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tère d'un délit, il faut qu'il se produise au milieu de certaines circonstances; il faut que le juge ou l'administrateur ait été requis de prononcer, et qu'il ait persisté à dénier justice après un avertissement de l'autorité supérieure. Cette double condition, qui rend peut-être inefficace la disposition pénale de l'art. 185, semble avoir été puisée dans l'ancienne législation: « Si l'accusation se poursuit devant une justice de seigneur, dit Jousse, et que le procureur fiscal et le juge en négligent la poursuite, le juge supérieur peut l'y contraindre [1]. » Cependant l'art. 4 du Code civil n'avait point fait dépendre la culpabilité du juge de la condition d'un avertissement préalable.

Au reste, il faut bien remarquer que le déni de justice consiste uniquement dans le refus de statuer la loi ne se préoccupe que des retards et des lenteurs de la décision. Le juge ne répond qu'à sa conscience de l'usage qu'il a fait de son pouvoir; mais il importe que la justice n'ait point d'entraves, que son cours ne soit point suspendu, que les affaires soient promptement expédiées. Rendre la justice dans le sens de la loi, c'est prononcer des jugements: Prætor jus reddere dicitur, etiam cùm iniquè decernit [2].

L'article, par ces mots pourra être pour suivi, semble rendre la poursuite facultative ces mots furent ajoutés, lors de la discussion de cet article au Conseil d'état, sur la proposition de Cambacérès, et pour le mettre en har monie avec l'art. 4 du Code civil; ils n'indiquent que la nécessité d'examiner des faits que la plainte de la partie lésée aurait pu dénaturer, avant d'entamer la poursuite d'office.

Le projet du Code ne proposait pour pénalité qu'une interdiction de cinq à dix années; la commission du Corps legislatif proposa d'en élever le maximum; « Le cas prévu de cet article, porte son rapport, est une grande prévarication, surtout lorsque le fonctionnaire aura méprisé les avertissements de ses supérieurs. Le maximum d'une interdiction de dix ans ne seroit pas suffisant en certaines circonstances, et le minimum de cinq serait quelquefois trop considérable. La commission pense qu'il peut arriver que cette interdiction ne soit pas trop rigoureuse en s'étendant sur la vie entière du coupable, selón la nature et les circonstances du délit; en conséquence elle propose de substituer aux mots depuis cinq ans jusqu'à dix, ceux-ci : à temps ou à perpé

[1] Traité des mat. crim., t. 3, p. 68.

tuilé ces expressions donneront une latitude désirable pour bien graduer la peine. » Le Conseil d'état considéra que l'interdiction ne peut être qu'une peine temporaire; mais que le délit étant très-grave et ne pouvant être excusé dans le juge qui persévère à dénier la justice, après en avoir été requis et avoir été averti par ses supérieurs, il convenait de porter le maximum à la peine de vingt ans. Cette disposition, qui fut adoptée, forme une sorte d'exception dans l'économie générale du Code, dans laquelle les interdictions temporaires de certains droits n'excèdent pas le maximum de dix ans.

Le troisième abus d'autorité, prévu par le Code, est le délit ou le crime de violences exercées, sans motif légitime et dans l'exercice des fonctions, sur les personnes. Rappelons d'abord le texte de l'article 186: « Lorsqu'un fonctionnaire ou un officier public, un administrateur, un agent où un préposé du gou vernement ou de la police, un exécuteur des mandats de justice ou jugements, un commandant en chef ou en sous-ordre de la force pu blique, aura, sans motif légitime, usé ou fait user de violences contres les personnes, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, il sera puni suivant la nature et la gravité de ces violences, et en élevant la peine suivant la règle posée par l'article 198 ciaprès. »>>

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Nous n'avons point à nous occuper ici de cette peine variable et de l'aggravation qu'elle peut recevoir c'est en expliquant l'art. 198, auquel renvoie l'art. 186, c'est en développant les incriminations relatives aux violences com→ mises sur les personnes, que nous pourrons nous rendre compte des divers degrés qu'elle peut parcourir notre examen doit se fixer uniquement dans ce moment sur les conditions de l'incrimination formulée par l'art. 186.

