cour de cassation avait décidé, contrairement à la jurisprudence des Cours royales, que l'art. 177 pouvait être ap

p. 326; S. 1821, 1, 41.

[3] Arr. cass. 19 août 1826. [4] Arr, cass. 11 juin 1813.

pliqué à ces hommes de l'art : « attendu que le
conseil de révision, pendant la durée de son
existence, et jusqu'à ce que les opérations
pour lesquelles il est formé soient terminées, a
tous les caractères comme l'autorité d'une ad-
ministration publique ; que dès lors les médecins
ou chirurgiens appelés près du conseil en sont
les agents et préposés pour tout ce qui concerne
leur art, et que par suite celui ou ceux d'entre
eux qui agréent les offres ou reçoivent des dons
ou présents pour faire un acte de leur fonction
doivent être poursuivis et punis, en cas de
conviction, des peines portées en l'art. 177 [1]. »
Mais cette interprétation, évidemment exten-
sive, n'a pas été confirmée par le législateur:
l'art. 45 de la loi du 21 mars 1832 sur le recrute-
ment ne punit dans l'acte de médecin qu'un
simple abus de confiance et non un crime de
corruption. Cet article, en effet, est ainsi
conçu: « Les médecins, chirurgiens ou officiers
de santé qui, appelés au conseil de révision à
l'effet de donner leur avis, auront reçu des
dons ou agréé des promesses pour être favo-
rables aux jeunes gens qu'ils doivent examiner,
seront punis d'un emprisonnement de deux
mois à deux ans. Cette peine leur sera appli-
quée, soit qu'au moment des dons ou promesses
ils aient déjà été désignés pour assister au con-
seil, soit que les dons ou promesses aient été
agréés dans la prévoyance des fonctions qu'ils
auraient à y remplir. » La loi ne considère plus
ces médecins comme agents d'une administra-
tion ;
elle les punit de la peine de l'abus de con-
fiance, abstraction faite des fonctions temporai
res qu'ils exercent.

Dans une dernière espèce, la Cour d'assises de l'Ain avait déclaré absous un secrétaire de mairie déclaré coupable d'avoir reçu des dons pour délivrance de passe-ports, par le motif que cet agent n'était ni fonctionnaire public,ni agent ou préposé d'une administration publique. Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation; les motifs d'annulation sont : » que les mairies, par la nature de leur institution, par les objets dont elles s'occupent, par leurs rapports avec l'administration générale du royaume, sont nécessairement des administrations publiques; que leurs secrétaires sont leurs agents et préposés; qu'en effet, le traitement de ces employés est à la charge des communes, et fait, chaque année,

[1] Arr. cass. 15 fév. 1828; 26 décembre 1829; S. 1828, 1, 271; 1830, 1, 53.

partie de leurs budgets, conformément à la loi du 11 frimaire an vii; que le costume de ces préposés est réglé par le décret du 8 messidor an VIII; que des attributions spéciales leur sont données, soit par suite des lois des 1er et 13 brumaire an VII, soit par des décisions du ministre de l'intérieur, en sorte qu'ils ne sont point les secrétaires particuliers des maires, mais les agents de l'administration municipale qui les salarie, et que leur existence est reconnue par la loi; que l'art. 177 ayant étendu ses dispositions non-seulement aux fonctionnaires publics, mais encore aux agents ou préposés de toutes les administrations publiques, il en résulte que les secrétaires des maires y sont compris [2]. » Cette décision nous paraît parfaitement conforme à l'esprit de la loi [3].

Le deuxime élément du crime de corruption consiste dans le fait d'agréer des offres ou promesses, ou de recevoir des dons ou présents: c'est cet acte qui constitue la matérialité du crime. La plupart des législations ont placé sur la même ligne les promesses et les dons; la loi romaine avait posé le principe de cette assimilation: Qui accepit vel premissionem suscepit [4]. Et en effet, il importe peu que le fonctionnaire se soit laissé entraîner hors de son devoir par des présents ou des espérances auxquelles il a ajouté foi; son crime est le même : Judex corruptus, dit Farinacius, non solùm ex traditione pecuniæ, sed etiam ex solâ promissione et illius acceptatione. Mais les offres ou promesses sont plus difficiles à constater que l'acceptation d'un présent ou d'une somme d'argent; la tâche de l'accusation devient donc plus pénible: elle doit non-sculement établir l'existence de ces offres, mais encore leur puissance présumée sur l'agent, et l'acceptation de celui-ci.

Il faut que la corruption ait été opérée par des présents ou des promesses: si le fonctionnaire n'a cédé qu'à des sollicitations ou des prières, l'acte peut encore constituer un crime, mais ce ne serait plus le crime prévu par l'article 177. Il est nécessaire ensuite que le fonctionnaire ait reçu ou agréé directement les dons ou les promesses. Ainsi, le crime existe-t-il si ces propositions ou ces présents ont été portés à des personnes interposées, à ses commis, à ses subordonnés, à des membres de sa famille ? Cette

[3] Voy. toutefois un avis du Conseil d'état du 2 juill. 1807, rapporté infrà dans le vie § de ce

[2] Arr. cass. 17 juill. 1828; S. 1828, 1, 369; chapitre. 6 sept. 1811; Dalloz, t. 16, p. 327.

