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« Lex Julia de repetundis præcepit ne ob hominem in vincula publica conjiciendum exve vinculis dimittendum, neve quis ob hominem condemnundum,absolvendumve, aliquid acceperit [1]. » Les autres actes judiciaires accomplis sous l'empire de la corruption rentrent dans les termes de l'art. 177.

L'art. 181 protège à la fois la société et l'aceusé contre les effets de la corruption : le crime est le même, soit que le juge ou le juré se soit laissé corrompre en faveur ou au préjudice de l'accusé. Mais la peine s'aggrave, aux termes de l'art. 182, si, par l'effet de la corruption, il y a eu condamnation à une peine supérieure à celle de la reclusion: «Jamais, porte l'exposé des motifs, il ne sera, pour corruption pratiquée et commise dans les jugements criminels, appliqué une peine moindre que la reclusion; mais si la corruption a eu pour résultat de faire condamner un innocent à une peine plus forte, cette peine, quelle qu'elle puisse être, devien dra le juste châtiment du fonctionnaire corrompu. La loi du talion ne fut jamais plus équitable ni plus exempte d'inconvénients. »

L'art. 182 porte en effet : « Si, par l'effet de la corruption, il y a eu condamnation à une peine supérieure à celle de la reclusion, cette peine, quelle qu'elle soit, sera appliquée au juge ou juré coupable de corruption. >>

Le projet du Code pénal portait simplement « Si, par l'effet de la corruption, il y a eu condamnation à mort, le juge ou le juré coupable sera puni de mort. » M. Defermon fit remarquer au sein du Conseil d'état que les art. 181 et 182 ne graduaient pas suffisamment la peine, qu'ils n'admettaient, en effet, que la reclusion ou la mort, de manière qu'un juré qui, par corrup→ tion, aurait envoyé un innocent aux fers, ne subirait que la reclusion. M. Berlier reconnut qu'il y avait une lacune et pensa que la peine du talion devenait dans l'espèce d'une évidente justice: «Si cette base est admise, ajouta-t-il, la rédaction sera simple et facile, et tous les degrés de culpabilité seront atteints en frappant d'abord de la reclusion, comme de la moindre peine, tout juge ou juré qui se sera laissé corrompre, et en établissant ensuite que si la corruption a fait condamner à une peine supérieure les personnes contre lesquelles elle était dirigée, la même peine, quelle qu'elle soit, sera infligée

[1] L 7, Dig. ad leg Juliam repetund.

au juge ou juré corrompu. » Les articles furent admis avec ces amendements [2].

Cette disposition a été puisée dans l'ancien droit; la loi romaine portait en termes formels: Quid enim si ob hominem necandum pecuniam acceperint? vet licèt non, acceperint, calore tamen inducti interfecerint vel innocentem, vel quem punire non debuerant? Capite plecti debent vel certè in insulam deportari, ut plerique puniti sunt [3]. Le juge était, dans ce cas, considéré comme coupable de meurtre; mais, par une exemption que la gravité de la peine de mort justifie, il fallait, pour que cette peine pût être appliquée au juge, que la condamnation eût été exécutée. Quandò ex judicis corruptione et condemnatione sequatur mors condemnati... morte sequutâ judex morte punitur[4]. Jousse adopte la même règle en l'appliquant au droit français [5], et depuis elle s'est reproduite dans les législations modernes. L'art. 389 du Code de Prusse porte: « Si la peine infligée à un innocent a occa→ sionné la mort, le juge est un homicide ou un assassin. » Le Code du Brésil, après avoir posé en principe que le juge subira la même peine que celle qui aura été infligée au condamné, ajoute: « Si la peine de mort n'a pas été exécutée, le coupable subira la prison perpétuelle (article 131). »

Notre Code n'a point suivi cette distinction: la peine est appliquée au fait même de cette condamnation prononcée par l'effet de la corruption, abstraction faite de son exécution et de ses suites. En thèse générale, cette règle absolue est conforme à la raison en prononçant la condamnation, le juge a consommé le crime autant qu'il était en lui; l'inexécution est un événement qui lui est étranger, qui né modifie nullement sa criminalité, qui n'apporte aucune excuse à son action. Toutefois, lorsque la peine prononcée est celle de mort, et que, soit par annulation de l'arrêt ou tout autre motif, elle n'a point été exécutée, nous serions enclins à adopter la restriction de la loi brésilienne et à penser qu'une peine perpétuelle serait un châtiment suffisant : dans ce cas, en effet, la conscience publique ne semble pas réclamer une aussi terrible expiation, et si la peine de mort est une nécessité sociale, ce ne

[4] Farinacius, quæst. 111, no 16, 25, et 379,

[2] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du Julius Clarus, § homicidium, no 15. 8 août 1809.