Ces conditions sont au nombre de quatre = il faut que l'agent ait la qualité de fonctionnaire ou de préposé du gouvernement, qu'il ait usé de violences envers les personnes, que ces violences aient été exercées pendant l'exercice: ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, enfin qu'elles aient été exercées sans motif légitime.

De ces conditions les trois premières ne donnent lien qu'à peu de difficultés. La loi a enve loppé dans son incrimination tous les agents du pouvoir exécutif; elle a même descendu jusqu'aux préposés les plus infimes, parce que

[2] L. 11, de just, et jure.

ce sont ceux-là surtout qui peuvent se rendre coupables d'actes de violences ou de mauvais traitements dans l'exercice de leurs fonctions. Elle a également atteint toutes les violences commises par ces agents, et ce mot comprend et les blessures et même l'homicide volontaire. Quelques doutes, nés de l'expression indéfinie dont la loi s'est servie, s'étaient manifestés à cet égard. Mais la preuve de la généralité de l'article se tire de son texte même, puisqu'il dispose que l'accusé, s'il a agi sans motif légitime, sera puni suivant la règle posée par l'art. 198; or, ce dernier article renferme des peines pour tous les délits et pour tous les crimes; on doit donc inférer que l'art. 186 enveloppe également dans sa disposition les violences de toute espèces, les plus légères et les plus graves, qu'elles soient qualifiées délits ou qu'elles soient qualifiées crimes. La Cour de cassation a confirmé cette interprétation en déclarant : « que de la disposition de cet article et de sa corrélation avec l'article 198, il résulte évidemment qu'elle s'étend à toutes violences, qu'elle qu'en soit la nature, et qu'elle qu'en soit et quel qu'en ait été le résultat [1]. » Du reste, ce qui à nos yeux vient surtout à l'appui de cette doctrine, c'est que toute distinction puisée dans le degré des violences n'eût pas été fondée dans le système de la loi, puisque les règles de responsabilité et de justification sont nécessairement les mêmes dans tous les cas; c'est que ces règles puisent leur force dans les motifs de l'action et non dans les circonstances extérieures. Mais il faut que l'acte ait été commis dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonc tions, car ce n'est que la nécessité de cet exercice qui peut justifier les violences: hors de ses fonctions, l'agent n'est plus qu'un homme privé, les violences qu'il commet ne sont plus couvertes par la présomption qu'il accomplissait un devoir, les règles du droit commun lui deviennent applicables.

Il est nécessaire enfin, et c'est là la condition essentielle et principale de l'incrimination, que les violences aient été commises sans motif légitime. La loi établit par cette disposition un moyen général de justification en faveur des fonctionnaires qui se sont livrés à des actes de violences en exerçant les fonctions: elle les couvre de la présomption générale qu'en se livrant à ces actes ils n'ont fait qu'exécuter un devoir; elle contraint l'accusation qui les inculpe à prouver qu'aucun motif légitime ne peut

[1] Arr. cass. 5 déc. 1822 (Bull. p. 514).

CHAUVEAU. T. II.

les justifier. Il est hors de doute, en effet, que l'agent qui n'a fait que mettre à exécution les actes que ses fonctions lui imposent ne peut être inculpé à raison de ces actes, non parce qu'il n'est pas responsable, mais parce que ces actes sont purs de toute criminalité. Ainsi l'agent qui opère une arrestation en vertu d'un mandat régulier, celui qui met à exécution un jugement de condamnation, celui qui s'oppose à la perpétration d'un délit, enfin celui qui disperse par la force un attroupement séditieux, ceux-là ne commettent ni crime ni délit, parce qu'ils agissent dans un but légitime et pour l'exécution de la loi. Nous supposons toutefois qu'ils se sont strictement renfermés dans le cercle de leurs devoirs; car si, même pour l'exécution d'un acte de leurs fonctions, ils ont exercé des viclences inutiles, s'ils ont déployé la force des armes sans qu'elle fût nécessaire ou commandée par la loi, s'ils ont enfin excédé, en quelque manière que ce soit, les limites dans lesquelles ils devaient agir, ils sont responsables à raison de cet excès; la légitimité du motif ne couvre pas cette partie de l'acte; ils sont passibles d'une peine à raison du délit qu'elle peut former.

