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et ne s'était abstenu d'exécuter cette menace qu'en recevant une somme d'argent. La Cour de cassation vit dans ce fait le crime prévu par le deuxième paragraphe de l'article 177: « Attendu que cette deuxième disposition étant corrélative à la première, qui punit également la corruption, soit qu'elle ait pour objet l'exercice d'un acte juste ou injuste de l'emploi du fonctionnaire, il s'ensuit que cette disposition doit s'appliquer non-seulement au cas où l'acte dont un fonctionnaire s'est abstenu, moyennant argent, entrait dans l'ordre de ses devoirs, mais aussi au cas où le fonctionnaire croyait, ou simulait, ou prétendait faussement qu'il était de son devoir de faire l'acte dont il s'est ainsi abstenu; qu'en effet, dans ce cas comme dans l'autre, le fonctionnaire abuse de son caractère et ne peut conséquemment être assimilé à un simple particulier qui, par des manoeuvres, aurait commis une escroquerie [1]. »

Cet arrêt confond deux choses distinctes, l'acte injuste et l'excès de pouvoir. Peu importe, dans le système de l'article, que l'acte qui a fait le sujet de la corruption soit juste ou injuste; mais il importe que cet acte soit l'un des actes de la fonction or, lorsque le fonctionnaire excède son pouvoir, qu'il procède sans droit à une arrestation ou menace d'une illégale exécution, il n'agit plus dans le cercle de ses fonctions, dans les limites de sa compétence; il abuse d'un pouvoir usurpé, mais non de son pouvoir véritable; en un mot, s'il attache un prix à cet acte, il trafique d'un acte qu'il n'a pas le droit de faire, d'un acte étranger à sa fonction, et non d'un acte de cette fonction elle-même. Les éléments du crime de corruption; tels que l'article 177 les a définis, ne se trouvent donc pas réunis dans ce fait.

La même espèce s'est représentée, et la Cour de cassation a reformé sa première jurisprudence. Un garde champêtre particulier, ayant surpris un chasseur en délit hors de son territoire, lui déclara procès-verbal, et, moyennant une somme d'argent s'abstint de le rédiger. Traduit à raison de ce fait devant les assises, et déclaré coupable par le jury, il fut absous par la Cour, par le motif que ce fait n'était qualifié ni crime ni délit par la loi. Sur le pourvoi du ministère public, la Cour de cassation, se conformant à l'arrêt que nous venons de rapporter, cassa l'arrêt d'absolution: « Attendu que quoi qu'un procès-verbal dressé par l'accusé, à rai

[1] Arr. cass. 1er oct. 1813; Dalloz, t. 16, p. 327; S. 1814, 1, 15.

son du délit de chasse eût été sans autorité en justice à cause du défaut de pouvoir de son auteur, il ne s'ensuit pas qu'il ait pu être considéré comme innocent du fait de corruption, puisqu'il a prétendu et dit avoir le droit de le rédiger; qu'il entrait dans l'ordre de ses fonctions de dresser de tels procès-verbaux [2].»On retrouve dans ces motifs la même confusion que dans le premier arrêt; en effet, il ne peut entrer dans l'ordre des fonctions d'un préposé de dresser des procèsverbaux qui n'ont nulle foi en justice, à raison de son incompétence même. Aussi la deuxième Cour d'assises, devant laquelle le garde champêtre fut renvoyé, se rangea à l'avis de la première: seulement elle aperçut dans la manœuvre frauduleuse du garde les caractères d'un délit d'escroquerie, et elle lui en appliqua la peine. Sur un nouveau pourvoi du ministère public, la question fut portée devant les chambres réunies de la Cour. «Quel est, dit le procureur général, le crime que punit l'article 177? C'est la prévarication du fonctionnaire public, mais la prévarication dans l'exercice de ses fonctions. Il est impossible qu'un homme soit coupable de n'avoir pas fait un acte, quand il n'avait pas le droit de le faire; l'article dit expressément qu'il faut que l'acte existe dans l'exercice de ses devoirs. Mais, dans l'espèce, dira-t-on, l'accusé croyait avoir le droit de rédiger procèsverbal, et s'avouait coupable de ne l'avoir pas rédigé. Nous répondrons que quand même il serait vrai que le garde se regardât comme investi du droit de verbaliser, sa croyance seule ne pouvait pas constituer le crime. Dans tout crime ou tout délit, il faut l'intention et le fait : ici l'intention aurait existé, mais le fait existait-il? L'article 177 dit expressément que celui-là est coupable du crime qui s'est abstenu de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs. L'ordre de ses devoirs, c'est l'exercice de ses fonctions. L'accusé n'avait ni devoirs à remplir ni fonction à exercer là où ledit crime a été commis. Sa croyance ni celle d'un d'un délinquant ne pouvaient pas former un précepte légal : le précepte ne peut être que dans la loi, et la loi veut qu'indépendamment de la croyance, de l'intention, de la volonté, il y ait un fait qui porte les caractères qu'elle a dé– terminés. » La doctrine de ce réquisitoire fut entièrement adoptée par la Cour de cassation, qui rejeta le pourvoi par les motifs : « qu'il résultait de la déclaration du jury que l'accusé