[3] L. 7, 3. Dig. ad leg. Jul. repetundarum,

CHAUVEAU. T. II.

[5] Traité des matières crim. t. 3, p. 779.

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peut être que dans le cas où le sang de l'homme la qualité exprimée en l'article 177, pour obtea été répandu.

Au surplus, l'art. 182 ne peut avoir, au moins en ce qui concerne les juges, que de rares applications. En effet, les Cours spéciales sont abolies, et les peines supérieures à la reclusion ne peuvent être prononcées que par les Cours d'assises, dans lesquelles les juges se trouvent liés par la déclaration du jury. On ne peut supposer que le juge viole ouvertement les dispositions de la loi, qu'il prononce une peine qui ne soit pas justifiée par les textes, qu'il rejette une excuse légitime, qu'il n'accorde aucun effet aux circonstances atténuantes déclarées; car l'effet de cette flagrante violation serait d'entraîner immédiatement la nullité de l'arrêt. Le juge ne peut donc prononcer de peines que dans le cercle de son pouvoir, c'est à-dire dans les limites du minimum au maximum; son crime consistera donc uniquement à avoir aggravé ou atténué d'un degré la peine applicable au-delà de ce qu'il devait prononcer. Or, réduite à ces termes, on conçoit combien, dans la plupart des cas, une telle accusation serait difficile à prouver; car, lorsque le juge n'a fait qu'user d'une faculté légale, comment établir qu'il a obéi à l'influence de l'or corrupteur, que l'aggravation ou l'atténuation de peine a été l'effet non de la conviction, mais de la corruption? Toutefois, ces observations n'ont rien d'absolu; elles tendent à démontrer que ces dispositions pénales resteront presque toujours inappliquées. Mais leur présence dans la loi n'est point inutile: les circonstances et les faits sont variables, et il suffirait qu'une espèce vint à surgir pour justifier la sollicitude du législateur. Ces observations ne s'appliquent point, du reste, aux jurés: ils sont les juges véritables et les arbitres souverains du sort de l'accusé; ils peuvent, suivant leur volonté, le déclarer innocent ou coupable, écarter ou faire peser sur sa tête des circonstances aggravantes, modifier ou scinder l'accusation. C'est donc à eux surtout que s'appliqueront les articles 181 et 182.

Nous n'avons jusqu'ici parlé que de l'agent principal du crime, du fonctionnaire qui se laisse corrompre et livre un acte de ses fonctions: nous examinerons maintenant l'acte du corrupteur, les diverses nuances de criminalité qu'il reçoit, les divers châtiments qu'il peut encourir.

L'article 179 est ainsi conçu : « Quiconque aura contraint ou tenté de contraindre par voies de fait ou menaces, corrompu ou tenté de corrompre par promesses, offres ou dons ou présents, un fonctionnaire, agent ou préposé de

nir, soit une opinion favorable, soit des procèsverbaux, états, certificats ou estimations contraires à la vérité, soit des places, emplois . adjudications, entreprises ou autres bénéfices quelconques, soit enfin tout autre acte du ministère du fonctionnaire, agent ou préposé, sera puni des mêmes peines que le fonctionnaire, agent ou préposé corrompu; toutefois, si les tentatives de contrainte ou corruption n'ont eu aucun effet, les auteurs de ces tentatives seront simplement punis d'un emprisonnement de trois mois au moins et six mois au plus, et d'une amende de 100 à 300 francs. »