des

Le motif légitime, dans le sens de la loi, c'est l'accomplissement d'un acte qui entre dans l'ordre des devoirs du fonctionnaire. Quelques incertitudes se sont élevées sur ce point tribunaux ont confondu le motif légitime qui prend sa source dans les fonctions, et les causes d'excuses qui dérivent des circonstances concomitantes du fait. La Cour de cassation avait déclaré avec raison : « qu'en matière d'homicide, coups et blessures, il faut distinguer avec la loi s'ils ont eu lieu d'individus à individus non revêtus de fonctions publiques, ou s'ils ont été commis par des agents ou préposés du gouvernement, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions; qu'au premier cas il est nécessaire, d'après l'art. 328 du Code pénal, pour que l'homicide, les coups et blessures ne constituent ni crime ni délit, qu'ils aient été commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui ; et qu'au deuxième cas, d'après l'art. 186, les violences exercées envers les personnes par des agents ou préposés du gouvernement, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, ne sont punissables qu'autant qu'elles ont été commises sans motif légitime. [2]. »

[2] Arr. cass. 9 juill. 1825.

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Mais de cette distinction quelques magistrats ont induit que la question de la légitimité du motif est la seule qui doive être posée au cas d'une accusation dirigée contre des fonction naires; que toutes les questions d'excuse sont comprises dans cette question, et que, par exemple, la provocation doit être considérée comme un motif légitime, et par conséquent comme une cause justificative du meurtre ou des blessures commis par le fonctionnaire [1]. Cette doctrine qui confond deux degrés du crime, qui fait sortir le même effet de deux causes distinctes, a été repoussée avec raison par la Cour de cassation [2]. Une barrière insurmontable sépare en effet le moyen justificatif et l'excuse, l'exception péremptoire tirée de la légitimité des motifs et l'atténuation résultant de la provocation. La légitimité du motif efface la culpabilité et fait disparaître jusqu'à la pensée du crime: en faisant des blessures, en commettant l'homicide, l'agent n'a fait que remplir un devoir, qu'obéir à des règles de discipline, aux ordres de ses chefs, à la nécessité de défendre ses fonctions attaquées: il suffit que ce fait justificatif soit établi, l'accusation tombe. L'effet de l'excuse est bien différent elle atténue le fait, elle en modifie le caractère, elle en altère la criminalité, mais elle ne l'efface point; son résultat peut être d'adoucir la peine, mais non de l'abolir; l'accusé reste coupable, mais il peut être excusé. Or, la provocation ne peut avoir d'autre caractère que celui d'une excuse, et telle est aussi la définition que lui donne l'art. 321 du Code; elle atténue la peine, elle n'en exempte pas le coupable. C'est que la violence peut excuser la violence, mais ne la justifie pas; c'est que les coups et les blessures mêmes ne peuvent justifier l'homicide, à moins que l'auteur de cet homicide ne se trouve dans le cas de légitime défense, et alors les coups et les blessures cesseraient d'être qualifiés provocation.

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Or, la provocation change-t-elle de nature, produit-elle d'autres effets quand elle s'adresse à un fonctionnaire public? Tandis qu'elle ne fait qu'excuser les représailles du particulier, justifie-t-elle complétement celles du fonctionnaire? On chercherait vainement dans la loi un texte pour appuyer cette distinction. La provo

