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sistance du juge de paix. La Cour de Riom, par arrêt du 4 janvier 1827, et la Cour de Nimes. par arrêt du 21 novembre 1826, ont jugé qu'il n'y a point de rébellion dans le fait de résistance à des gendarmes qui s'introduisaient la nuit dans le domicile d'un citoyen, ou qui, porteurs d'une ordonnance de prise de corps, ne l'exhibent pas au prévenu. La Cour de Limoges a déclaré, par arrêt du 14 décembre 1826, que les gendarmes ne pouvant, sous aucun rapport, se permettre d'arrêter le prévenu d'une simple contravention de police et le conduire en prison, celui-ci avait eu le droit de résister à un tel acte d'oppression. Enfin, la Cour de Toulouse a déclaré, par arrêt du 23 février 1826, que la résistance à des gendarmes qui s'étaient introduits la nuit dans la maison d'un conscrit pour l'arrêter était légitime [1].

Au milieu de cette collision d'arrêts, il faut rechercher les principes de la matière et le véritable sens de l'article 209. En premier lieu, il est remarquable que le droit de résister aux agents de la force publique, lorsqu'ils excèdent les limites de leurs pouvoirs, droit qui, suivant les termes de la Cour de cassation, serait subversif de tout ordre public, remonte aux temps les plus éloignés. La loi romaine le consacrait on termes formels: ut etiamsi officiales ausi fuerint à tenore data legis desistere, ipsis privatis resistentibus, à faciendâ injuriâ arceantur [2]. Accurse étend cette règle jusqu'aux officiers du prince: quod etiam principis officialibus resistetur si excedant in suo officio [3]. Les docteurs enseignaient sans hésitation cette doctrine. Farinacius. après avoir posé en maxime l'obéissance aux ordres de justice, ajoute immédiatement une exception pour le cas où le juge ou ses officiers excèdent les limites de leurs fonctions: nam tunc licitè et impunè illis resisti posse [4]; et ce droit de résistance est même érigé en obligation, en devoir privatus non solùm impunè est resistere officiali, cùm aliquid facit contrà jura, imò quod punitur si non resistit [5].

La raison de ce droit de résistance est inaiquée par Grotius. L'usage de la force, suivant

[1] Voy. le texte des arrêts dans le Traité de la liberté individuelle, par M. Coffinières, t. 2, p. 400 et suiv.; et aux recncils cités dans la note précédente de l'éditeur belge.

[2] L. 5, Cod. de jure fisci.

[3] Glose sur la loi 5, C. de jure fisci.

[4] Farinacius, quæst. 32, no 88.

cet auteur, n'est injuste qu'autant qu'il donne atteinte au droit; mais il devient licite quand il ne fait que repousser une attaque injuste [6]. Or, l'agent, lorsqu'il procède contre son droit, lorsqu'il excède son pouvoir, n'est plus qu'un simple particulier dont il est permis de repousser les violences; son acte est un acte de force brutale auquel on peut opposer la force cllemême; car, suivant la réflexion de Cicéron, quid est quod contrà vim, sine vi, fieri possit [7]? « On ne peut admettre, dit Barbeyrac sur Grotius, qu'un particulier sé soit engagé ou ait dû s'engager nécessairement à souffrir tout de ses supérieurs sans jamais opposer la force à la force. Si cela était, la condition de ceux qui entrent dans quelque société serait, sans contredit, plus malheureuse qu'auparavant, et rien ne les obligerait à se dépouiller de cette liberté matérielle dont chacun est si jaloux [8]. » C'est alors le cas d'appliquer l'axiome de la loi romaine : Vim vi repellere licere [9].