L'acte du corrupteur constitue soit un crime, soit un simple délit, suivant qu'il a été ou non suivi d'effet. Dans le premier cas, le corrupteur et le fonctionnaire que la corruption a trouvé accessible doivent-ils être considérés comme complices l'un de l'autre? Cette complicité existe en fait; car les deux actes ont le même but, car les deux agents ont formé un pacte et se sont en quelque sorte associés pour l'exécution du même fait, l'un a provoqué le crime, l'autre l'a exécuté; l'un a été la cause, l'autre l'instrument de cette exécution. De là les mêmes peines qui les frappent l'un et l'autre. Cependant la loi n'a point admis en principe cette complicité : elle a vu dans le concours des deux agents deux actes distincts, qu'elle a soumis à des conditions différentes; les mêmes règles ne régissent pas l'acte du corrupteur et l'acte du fonctionnaire corrompu; il ne suffit pas que ce dernier ait commis le crime avec les circonstances prévues par l'article 177, pour que l'autre soit réputé complice et déclaré punissable. Chaque incrimination a ses éléments propres d'existence, ses conditions séparées, et de l'une et de l'autre il n'est permis de tirer aucune induction. Nous allons établir cette règle par quelques exemples.

L'article 177 déclare coupable du crime de corruption, non-seulement le fonctionnaire qui se laisse corrompre pour faire un acte de ses fonctions, mais encore celui qui cède à la même influence pour s'abstenir d'un acte qui entrait dans ses devoirs. Or, si le corrupteur était aux yeux de la loi, complice du fonctionnaire, il devrait être poursuivi, soit que ses dons ou promesses aient pour objet la perpétration d'un acte, soit son omission. Mais il n'en est pas ainsi, parce que l'article 179 ne punit le corrupteur que lorsqu'il a eu pour but d'obtenir un acte du ministère du fonctionnaire, parce que cet article fixe les caractères spéciaux du délit qui lui est imputé, et que dès lors les règles

générales de la complicité ne sauraient être invoquées dans cette hypothèse particulière. Telle est la doctrine que la Cour de cassation a consacrée dans une espèce dont il importe de rappeler sommairement les circonstances.

Plusieurs agents des douanes avaient été préposés pour surveiller l'enlèvement d'une grande quantité de sel; ces employés furent corrom-pus, et plusieurs voitures de sel furent détournées pendant le trajet de l'entrepôt au port. Les corrupteurs ayant été mis en prévention, la chambre d'accusation de la Cour royale de Caen les renvoya de la plainte, attendu que la corruption n'avait pas eu pour objet d'obtenir, soit une opinion favorable, soit des actes du ministère des préposés, mais de les porter à s'abstenir de faire un acte qui entrait dans l'ordre de leurs devoirs, d'où la conséquence que l'article 179 ne pouvait recevoir d'application. Cet arrêt fut déféré à la Cour de cassation dans l'intérêt de la loi. Le procureur général s'exprima en ces termes : « L'article 177, qui détermine les peines contre les agents qui se laissent corrompre, ayant prévu tant le cas où la corruption aurait pour objet de faire commettre à un fonctionnaire un acte entrant dans la ligne de ses fonctions, que celui où il s'agirait de le porterà s'abstenir d'un pareil acte; et, d'un autre côté, le législateur n'ayant pas compris dans cet article les corrupteurs, dont il n'est question que dans l'article 179 et pour une espèce différente, on est porté à croire que son intention n'a pas été de punir le corrupteur dans le premier cas. La Cour examinera d'ailleurs si, en vertu de la disposition générale portée en l'article 60 contre les complices des crimes et délits, il n'y avait pas lieu de mettre les corrupteurs en aceusation, même dans le cas de l'article 177.» La question ainsi posée la Cour de cassation improuva l'arrêt qui lui était dénoncé, mais seulement par les motifs : « que dans l'espèce les préposés des douanes n'étaient pas prévenus seulement d'avoir été corrompus pour s'abstenir d'un acte qui entrait dans l'ordre de leurs devoirs, mais bien encore pour constater fausse ment que les sels sortis de l'entrepôt avaient été embarqués, et par conséquent pour faire des actes de leurs fonctions contraires à la vérité; que dès lors la corruption employée à leur égard était atteinte par Part. 179 [1]. »