cation ne peut être pour un fonctionnaire, plus que pour un simple particulier, un motiflégitime de commettre un meurtre; car les règles des actions humaines sont les mêmes pour tous. On lit dans les discussions préparatoires du Code que M. de Ségur demanda, dans le sein du Conseil d'état, que les peines fussent plus sévères quand les violences auraient été exercées sur un fonctionnaire public. Mais cette proposition fut rejetée, attendu que faire une pareille distinction ce serait établir des priviléges, et que, dans notre régime politique, la peine doit être la même dans tous les cas où le délit est de même nature [3]. Mais ne serait-ce pas surtout armer les fonctionnaires d'un privilége exorbitant, que de leur reconnaître le droit de faire usage de leurs armes sur de simples provocations? Déjà investis à un plus haut degré que les particuliers du pouvoir de constater et de faire punir les provocations dont ils sont l'objet, faut-il déposer entre leurs mains le pouvoir illimité d'homicider les provocateurs? On allègue qu'ils ont besoin d'une protection spéciale, qu'en paralysant leurs armes on les expose et la société elle-même à des périls incessants: nous répondons que cette protection leur est accordée, forte et peut-être exagérée, puisque les plus légers délits de rébellion ou d'outrages, quand ils sont commis contre eux, sont frappés des peines les plus sévères. Mais n'y aurait-il pas d'ailleurs un plus grand péril à les déclarer irresponsables de leurs actions? Ne doivent-ils pas, plus encore que les autres citoyens, connaître la portée de leurs actes, et la modération n'est-elle pas pour eux surtout un devoir? La Cour de cassation a maintenu le droit commun à l'égard de tous, et son arrêt nous paraît consacrer une saine interprétation des art. 186 et 321 du Code.

De ce qui précède on peut inférer, comme des corollaires : 1o que nul fonctionnaire, agent ou préposé, accusé de violences dans l'exercice de ses fonctions, n'est passible d'une peine, à moins qu'il ne soit déclaré qu'elles ont été commises sans motif légitime : cette circonstance est substantielle, et par conséquent nécessaire pour donner aux violences le caractère de crimina-* lité [4]; 2o que la question d'excuse n'étant

[1] De l'irresponsabilité légale des fonctionnaires publics, par M. Calmètes, conseiller à la Cour de Montpellier. — Arr. cour d'ass. de l'Aude, 20 déc. 1834; S. 1835, 1, p. 429.

[2] Arr. cass. 30 janv. 1835; S. 1835, 1, p. 429.

[3] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 8 août 1809.

[4] Arr. cass. 15 mars 1821 et 5 déc. 1822; Dall., t. 16, p. 325.

point comprise dans la question de la légitimité des motifs, il est nécessaire que cette question, quand elle est réclamée par l'accusé, soit posée subsidiairement; car le jury peut être amené à la résoudre, s'il écarte soit la légitimité du motif, soit la circonstance que le fait a été commis dans l'exercice des fonctions [1].

Le quatrième abus d'autorité qui peut être commis contre les particuliers est la violation du secret des lettres. Une lettre n'est pas essentiellement secrète, c'est la propriété du destinataire de la lettre. Or, cette propriété est inviolable comme toutes les propriétés, et son inviolabilité doit être d'autant plus protégée qu'elle est plus exposée à de faciles atteintes[2]. La législation a dès longtemps posé et sanctionné ce principe : les lois des 10-24 août 1790 et 10-20 juillet 1791 déclarent que « le secret des lettres est inviolable, et que sous aucun prétexte il ne peut y être porté atteinte, ni par les individus, ni par les corps administratifs. » La loi du 26-29 août 1790 impose aux préposés des postes le serment de garder et observer fidèlement la foi due au secret des lettres. Enfin l'art. 23 (2o part., tit. 1, sect. 3) du Code pénal du 25 septembre-6 octobre 1791, et l'art. 638 du Code du 3 brumaire an IV, portent, comme sanction de cette règle, la disposition suivante: « Quiconque sera convaincu d'avoir volontairement supprimé une lettre confiée à la poste, ou d'en avoir brisé le cachet et violé le secret sera puni de la peine de la dégradation civique. Si le crime est commis, soit en vertu. d'un ordre émané du pouvoir exécutif, soit par un agent du service des postes, les membres du directoire exécutif ou les ministres qui auront donné l'ordre, quiconque l'aura exécuté, ou l'agent du service des postes qui sans ordre aura commis ledit crime, seront punis de la peine de deux ans de gêne. »