Cette doctrine était enseignée sous notre ancien droit : « Il y a quelque cas, dit Jousse, où il est permis à celui que l'on veut emprisonner de faire résistance, et cela a lieu principalement lorsque celui qui veut arrêter est sans caractère, ou lorsqu'ayant caractère, il n'a point les marques de son ministère, ou bien lorsqu'il est porteur d'un mandement ou décret d'un juge sans caractère, ou lorsqu'il a excédé son pouvoir ou qu'il n'a point observé les formes de justice. En effet, cette résistance est plutôt une défense légitime qu'une rébellion. Ainsi il est permis à celui qu'on veut arrêter injustement, non-seulement de résister, mais encore d'appeler ses amis et ses voisins à son secours pour l'aider à se défendre [10]. >>

L'Assemblée constituante, recueillant ce principe, ne punissait les violences et les voies de fait comme constitutives de la rébellion, qu'autant qu'elles étaient opposées à un dépositaire de la force publique agissant légalement dans l'ordre de ses fonctions; et l'article 11 de la constitution du 24 mai 1793, développant la pensée du législateur de 1791, portait : « Tout acte exercé contre un homme, hors les cas et sans les formes que la loi détermine, est

[5] Ibid.

[6] De jure belli et pacis, t. 1, p. 69.
[7] Epist. ad fam., lib. 12, ep. 3.
[8] Nutus dur Grotius, t. 1, p. 171.

[9] L. 1, § 27, Dig. de vi et de vi armatá.
[10] Traité des matières criminelles, t. 4, p. 79.

arbitraire et tyrannique celui contre lequel on voudrait l'exécuter par la violence a le droit de le repousser par la force. » Cette disposition, trop absolue sans doute, a été reproduite dans plusieurs législations modernes la loi brésilienne ne punit la rébellion que lorsqu'elle s'est opposée par la force à l'exécution des ordres légaux des autorités compétentes (art. 116). Le Code de la Louisiane ne prévoit également le même délit que dans le seul cas où il entrave l'exécution légale d'un acte officiel (the lawful execution of an official act), et la loi ajoute que l'opposition ne constitue ni crime ni délit lorsqu'elle n'a eu pour but que d'empêcher l'exécution d'un acte illégal [1].

Essayons maintenant de poser les vrais princi pes de la matière et d'abord écartons une considération qui semble le principal appui du système de la Cour de cassation. Est-il possible de croire que la théorie de la résistance, mise en vigueur pendant des siècles, proclamée par les lois anciennes, recueillie par les législations modernes, enseignée par les plus graves jurisconsultes, soit subversive de tout ordre, soit un outrage pour la loi elle-même ? Non, la société n'est pas mise en péril parce que la loi pose la limite de l'action du pouvoir, parce qu'elle cesse de le protéger quand il la dépasse et se livre à des actes arbitraires; non, la loi n'est point outragée parce que les agents chargés de l'exécuter sont méconnus, quand ils méconnaissent eux-mêmes leur mission. Le péril serait de confondre l'abus et le droit et de les couvrir de la même protection; l'outrage, de donner la provision aux actes arbitraires sur la réclamation légale. Il faut poser la question avec clarté il ne s'agit point d'établir ici le germe d'un principe de résistance envers l'autorité; si une telle interprétation peut être donnée à ces lignes, nous la désavouons à l'avance: l'agent cesse d'être le représentant de l'autorité au moment où il s'écarte de ses fonctions, car l'autorité dans un gouvernement constitutionnel, c'est la loi, c'est le droit. Toute la question est donc de savoir si la loi doit le soutenir même dans les excès qu'il commet, doit l'avouer encore quand il en viole les préceptes. Or, si les solutions peuvent être diverses, du moins, il faut le reconnaître, l'ordre public n'est point sérieusement engagé dans cette

question, car l'ordre n'est point intéressé à soutenir les abus des agents du pouvoir; il se fonde sur la loi et non sur l'arbitraire.