Cet arrêt décide implicitement deux points importants: le premier, que les règles générales de la complicité, établies par les articles 59

[1] Arr. cass. 31 janv. 1822; Dalloz, t. 16, p. 329.

et 60, ne s'appliquent pas au corrupteur, dont l'action est indépendante de celle du fonctionnaire corrompu; le deuxième, qui n'est qu'un corrollaire de cette première règle, que si la corruption a eu pour objet de porter le fonctionnaire à s'abstenir d'un acte de sa fonction, le corrupteur ne peut être atteint, parce que l'article qui incrimine spécialement celui-ci ne fait pas mention de ce cas particulier. Cette double décision vient donc à l'appui de notre doctrine.

La Cour de cassation a paru, dans un autre arrêt, dévier de ces principes, en décidant que le corrupteur doit être puni, lors même que l'acte qu'il sollicite est un acte juste en luimême, quoique l'art. 179 n'ait point fait à cet égard la distinction que l'art. 177 a, au contraire formellement exprimée. Mais il est à remarquer que la Cour de cassation n'a nullement puisé les motifs de cette décision dans un prétendu lien de complicité qui unirait le corrupteur et l'agent corrompu, mais bien dans le texte et l'esprit général de l'article 179. Voici, en effet les motifs déterminants de cet arrêt : « Attendu que les termes de l'article 179 ne permettent pas de supposer que le législateur ait voulu subordonner les peines qu'il prononce contre les corrupteurs à la preuve que la corruption aurait été exercée ou tentée pour obtenir des actes illégitimes: cet article, en effet, après avoir énuméré certains actes des fonctionnaires, termine par étendre ses dispositions à tous les actes de ces fonctionnaires: sans y ajouter que ees actes devront être injustes; que de plus cet article, en plaçant sur la même ligne la violence et la corruption, a énergiquement indiqué la réprobation dont il frappe les actes obtenus ou provoqués à l'aide de l'un ou de l'autre de ces moyens; que si ce même article, en parlant des procès-verbaux, certificats, états ou estimations, ajoute ces mots : contraires à la vérité, ils ne modifient que l'incise à laquelle ils se rapportent, et ne constituent qu'une exception qui doit être limitée à ce genre d'actes et qui ne saurait être étendue à la corruption qui aurait pour objet d'obtenir une opinion favorable, ou des places, des emplois, des adjudications ou des entreprises... [2]. » Du texte même de cet arrêt, il est donc permis d'induire encore que, d'après la jurisprudence même, le corrupteur et l'agent ne sont pas considérés comme complices, puisque cette complicité, si elle eût pu être alléguée, eût suffi,

(2) Arr. cass. 24 mars 1827; S. 1827, 1, 481.

Mais, cela posé, la décision de l'arrêt soulè vera quelques doutes de notre part. Un premier point à remarquer, c'est que l'art. 177 énonce formellement dans ses dispositions l'acte même juste commis par corruption, tandis que l'article 179 n'a point reproduit ces termes et cette explication Serait-ce done que la loi n'aurait pas eu la même pensée dans les deux cas? Cette induction prend quelque force si l'on considère que le fonctionnaire commet une infraction à ses devoirs en recevant de l'argent pour accomplir un acte mème juste de ses fonctions, mais qu'il n'en est point ainsi du provocateur dont la criminalité se puise dans l'immoralité, dans Finjustice du fait, objet de la provocation. En effet, les offres ou les présents, isolés de toute proposition, ne constituent assurément ni crime ni délit ; c'est donc la proposition elle même qui fait la base du crime: mais comment cette proposition deviendra--t-elle criminelle, si elle n'a pour objet qu'un acte juste et légitime? Celui qui la fait, étranger à l'administration, n'est point tenu par les liens des mêmes devoirs que le fonctionnaire, il ne commet un délit que lorsqu'il enfreint un devoir commun; il n'enfreint ce devoir que lorsqu'il cherche à corrompre, c'est-à-dire à obtenir à prix d'argent un acte injuste.