Ainsi cette disposition, trop sévère peut-être quant à la pénalité, établissait deux degrés dans le délit, suivant qu'il était l'œuvre d'un simple particulier ou d'un fonctionnaire public. Cette distinction et ces peines n'ont point été conservées par le Code de 1810: d'une part, l'art. 187 n'a puni la violation que lorsqu'elle est l'œuvre d'un fonctionnaire ou agent du gouvernement; d'un autre côté, la peine portée par ce Code n'é

tait qu'une amende de 16 francs jusqu'à 300 francs. La minimité de cette peine excita des réclamations dans le sein de la Chambre des Députés pendant le cours de la discussion de la loi du 28 avril 1832: « Ces infidélités, a-t-on dit, ont des conséquences extrêmement graves; elles peuvent compromettre non-seulement les intérêts des familles, mais encore leur honneur. L'impuissance de l'administration à les prévenir paraît provenir de l'insuffisance de la législation. Vous penserez, sans doute, que pour les infidélités de ce genre, dont les conséquences peuvent être si graves, ce n'est pas trop que d'élever le taux de l'amende et d'y joindre une peine d'emprisonnement, surtout si l'on fait attention que ces délits sont souvent causés par un sentiment de cupidité [3]. » Voici le texte modifié de l'article 187: « Toute suppression, toute ouverture de lettres confiées à la poste, commise ou facilitée par un fonctionnaire ou un agent du gouvernement ou de l'administration des postes,sera punie d'une amende de 16 francs, à 500 francs, et d'un emprisonnement de trois mois à cinq ans. Le coupable sera, de plus, interdit de toute fonction ou emploi public pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »

Cet article soulève deux questions. La première ne peut entraîner que peu de difficultés. Quelque explicites que semblent les termes de l'article, quelques tribunaux ont essayé de l'étendre jusqu'aux violations de lettres commises par de simples particuliers. Ils se sont fondés sur les expressions qui commencent cet article et qui semblent embrasser tous les cas, et sur la différence que sa rédaction présente, en ce qui concerne l'énonciation des fonctionnaires, avec la rédaction des articles qui le précèdent et qui le suivent. D'après cette interprétation, l'indication des fonctionnaires dans l'art. 187 n'aurait pas eu pour but de limiter l'application de cet article à certaines classes de personnes, mais d'exprimer que le délit existe, soit qu'il ait été commis par des fonctionnaires seuls ou par des particuliers avec le concours des fonctionnaires, et que la bonne foi de ceux-ci, lorsqu'ils auraient par leur négligence facilité le délit, ne saurait être une sauvegarde pour les tiers qui auraient agi avec une intention criminelle [4]. Cette interprétation, quelque spécieuse qu'on

[1] Arr. cass. 30 janv. 1835; Sirey, 1835, 1, du secret des lettres confiées à la poste. p. 429.

[2] La constitution belge, art. 22, a déclaré le secret des lettres inviolable. La loi détermine quels sont les agens responsables de la violation

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[3] Code pénal progressif, p. 246.

[4] Voy. jugements des tribunaux de Fontenay et de Bourbon-Vendée ( Journ, du droit cr. 1835, p.85).

puisse la rendre, tombe devant les termes clairs et formels de l'art. 187. Cet article n'incrimine et ne punit que le fonctionnaire, que l'agent du gouvernement ou de l'administration des postes qui a commis ou facilité la violation, et en matière pénale, la loi doit être strictement resserrée dans ses ternies. Le même fait, commis par tout autre individu, ne constitue donc aucun délit, et reste dans la classe des faits immoraux que la loi n'a pas voulu punir.