[2] Arr. cass. 19 août 1826.

avait sciemment abusé de sa qualité pour exiger une somme d'argent, en promettant de s'abstenir de rédiger un procès-verbal qu'il n'avait pas le droit de dresser et qui n'entrait pas, par conséquent, dans l'ordre de ses devoirs; et qu'en appliquant au fait ainsi qualifié l'article 405 du Code pénal, la Cour d'assises n'avait point violé l'article 177 [1]. »

Ainsi se trouve consacrée la règle que nous avons posée et qui n'est que l'application textuelle de la loi pénale, à savoir, que le crime de corruption n'existe que dans le cas où le fonctionnaire a trafiqué d'un acte légalement attribué à sa fonction. Il résulte en même temps de cet arrêt qu'il n'y aurait pas crime dans le cas même où le fonctionnaire aurait fait ou se serait abstenu de faire un acte qu'il croyait appartenir à ses attributions, si son opinion à cet égard n'était pas fondée : tel serait le fait d'un garde champêtre qui se serait abstenu, à prix d'argent, de constater un acte qu'il croyait constituer une contravention, et qui en réalité n'avait pas ce caractère. Car, suivant les termes du réquisitoire que nous avons rapporté, sa croyance et même celle du délinquant ne pouvaient pas former un précepte légal: le précepte ne peut être que dans la loi, et la loi veut qu'indépendamment de la croyance, de la volonté, il y ait un fait qui porte les caractères qu'elle a déterminés. Ainsi, le garde champêtre n'a de pouvoir que pour constater les faits qualifiés délits ou contraventions par la loi; dès lors donc qu'un fait n'a pas cette qualification, sa compétence expire, et l'acte par lequel il voudrait le constater n'est plus un acte de ses fonctions. La Cour de cassation avait rendu precédemment dans cette même espèce un arrêt directement contraire [2].

On ne doit pas se dissimuler que l'application de ces règles éprouvera dans quelques espèces de graves difficultés. Nous citerons une espèce fort délicate et qui s'est récemment présentée. Un agent de l'admininistration des télégraphes avait, à prix d'argent, consenti à transmettre par la voie télégraphique une dépêche commerciale. Y avait-il dans ce fait crime de corruption? En d'autres termes, avait-il fait trafic d'un acte de sa fonction? Nous avons pensé qu'il fallait faire une distinction: si, au moment où le télégraphe était inoccupé, il s'est borné à s'en servir pour transmettre une nouvelle étran

[1] Arr. cass. 31 mars 1827; S. 1827, 1, 397. {2] Arr. cass. 16 sept. 1820); Dalloz, t. 16, p. 326; S. 1821, 1, 41.

gère à ses fonctions, cet acte, bien que contraire à ses devoirs, ne doit point être considéré comme un acte de sa fonction, car il agit en dehors de cette fonction. Mais si, au contraire, il a glissé cette dépêche au milieu d'une dépêche officielle et de manière à en retarder la transmission, son action rentre évidemment dans les termes de la loi, puisqu'il s'est alors abstenu, à prix d'argent, de faire un acte que ses devoirs lui commandaient de faire sur-le-champ. II faudrait appliquer les mêmes distinctions, en les modifiant toutefois suivant les circonstances, au courrier de la malle-poste qui transporte, à prix d'argent, des paquets qu'il n'a pas le droit de transporter.