Mais en cette matière toute règle absolue est inexacte. Le péril cesserait d'être illusoire, si le droit de résistance pouvait se puiser indistinctement dans toutes les illégalités qui peuvent entacher les actes des dépositaires de la force publique. Il est impossible, il serait puéril de retirer à ces agents la protection que la loi 'leur doit, dès qu'ils s'écartent, même à leur insu, du cercle légal dans lequel ils doivent se mouvoir. Lorsque l'huissier est porteur d'un titre, il n'est point appelé à en apprécier la régularité; si ce titre est irrégulier, on ne peut le rendre responsable d'une faute qui n'est pas la sinne: le citoyen lui-même est incompétent pour prononcer sur les nullités qui peuvent entacher l'acte; il ne peut que se réserver de les faire valoir devant la justice. Attribuer à chaque partie le droit de discuter les actes qui sont exécutoires contre elle, ce serait priver l'officier public de toute la force que la loi lui a déléguée; les inquiétudes manifestées par la Cour de cassation se trouveraient peut-être justifiées. Sans doute toute irrégularité dans l'exécution des lois et des actes de l'autorité est la privation d'une garantie; mais la résistance active est un moyen extrême qui ne peut être légitime que lorsqu'elle repousse une attaque flagrante contre le droit. « Il faut distinguer, dit Barbeyrac, entre les injustices douteuses ou supportables et les injustices manifestes et insupportables: on doit souffrir les premières, mais on n'est point obligé de souffrir les autres. » La difficulté est de poser la limite.

Le principe général est l'obéissance aux ordres des pouvoirs publics, la soumission aux actes des agents de la force publique. Toute résistance effective, toutes violences ou voies de fait opposées à ces agents sont donc réputées constituer un délit ; elles ne perdent ce caractère qu'en prouvant la cause d'excuse ou de justification. C'est donc avec raison que la Cour de cassation a établi en principe que la présomption de légalité est en faveur des agents de l'autorité; cette présomption favorable résulte de la nature même des choses, mais il faut prendre garde d'en forcer les conséquences.

Nous en déduirons d'abord, comme autant de

[1] This offence is not commited by an opposition to any others than official acts, therefore the penalty is not incurred by opposing an officer of jus

tice, when he attempts to do any act that is not authorized by his legal powers, or to do an authorized act by illegal means. (Art. 157.)

corollaires, que toutes les fois que l'officier public agit dans l'exercice de ses fonctions, que toutes les fois qu'il est porteur d'un titre exécutoire, l'irrégularité qui vient à entacher soit ses opérations, soit le titre luimême, ne peut constituer une excuse pour une résistance active; car la provision est au titre, elle est à l'officier public agissant dans ses fonctions. Si l'irrégularité enlève au citoyen quelques-unes de ses garanties, il peut demander la réparation par les voies légales. L'officier agit irrégulièrement, mais il agit dans le cercle de sa compétence; s'il lèse un droit, il en demeure responsable; s'il ne l'attaque pas violemment, les voies de fait qui lui seraient opposées resteraient donc sans cause et sans excuse. Ainsi les arrêts des 14 avril 1820 et 5 janvier 1821, que nous avons cités plus haut, renfermés dans l'espèce à laquelle ils se sont appliqués, sont à l'abri de la critique; car, dans l'une et dans l'autre espèce, les agents chargés de l'exécution procédaient dans les limites de leur compétence; dans l'une et l'autre espèce, il y avait un titre exécutoire; l'irrégularité de l'exécution dans un cas, et du titre dans l'autre, motivait donc des réserves de la part de la partie, et non une résistance effective.

Mais la présomption de légalité doit cesser de couvrir les actes de l'officier public quand il se rend coupable d'un excès de pouvoir, de la violation flagrante d'un droit. Tels seraient les cas où l'agent de la force publique voudrait, hors le cas de flagrant délit et sans mandat, effectuer une arrestation; où un huissier prétendrait opérer une saisie sans justifier d'un jugement qui l'ait ordonnée; où un officier public tenterait de s'introduire, pendant la nuit, hors les cas prévus par la loi, dans le domicile d'un citoyen pour y procéder à une perquisition. Dans ces différents actes, l'agent ne saurait plus être protégé par sa fonction, car il agit en dehors de ses devoirs; il ne peut invoquer le titre en vertu duquel il procède, car il ne le représente pas, ou ce titre rencontre dans son exécution instantanée un obstacle légal. La présomption ne le défend donc plus, car l'illégalité est flagrante, car cette illégalité prend les caractères d'un délit. Et ce délit ne constituet-il pas, par sa seule existence, une attaque violente contre des droits reconnus? Dès lors comment contester le droit de résister? Cette résistance n'est qu'une opposition de la force à la force, un acte de légitime défense; car l'acte que commet l'agent en dehors de ses fonctions, dès qu'il n'est plus l'exécution de la loi ⚫on d'un ordre de l'autorité publique, n'est plus