dans cette espèce, pour justifier complétement rait, même avec des offres ou des présents, la culpabilité du corrupteur, dans le cas d'un qu'un procès-verbal exact, un état fidèle, un acte juste sollicité par lui, comme au cas d'un certificat vrai, celui-là ne serait passible d'auacte injuste et contraire aux devoirs du fonc- cune peine; toute la pensée du législateur ne se tionnaire. révèle-t-elle pas dans ces termes? Ce n'est que la demande d'un acte contraire à la vérité, illégitime, qui constitue le crime. On objecte que ces expressions ne sont pas reproduites à la suite des autres actes énumérés dans l'article; mais on n'aperçoit pas que ces actes portent en eux-mêmes un caractère évident, d'injustice. Il s'agit, en effet, d'obtenir une opinion favorable, des places, des emplois, des adjudications. Mais proposer de payer une opinion favorable, c'est acheter un vote, une solution sur une question douteuse, puisque la loi suppose que la décision peut être défavorable ; c'est done faire disparaître les doutes à prix d'ar. gent; c'est solliciter une injustice. Marchander des places et des emplois, c'est encore chercher à obtenir un acte injuste, puisqu'on s'ef→ force d'affermir par l'or et les promesses des droits qui, s'ils étaient légitimes, ne devraient s'appuyer que sur eux-mêmes. Et ici nous pouvons invoquer l'autorité du législateur luimême : la commission du Corps législatif avait proposé de retrancher de l'article ces mots places et emplois ; et les motifs de ce retranchement étaient « que les démarches ou tentatives pour obtenir une placc ou un emploi sont bien moins criminelles que celles qui ont pour objet de provoquer des actes contraires à la vérité, des injustices et des actes propres à couvrir des infidélités de gestion ou des délits [1]. » Ainsi la commission du Corps législatif ne faisait aucun doute que les actes provoqués par la corruption, et que l'art. 179 énumère, ne fussent des injustices ou des actes propres à couvrir des infidélités ou des délits. Le rejet de son amendement n'a nullement altéré ce sens de l'article; car ce rejet fut uniquement fondé sur ce que « la corruption mise en œuvre pour obtenir les places et les emplois constitue un genre de crime que l'article ne punit point avec trop de sévérité. » On allégue enfin les derniers mots de l'article: tout autre acte du ministère du fonctionnaire, et l'on infère de la généralité de cette expression qu'elle comprend les actes légitimes et illégitimes. Mais il est visible que ces termes doivent réfléchir l'esprit général de l'article, qu'ils doivent être entendus comme s'il y avait

Maintenant les textes de l'article repous sent-ils, comme l'a pensé la Cour de cassation, une telle interprétation? Il est nécessaire de les parcourir. On est étonné d'abord de trouver la contrainte et les menaces rangées par cet article parmi les moyens de corruption: ces moyens n'ont de commun que le but vers lequel ils tendent; car leur caractère, leurs conditions ne sont pas les mêmes; ils doivent évidemment former des délits distincts. Mais les moyens de contrainte ne supposent-ils donc pas nécessairement pour but un acte illégitime? Comment prévoir des voies de fait ou des menaces pour obtenir d'un fonctionnaire un acte juste et lé gal? Comment supposer un préposé contre lequel on soit obligé de recourir à des moyens de force pour qu'il accomplisse un acte légitime de sa fonction? L'article énumère ensuite les actes qui peuvent être le but de la corruption; et ces actes, la loi l'écrit formellement ici, ce sont des procès-verbaux, états, certificats ou estimations contraires à la vérité. Ainsi, d'après ce texte positif, celui qui ne sollicite

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 9 janv. 1810.

tout autre acte de la même nature; car; dès que la loi élève au rang des délits la provocation à un acte, le sens naturel de cette loi est qu'il `s'agit d'un acte illicite : cela est si vrai qu'il a fallu, pour que l'agent pût être coupable de la perpétration d'un acte même juste, une disposition formelle de l'art. 177; cette disposition n'a pas été reproduite dans l'art. 179, elle ne peut être suppléée.