Nous citerons encore un arrêt de la Cour de Limoges qui a fait une application de notre règle dans une espèce assez difficile. Un gendarme s'était fait remettre une somme d'argent de plusieurs individus, en les menaçant de les arrêter, sous le prétexte que leurs passe-ports étaient irréguliers. Poursuivi pour corruption, cet agent n'a été condamné que pour escroquerie : « Attendu que le gendarme, quoique pouvant être dans quelques cas considéré comme un agent d'une administration publique,n'avait point agi, dans l'espèce particulière, dans l'ordre régulier de ses fonctions puisqu'au lieu de conduire, comme il le devait, à son supérieur ou au procureur du roi, les individus qu'il prétendait arrê– ter, il s'est contenté de leur dire qu'il allait les conduire en prison, ce qu'il n'avait pas le droit de faire, et d'exiger d'eux, pour ne le point faire une somme d'argent; que ce fait ne constitue véritablement qu'une escroquerie, puisque le prévenu, n'agissant point dans l'ordre légal de ses fonctions et usant de manoeuvres frauduleuses, a persuadé à ces individus qu'il avait le pouvoir de les conduire en prison; et qu'il pouvait les affranchir de cette rigueur moyennant l'argent qu'il a exigé d'eux et reçu [3]. »

Les caractères du crime se retrouvent, au contraire, toutes les fois que l'acte dont le fonctionnaire a tiré un lucre illicite est un acte de sa juridiction, de son autorité légale, de sa compétence. Nous en citerons quelques exemples. Tel serait le crime d'un garde forestier qui aurait reçu plusieurs cordes de bois pour s'abstenir de constater un délit de coupe d'arbres commis dans l'étendue du territoire confié à sa surveillance [4]. Telle serait encore l'action du membre

[3] Arr. Limoges, 4 janv. 1836; S. 1837, 1, p. 131. [4] Arr. cass. 16 janv. et 12 nov. 1812; Dalloz, t. 16, p. 327.

d'un conseil de révision ou du préfet qui aurait reçu des dons de la part des jeunes gens appelés par le tirage, pour les exempter du service militaire [1]. On doit ranger dans la même catégorie l'acte du secrétaire d'une mairie spécialement chargé de la délivrance des passe-ports, qui accepte une rétribution pour accomplir cet acte d'administration [2]. Dans ces différentes hypothèses, en effet, l'acte qui a été l'objet de la proposition corruptrice, de la convention illicite, est un acte de la compétence du fonctionnaire, un acte qu'il avait le droit de faire, un acte de sa fonction; à la volonté criminelle se réunit donc le fait qui forme la base légale du crime, et l'application de l'article 177 n'est plus l'objet d'aucun doute.

L'officier de police judiciaire qui, moyennant argent, se serait abstenu de dresser procès-verbal d'un délit ou d'une contravention, ne pourrait alléguer comme excuse que la personne lé sée, indemnisée par le délinquant, a consenti à ce que la poursuite n'eût pas lieu [3]. Car l'action publique est indépendante de l'action civile; l'officier de police judiciaire n'a point d'impulsion à recevoir de la partie, et son devoir est de constater les faits punissables qu'il découvre, et de transmettre ses rapports au ministère public, sans qu'il ait à juger des réparations civiles faites par les prévenus.

La loi pénale étend son incrimination au fonctionnaire qui tire un lucre illicite d'un acte même juste de ses fonctions. Ainsi se trouvent confondus dans la même disposition l'agent qui reçoit le prix d'un acte juste et légitime, et celui qui commet, à prix d'argent, un acte illégitime et injuste. Dans le droit romain et dans notre ancien droit, c'était surtout à punir l'auteur d'un acte injuste commis par corruption que s'étaient attachées les lois : la corruption supposait la perpétration d'une injustice, corruptio quandò à sponte pecuniam dante judex injustitiam facit [4]. Jousse enseigne également que ce crime se commet toutes les fois qu'un officier, par un motif d'intérêt ou de passion, fait une chose injuste ou empêche une chose juste [5].

A notre avis la loi frappe avec raison le fonctionnaire, lors même qu'il n'a agréé des dons ou des promesses que pour faire des actes

[1] Arr. cass. 26 déc. 1829; S. 1830, 1, 53. [2] Arr. cass. 17 juill. 1828; S. 1828, 1, 369. [3] Arr. cass. 7 mai 1837 (Journ. gén, des tribunaux. 8 maij.