qu'un acte de force matérielle. Or, la résistance, légitime dans tous les autres cas, à l'égard de toutes autres personnes, changera-t-elle de nature à raison de la qualité de l'agent? Mais comment cette circonstance pourrait-elle modifier la responsabilité de l'auteur des voies de fait? S'il n'a fait que résister à une provocation injuste, à un acte arbitraire, comment la résistance deviendra-t-elle coupable par cela seul que l'acte était commis par un officier public?

Toutefois, et nous nous hâtons de le dire, l'injustice de l'acte ne servirait pas toujours d'excuse aux violences et aux voies de fait qui auraient été commises pour le repousser ; un refus verbal, une résistance inerte et passive suffisent pour protéger le droit, tant que l'agent qui poursuit l'exécution d'un acte arbitraire se borne à en réclamer l'accomplissement. Ce n'est donc que lorsqu'il déploie la force, que la force peut lui être opposée; et, dans ce cas même, la résistance doit se proportionner à l'intensité de l'attaque et n'employer que les moyens nécessaires pour en triompher; car la défense cesserait d'être légitime et les violences d'être excnsables, du moment où elles seraient inutiles pour la conservation du droit. Les auteurs de ces voies de fait pourraient être l'objet d'une poursuite, non plus pour une rébellion, car la rébellion suppose l'opposition à un acte de l'autorité publique, mais à raison des délits distincts qui résulteraient des excès et des violences commises sans nécessité.

Tels sont les termes où, suivant nous, cette grave question doit être ramenée et trouver une solution. La distinction que nous proposons nous semble concilier les intérêts divers qui se croisent dans cette matière; elle est une conséquence directe de la raison même de la loi ré pressive de la rébellion, puisque la rébellion ne peut se concevoir que lorsqu'elle est dirigée contre l'autorité publique ; enfin elle rentre dans les termes de la loi pénale. En effet l'art. 209, en exigeant que la rébellion, pour être punie, saisisse l'officier public au moment où il agit pour l'exécution des lois, des ordres ou ordonnances de l'autorité publique, des mandats de justice ou des jugements, suppose évidemment deux conditions distinctes: la première, qu'il agisse dans l'exercice de ses fonctions, dans le cercle de sa compétence; la deuxième, qu'il agisse pour l'exécution des lois ou des ordres qu'il a reçus, et par conséquent dans les limites de la mission qui lui a été donnée. Ce n'est donc que lorsqu'il exécute cette double condition, que la loi le suit et le protège

dans l'exercice de son ministère; ce n'est que dans ce cas que les voies de fait dont il est l'objet, sont considérées comme une résistance opposée à la loi, à l'autorité publique elle-même. Cette interprétation, qui prend les termes de l'art. 209 dans leur sens littéral et précis, les concilie en même temps avec les principes de la matière. Elle limite l'application de la peine au seul cas où l'autorité publique est méconnue dans la personne de l'agent; elle l'écarte, au contraire, quand cet agent substitue une autorité usurpée et arbitraire à l'autorité légale qu'il devrait exercer, et quand la loi n'a plus en conséquence aucun intérêt à le faire respecter.

Est-il besoin d'ajouter que la seule absence des insignes distinctifs de la fonction ne pourrait, en général, justifier la résistance? Car le prévenu ne saurait puiser une cause de justification dans un simple défaut de forme d'où nulle lésion ne dérive réellement pour lui. Le principal effet que peut produire l'absence des insignes est de faire naître en faveur du prévenu la présomption qu'il n'a pas connu la qualité de l'agent, et que les violences qu'il a pu commettre ne s'adressaient pas au représentant de l'autorité publique; mais cette présomption peut être combattue par la preuve contraire, et, s'il est établi que cette qualité était connue de lui, la présomption de criminalité remplace la présomption favorable. Il ne reste plus alors qu'une sorte d'excuse ou de circonstance atté nuante qui se fonde sur ce que les signes extérieurs de l'autorité commandent toujours plus de retenue et de respect, et que dès lors l'absence de ces insignes, en privant l'autorité d'une partie de sa force morale, semble enlever au délinquant une partie de sa culpabilité.