:

Les observations qui précèdent, établissent les caractères constitutifs du crime de provocation à la corruption il faut que l'agent se soit servi de voies de fait ou de menaces, de promesses ou de présents; que ces divers moyens de contrainte ou de séduction aient été employés vis-à-vis d'un fonctionnaire de l'ordre administratif ou judiciaire, ou d'un préposé d'une administration publique; enfin que leur but ait été d'obtenir un acte illégitime du ministère du fonctionnaire ou du préposé. Chacune de ces trois circonstances doit être néces sairement constatée par la déclaration du jury, et l'omission de l'une d'elles ôterait au crime sa base légale [1].

: Si la tentative de contrainte ou de corruption n'a été suivie d'ancun effet, c'est-à-dire si elle n'a pas été consommée, ce fait ne constitue qu'un simple délit. « La loi, dit l'exposé des motifs, punit le corrupteur de la même peine que celui qui a été corrompu; elle est moindre si la corruption n'a pas été consommée; mais la simple tentative est ellemême un véritable délit ; elle est au moins une injure faite à la justice, et la loi la punit de l'amende et de l'emprisonnement. » Cette distinction a été puisée dans l'ancienne jurisprudence; Farinacius dit en effet : Tentans cor rumpere judicem, si judex corruptionem non acceptavit, adhuc videtur aliquâ pœnâ puniendus [2]; mais Menochius veut que cette tentative se soit manifestée par un acte d'exécu tion, tel que l'offre d'une somme d'argent Quod ista tentatio debet esse ad aliquem actum proximum perducta, ut quia per tentantem non steterit quin corrumperet, veluti si pecuniam obtulit et judex recusavit [3]. En Prusse les offres corruptrices ne sont punies que d'une amende du quadruple de leur valeur (art. 368).

Du reste la tentative du crime se forme des mêmes éléments que le crime lui-même. Il faut

[1] Arr. cass. 9 mars 1819; S. 1819, 1, 198. [2] Quæst. 111, no 103

que la corruption où la contrainte s'opère pat les mêmes moyens, c'est-à-dire par voies de fait ou menaces, par promesses ou présents; qu'elle s'exercé sur les mêmes personnes, c'est-à-dire sur les fonctionnaires et les préposés; qu'elle ait le même but, un acte illégitime du ministère du fonctionnaire. L'action conserve le même caractère; la peine n'est atténuée qu'à raison de l'atténuation du péril.

L'article 180 ajoute aux peines qui frappent le corrupteur la confiscation spéciale du prix de la corruption: « Il ne sera jamais fait an corrupteur restitution des choses par Ini livrées, ni de leur valeur; elles seront confisquées au profit des hospices des lieux où la corruption aura été commise. » L'exposé des motifs justifie en peu de mots cette disposition: « Jamais le prix honteux de la corruption ne deviendra l'objet d'une restitution; la confiscation en sera prononcée au profit des hospices, et ce qui était destiné à alimenter le crime tournera quelquefois du moins au soulagement de l'humanité. » La confiscation ne porte que sur les choses qui ont été livrées; ainsi les choses promises, même par écrit, ne pourraient en être l'objet. Mais, si elles avaient été déposées, la confiscation pourrait s'y appli quer, car le corrupteur s'en serait dessaísi.' Le Code pénal a placé, à côté des dispositions répressives de la corruption, une disposition qui a sans doute quelque analogie avec ce crime, mais qui constitue néanmoins un crime tout-àfait distinet. L'article 183 est ainsi conçu : «Tout juge ou administrateur qui se sera décidé par faveur pour une partie, ou par inimitié contre elle, sera coupable de forfaiture et puni de la dégradation civique. »

Ce n'est plus le dol, ce n'est plus la frande ou la corruption qui forment la base du crime; c'est la passion, lorsqu'elle puise ses arrêts dans un sentiment personnel. Que le juge cède à la pitié, qu'il se laisse émouvoir par l'indignation ou la colère, la loi, tout en le blåmant, ne se hasardera point à le punir; elle répétéra seulement cette antique maxime: Noli fieri judex nisi valeas virtute irrumpere iniquitates [4]. Mais si la passion s'inspire d'un sentiment qui prend sa source en dehors de la cause, si le juge obéit à la partialité on la haine, s'il prononce sans juger, la sollicitude de la loi s'éveille, elle saisit le juge sur son siége

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