[4] Farinacius, quæst. 111, no 39.

justes; car, en procédant à ces actes, il cède plutôt à la corruption qu'à la voix de son devoir. Tel serait le cas où il agréerait des présents ou des offres pour accélérer la marche d'une affaire; car il est mû dans cet acte, non par le sentiment de ses obligations, mais par une coupable cupidité : l'expédition de l'affaire est une chose juste en elle-même; mais, dès qu'elle est le prix d'un don ou d'une promesse, cet acte s'empreint d'une criminalité qui peut être légitimement réprimée [6], Mais une distance sensible sépare de cet agent celui qui consent à commettre au même prix un acte injuste. Le premier n'est coupable que d'une criminelle cupidité, l'autre réunit à cette cupidité la violation de ses devoirs : si l'un tire un lucre illicite de ses fonctions il n'en abuse pas, l'autre met à prix son autorité et l'emploie à des actes coupables; celui-ci commet donc un double délit, la peine qui le frappe devrait donc s'élever d'un degré. Telle est aussi la disposition de la loi pénale du Brésil: l'emprisonnement est de trois à neuf mois contre le juge qui a rendu, moyennant argent, une sentence même juste: elle est de six mois à deux ans, lorsque la sentence est injuste (art. 131 ).

Le Code n'a point distingué si l'acte exécuté par l'effet de la corruption est définitif, ou s'il est sujet à quelque recours. Les lois pénales de Naples n'inculpent que l'officier public à qui la loi a donné la faculté de décider définiti vement une affaire soit administrative, soit judiciaire, et seulement à raison des aetes qui ont terminé cette affaire (art. 200). Il est probable que le législateur italien a été mû par cette pensée que le danger n'est pas le même dans les deux cas; mais, si la faculté du recours ôte à l'acte une partie de son péril, elle ne dépouille l'agent d'aucune portion de sa criminalité.

Si l'acte est juste en lui-même, il est nécessaire qu'il ne soit pas sujet à salaire; car si la loi y avait attaché des émoluments, la perception de ces émoluments serait un acte légitime qui ne pourrait devenir l'élément d'un délit; mais si le fonctionnaire a agréé des dons ou des promesses pour faire un acte sujet à une rétribution fixe, le crime existera-t-il? L'affirmative nous semble certaine. Quel est le but et le

[5] Traité d'inst. cr. t. 3, p. 776.

[6] Boërius, dec. 15.3, no 2; Menochins, de arb. quæst. lib. 2, casu 242., no 26 ; Farinacius, quæst. 111, n° 159.

sens de ces mots non sujet à salaire, énoncés
dans l'article 177? C'est uniquement de garantir
le fonctionnaire qui n'a reçu qu'un salaire légi-
time et auquel ses fonctions lui donnaient droit,
c'est de séparer la rétribution légale, qui est le
prix du travail, des dons et des promesses, qui
sont le prix de la corruption. Mais si l'acte,
quoique salarié, n'a été consommé qu'à l'aide,
de la corruption, si à côté du salaire le cor-
rupteur a placé les sommes qui ont entraîné
l'agent, comment la corruption pourrait-elle
être effacée encore par ce salaire ? Une rétribu-
tion légale ne doit pas être confondue avec des
dons corrupteurs, mais elle ne saurait faire
obstacle à l'existence d'un crime de corruption.
Lorsque le fonctionnaire, après avoir agréé
les dons ou promesses, n'a pas exécuté l'acte
qu'il s'était engagé d'accomplir, est-il passible
d'une peine? Dans le droit romain cette ques-
tion ne faisait naître aucun doute: « Si igitur
accepit ut negotium faceret, sive fecit sive
non fecit, tenetur qui accepit ut ne faceret,
et şi fecit tenetur[1]. » Mais, d'après les doc-
teurs, la peine n'était pas la même dans les deux
cas: «Non sequuto effectu, dit Farinacius,
non punitur paciscens eodem modo et eá-
dem pœná ac si effectus sit sequutus [2] On
distinguait deux délits l'un résultant de la
convention passée entre l'agent et le corrupteur
et qui subsistait par le pacte même, abstraction
faite de ses effets; l'autre qui prenait sa source
dans l'exécution de ce pacte. Or, l'agent qui
ne se rendait coupable que du premier de ces
délits était puni avec moins de sévérité que celui
qui les commettait tous les deux. Dans notre
droit cette distinction n'est point admise; mais
l'exécution de l'acte modifie nécessairement
dans plusieurs cas la criminalité du fonction
naire. S'il s'est abstenu de l'accomplir par un
libre mouvement de sa volonté, s'il a restitué
les dons reçus ou répudié les offres, il n'existe
ni crime ni délit : la convention, presque aus
sitôt rompue que formée, et qu'aucun acte
d'exécution n'a suivie, ne peut plus être consi-
dérée comme un simple projet qu'aucune peine
ne saurait atteindre. Si le fonctionnaire, au
contraire, a persisté dans le pacte, et n'a été
empêché d'accomplir l'acte qui en était l'objet
que par un événement indépendant de sa volonté,
le fait présente tous les caractères d'une tenta-
tive légale que le Code assimile au crime con-
sommé : la peine serait donc celle du crime