Mais de ces efforts mêmes de la jurisprudence pour étendre les expressions de cette disposition, on peut induire qu'elle présente une lacune grave. La violation du secret des lettres n'est pas seulement un abus d'autorité, c'est un délit moral qui doit rendre passibles d'une peine tous ceux qui le commettent, qu'ils soient ou non revêtus de fonctions: le Code de 1791, dont nous avons cité le texte, portait des peines pour l'un et l'autre cas; seulement celles prononcées contre le fonctionnaire étaient plus sévères. Il est peut-être à regretter que ces deux degrés d'incrimination, déjà introduits par la loi du 28 avril 1832 dans l'art. 184, relativement aux violations de domicile, n'aient pas été prononcés par l'art. 187 les deux hypothèses étaient identiques, et les mêmes motifs appuyaient la même distinction dans l'une et dans l'autre.

La deuxième difficulté est relative à l'application de l'art. 187. La disposition de cet article est-elle absolue? Est-elle limitée, au contraire, par les droits de l'action publique, lorsque l'exercice de cette action provoque des recherches et des investigations? Posons la question en termes plus précis : le juge d'instruction a-t-il le droit, nonobstant l'art. 187, d'exiger de l'administration des postes la remise des lettres qui lui ont été confiées, et de chercher dans ces lettres les indications utiles à la découverte des crimes dont il poursuit la répression? Nous ne faisons aucun doute à cet égard [1]: une règle générale de l'instruction criminelle attribue au juge d'instruction le pouvoir de faire, en quelques lieux que ce soit, les perquisitions et saisies de tous les papiers et effets qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité (C. inst. cr., art. 35, 87, 88, 90, etc.). Ce pouvoir extraordinaire est créé dans l'intérêt général de la société qui place la répression des crimes, condition de son existence, bien au-dessus

[1]La Cour de Paris par arrêt du 30 janvier 1836, a consacré l'opinion de M. Chauveau. en décidant que le juge d'instruction peut, sans

de l'inviolabilité des lettres. Comment donc motiver une exception à cette règle en faveur de lettres? comment la justifier? Une lettre ne peut-elle pas dévoiler un crime? Ne peut-elle pas constituer, comme en matière de faux, le corps même du délit ? Il serait bizarre de mettre les dépôts de lettres à l'abri des investigations judiciaires, quand le domicile des citoyens plus sacré sans doute, n'est pas à l'abri de ces recherches. On allègue le texte de l'art. 187; mais que punit cet article? la violation du secret des lettres cette violation est un acte arbitraire, un abus d'autorité, un délit. Mais la justice ne commet point un tel acte lorsque, dans un but légitime, elle procède à la saisie de celles qui sont présumées renfermer les indices nécessaires pour éclairer sa marche; ce n'est plus une violation, une frauduleuse ouverture de lettres, ce n'est donc point une exception aux dispositions de l'art. 187; c'est l'application d'un autre principe qui domine ces dispositions elles-mêmes et les renferme dans leurs véritables limites.. Nous ajouterons toutefois que les magistrats ne doivent user qu'avec beaucoup de réserve, et seulement dans les cas les plus graves, du droit d'investigation que nous n'hésitons pas à leur reconnaître; peut-être même faudrait-il limiter ce droit à certaines lettres telles que celles qui seraient adressées aux prévenus ou qui en émanent; mais il est difficile de tracer ces distinctions, et la règle est générale.

Au surplus, le délit de suppression ou d'ouverture des lettres confiées à la poste n'existe qu'autant que cette ouverture ou cette suppression a lieu sciemment et avec une intention frauduleuse; car il s'agit d'un délit moral qui se compose du fait et de l'intention. La perte d'une lettre ou son ouverture accidentelle ne rentrerait donc point dans les termes de la loi. Sous un point de vue opposé, le délit disparaîtrait également si la suppression ou l'ouverture avait pour objet la perpétration d'un crime ou d'un délit, tel que la soustraction d'un effet inséré dans la lettre; le délit de violation se trouverait alors absorbé dans ce délit plus grave, dont il deviendrait l'une des circonstances constitutives.

Nous avons achevé de parcourir les différents abus de pouvoir qui ont pour effet de léser les droits des particuliers; mais l'abus d'autorité peut également étre dirigé contre la chose pu

forfaiture, saisir et ouvrir les lettres adressées à un individu contre lequel s'instruit une procédure criminelle; S. 1837, 2, 267.

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