[4] L. 1, § 2, C. de pœná judicis.

:

question ne soulevait aucun doute dans le droit romain le crime était le même soit qu'il fût commis per se sive per interpositam personam [1]; et la raison en était que le mode de l'acceptation ne change rien à la nature du fait: nil refert si ipse pecuniam acceperit an alii dari jusserit, vel acceptum suo nomine ratum habuerit [2]. La sagesse de cette décision est évidente: le mode d'agréer ou de recevoir les dons ou les promesses est une circonstance extrinsèque au crime; le crime consiste dans l'adhésion donnée à la proposition, dans la convention consentie par le fonctionnaire. Qu'importe qu'il n'ait pas vu le corrupteur, qu'il n'ait pas reçu lui-même ses dons, que la convention n'ait pas été passée avec lui, s'il a connu et autorisé ses visites, si les dons remis à ses subordonnés ont été la cause impulsive de l'acte, s'il a ratifié le contrat illicite [3]? Le texte de l'article ne s'oppose nullement à cette interprétation: il ne s'attache qu'au fait de l'adhésion à la proposition corruptrice; il ne se préoccupe point des moyens directs ou indirects employés pour manifester les offres ou leur acceptation. Toutefois, il est nécessaire que l'autorisation du fonctionnaire et sa ratification soient clairement établies: la dépendance de l'agent, sa qualité de domestique, d'épouse ou d'enfant, ne suffiraient pas; il faudrait prouver l'adhésion aux offres et l'intention d'accomplir l'acte qui en est l'objet, en un mot, l'interposition de personnes.

Le troisième élément du crime de corruption git dans la nature de l'acte qui est le but des of fres et des dons : la loi exige que ces dons et ces promesses aient été reçus ou agréés par le fonctionnaire, soit pour faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, soit pour s'abstenir de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs.

La première question est celle-ci : que faut-il entendre par un acte de la fonction ou de l'emploi ? La définition se trouve renfermée dans ces termes eux-mêmes : c'est un acte commis dans l'exercice des fonctions, un acte qui fait partie des attributions légales du fonctionnaire, en un mot, un acte de sa compétence, ex officio suo, suivant l'expression de la loi romaine. En effet, un acte commis en dehors de ses fonctions, un acte étranger à ses attributions et

[1] L. 2, C. ad leg. Jul. repetund. [2] L. 2, Dig. de calumniat.

qu'il n'aurait pas eu le droit de commettre en vertu de son titre, peut bien être considéré encore comme un acte du fonctionnaire, mais n'est pas un acte de la fonction, et c'est l'acte de la fonction seul que la loi a voulu protéger contre un trafic illicite; car son incrimination s'est arrêtée à cet égard, et on en comprend facilement le motif : la prévarication du fonctionnaire n'apporte à l'Etat un véritable danger que lorsqu'elle est commise dans l'exercice des fonctions et à l'occasion d'un acte de ses fonctions; car l'Etat n'est strictement intéressé qu'au fidèle accomplissement des devoirs de chacun de ses agents. Ainsi, lorsque la prévarication est commise en dehors des limites du pouvoir de l'agent, lorsqu'elle a pour objet un acte qui n'est pas dans sa compétence, cette prévarication pent sans doute leser des tiers, mais elle ne menace l'Etat d'aucun péril, puisqu'elle ne peut prêter à la fraude aucune force légale. Elle doit donc être punie, non plus comme un délit spécial du fonctionnaire, mais comme un délit commun, si elle constitue en elle-même un délit de cette nature: ce n'est plus un fait de concussion ou de corruption, c'est un vol ou une escroquerie.

La corrélation qui réunit l'un à l'autre les deux parties de l'art. 177 ne peut que fortifier cette interprétation. En effet, s'il s'agit, dans la première, du fonctionnaire qui fait un acte de sa fonction, et dans la deuxième, de celui qui s'abstient d'un acte qui entre dans l'ordre de ses devoirs, évidemment ces termes différents sont l'expression d'une même pensée : ce que la loi a prévu dans ces deux hypothèses, c'est le trafic des actes de la fonction, soit que le fonctionnaire accepte des dons pour faire un de ces actes ou pour s'en abstenir; car il n'a le devoir d'accomplir que les actes qui appartiennent à ses attributions. Il ne s'agit donc que de la transgression de ses devoirs spéciaux, de ses devoirs de fonctionnaire. La perpétration ou l'abstention d'un acte qu'il n'avait pas le droit de faire en sa qualité, qui par conséquent n'entrait pas dans l'ordre de ses devoirs, n'appartient point à la même catégorie de faits : ce peut être un autre délit, ce n'est plus le même.

La jurisprudence a longtemps hésité à consacrer cette doctrine. Dans une première espèce, il était établi qu'un garde champêtre avait menacé d'arrêter un individu sous le prétexte qu'il n'avait pas de passe-port régulier,

[3] Farinacius, quæst. 111, no 141 et 176.

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