[1] L. 3, § 1, Dig. de calumniat. [2] Quæst. 111, no 179.

même. Enfin, si le fontionnaire a reçu des dons et agréé des promesses, mais sans avoir la volonté ou le pouvoir d'exécuter l'acte, ce n'est point un fait, une corruption qu'il commet, puisqu'il n'est point infidèle à sa fonction, mais il se rend coupable d'un délit d'escroquerie ou d'abus de confiance.

Nous avons expliqué les trois éléments du crime de corruption : il est nécessaire que ces trois circonstances soient formellement consacrées par la déclaration du jury; car la peine n'aurait aucune base s'il n'était pas établi que l'agent était fonctionnaire public ou préposé d'une administration publique, que cet agent a reçu des dons ou agréé des promesses, enfin que le but de ces dons et de ces promesses a été de faire ou de s'abstenir de faire un acte de ses fonctions [3]..

L'article 177 porte une double peine la dégradation civique et l'amende. Le Code de 1810, en vigueur en Belgique avait édicté une peine inflexible, égale pour tous, et dès lors pleine d'inégalités : le carcan qui flétrissait à jamais de la même infamie l'acte le plus léger et le plus odieux de la corruption. La dégradation civique n'a pas les mêmes inconvénients, ou du moins elle ne les a pas au même degré ; le juge conserve d'ailleurs la faculté de prononcer accessoirement un emprisonnement qui peut s'élever jusqu'à cinq années. L'amende est une seconde peine accessoire: elle peut s'élever au double des sommes agréées ou reçues, elle ne peut être inférieure à 200 fr. Cette peine a pris évidemment sa source dans la loi romaine qui prononçait une amende tantôt triple tantôt quadruple des sommes reçues : elle s'applique rationnellement à un crime qui a son principe dans la cupidité. Mais comment se calculera cette amende, lorsque la chose promise, telle qu'une place, une distinction honorifique, n'aura pas une valeur appréciable? Le juge devra dans ce cas s'abstenir d'une estimation arbitraire, et se borner à prononcer le minimum de la peine pécuniaire.

Le crime de corruption est commis avec des circonstances aggravantes, 1o quand il a pour objet un fait criminel emportant une peine plus forte que celle de la dégradation civique; 2o quand il a pour objet un jugement rendu en matière criminelle.

L'art. 178, qui prévoit la première de ces hypothèses, est ainsi conçu : « Dans le cas où la

[3] Arr. cass. 2 janv. 1818; Dalloz, t. 16, p. 328; S. 1818, 1, 161.

corruption aurait pour objet un fait criminel emportant une peine plus forte que celle de la dégradation civique, cette peine plus forte sera appliquée aux coupables. >>

Cet article semble, au premier abord, faire un double emploi avec les art. 182 et 183. Mais ces derniers articles ne s'appliquent qu'à des cas particuliers; l'art. 178 comprend tous les actes criminels qui peuvent être l'objet de la corruption. Les art. 182 et 183 ne s'appliquent qu'aux juges et aux jurés ; l'art. 178 s'étend à tous les fonctionnaires. Néanmoins la commission du Corps législatif avait proposé de rectifier cette anomalie; mais il fut répondu par le Conseil d'état : « que l'art. 178 pose la règle générale, celle qui doit être appliquée à tous les fonctionnaires; que, s'il se trouve dans les articles relatifs aux juges quelque disposition qui ait trait à cette règle, elle est utile pour lier les diverses parties du système, et ne peut nuire sous aucun autre rapport. »

Cependant cette disposition, sous un autre point de vue, pouvait paraître utile; on ne voit pas, en effet, comment la peine encourue par le fonctionnaire pour s'être laissé corrompre aurait pu le préserver d'une peine plus grave, si le fait qu'il a commis par l'effet de la corruption mérite cette peine; un crime ne peut servir de voile à un autre crime: loin de puiser une atténuation dans le premier fait, c'est une aggravation que le deuxième devrait y trouver. Ainsi, supposons que la corruption ait eu pour but la perpétration d'un faux, et que le fonctionnaire s'en soit rendu coupable; dans le système de la loi, système indépendant de l'article 178, il ne sera point puni pour crime de corruption, mais seulement pour crime de faux: le premier crime s'absorbera dans le deuxième. Or, il nous paraît que si la loi s'occupait de cette thèse, ce devrait être pour y puiser l'élément d'une aggravation de peine, puisque l'agent qui, cédant à la corruption, commet un faux dans ses fonctions, se rend coupable d'un double crime qui justifierait un châtiment plus grave.

Mais la loi a supposé que le crime que la corruption aurait eu pour objet aurait été exécuté. « Si le fonctionnaire public qui retire de ses fonctions un lucre illicite, a dit M. Berlier dans l'exposé des motifs, devient criminel par ce seul fait, ce crime peut s'aggraver beaucoup quand il est commis pour arriver à un autre et que celui-ci a été suivi d'exécution. » Cependant, si le second crime n'a pas été exécuté, quelle sera la peine de la corruption? Il faut suivre les distinctions qui ont été précédem

ment indiquées : ou l'agent s'est désisté avant toute entreprise, et il n'est passible d'aucune peine; ou il n'a été arrêté que par un obstacle indépendant de sa volonté, et il sera puni comme s'il eût accompli le crime objet de la corruption; ou enfin son adhésion n'a été qu'un leurre pour spolier le corrupteur; ce n'est plus d'un fait de corruption, c'est d'un autre délit qu'il doit être accusé.

La deuxième circonstance aggravante du crime de corruption est également puisée dans l'objet auquel la corruption s'applique; l'article 181 est ainsi conçu : « Si c'est un juge prononçant en matière criminelle, ou un juré qui s'est laissé corrompre, soit en faveur, soit au préjudice de l'accusé, il sera puni de la reclusion, outre l'amende prononcée par l'article 177

Il est à remarquer, en premier lieu, que cet article, en désignant les juges et les jurés, exclut nécessairement de ses dispositions les autres officiers de justice. Ainsi le membre du ministère public qui se serait laissé corrompre, pour faire un acte de ses fonctions en matière criminelle, ne serait passible que des disposi tions de l'art. 177 : la raison en est que ce magistrat requiert, mais ne prononce pas, et qu'ainsi la corruption exercée à son égard n'a pas d'aussi funestes effets.*

Ensuite la disposition de l'art. 181 ne s'étend point aux matières correctionnelles et de police; il ne punit, en effet, que la corruption du juge qui prononce en matière criminelle; et si cette expression, employée quelquefois dans un sens générique, laissait quelques doutes, ils seraient levés par le mot accusé dont l'article se sert plus loin, et qui, dans la langue légale, ne s'applique qu'aux individus sur lesquels plane une accusation de faits qualifiés crimes par la loi.

Un commentateur a même tiré de cette expression la conséquence que l'article était inapplicable à toutes les décisions du juge antérieures à la mise en accusation [1]. Mais l'article parle, en général, du juge prononçant en matière criminelle, et ces termes semblent repousser cette interprétation restrictive. Ainsi le juge d'instruction qui, mù par la corruption, aurait décerné un mandat de dépôt, ou refusé de décerner un pareil mandat contre un individu inculpé d'un crime, serait, suivant nous, passible des peines de l'art. 181. Ces actes étaient assimilés au jugement par la loi romaine :

[1] Carnot, sur l'art. 181, not. vi.

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