Nous avons développé jusqu'ici les circonstances caractéristiques de la rébellion, les éléments du délit; nous allons examiner maintenant le système de pénalité que le Code pénal a adopté.

Ce système se fonde sur deux bases différentes, les circonstances extérieures de la rébellion, et ses résultats matériels; mais ces deux bases ne sont point combinées l'une avec l'autre, et forment deux systèmes distincts. Considérée d'abord dans ses seules circonstances, et abstraction faite de ses résultats, la rébellion puise sa qualification et l'aggravation de ses peines dans deux faits : le nombre des coupables, et les armes dont ils étaient porteurs. Si la rébellion a été commise par une ou deux personnes seulement et sans armes, elle ne constitue qu'un simple délit, et la peine est un emprison

CHAUVEAU. T. 11.

nement de six jours à six mois; si elle a été commise par ces deux personnes avec armes, ou par une réunion de trois jusqu'à vingt personnes sans armes, la rébellion est encore un simple délit, et la peine est un emprisonnement de six mois à deux ans; elle prend le caractère du crime et la peine est la reclusion, lorsqu'elle a été commise par une réunion armée de trois personnes ou plus jusqu'à vingt inclusivement, ou par une réunion même de plus de vingt personnes, mais sans armes; enfin, la peine s'élève aux travaux forcés à temps, lorsque la réunion s'est composée de plus de vingt personnes armées. Reprenons chaque terme de cette gradation.

L'art. 212 est ainsi conçu : « Si la rébellion n'a été commise que par une ou deux personnes avec armes, elle sera punie d'un emprisonnement de six mois à deux ans, et, si elle a eu lieu sans armes, d'un emprisonnement de six jours à six mois. >> Nous avons expliqué précédemment ce qu'il faut entendre par l'expression d'armes, et dans quels cas les bâtons et les pierres, notamment, doivent être considérés comme des armes. Il nous reste à examiner dans quelles circonstances une réunion de personnes doit être réputée armée.

L'art. 211 porte: « Si la rébellion a été commise par une réunion armée de trois personnes ou plus jusqu'à vingt inclusivement, la peine sera la reclusion; s'il n'y a pas eu port d'armes, la peine sera un emprisonnement de six mois au moins et de deux ans au plus. » L'art. 214 définit la réunion armée : « Toute réunion d'individus pour un crime ou un délit est réputée réunion armée, lorsque plus de deux personnes portent des armes ostensibles. >> Cet article porte une disposition générale qui s'applique aux divers cas prévus par les articles précédents; il se combine donc nécessairement avec les art. 210 et 211 [1], et dès lors la réunion prévue par ces articles a le caractère de réunion armée, toutes les fois que trois personnes au moins portent des armes ostensibles. Toutefois, dans ce cas, les pierres ne seraient pas réputées des armes; car, d'après la théorie que nous avons exposée précédemment, les pierres ne prennent la qualification d'armes que dans l'usage qui en est fait des personnes simplement munies de pierres ne sont donc pas considérées comme armées; mais la réunion serait réputée armée si plus de deux personnes avaient fait usage de ces pierres contre les agents de l'autorité. Au

[1] Arr. cass. 8 nov. 1832.

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reste, il ne faut pas perdre de vue que deux conditions sont exigées pour qu'il y ait réunion armée dans le sens légal de ce mot : il faut que trois personnes au moins portent des armes, et que ces armes soient ostensibles. La loi a pensé que les individus non armés, en se plaçant sous la protection ou la bannière de ceux qui portaient ouvertement des armes, se sont associés à l'intention criminelle qui animait ceux-ci, et se sont dès lors rendus complices de leurs violences. Il est donc nécessaire que les armes aient pu être aperçues de tous les membres de la réunion, la présence des membres non armés, après qu'ils ont connu cette circonstance, est un acquiescement présumé à ce qu'il en soit fait

usage.

Si les armes sont restées cachées, si elles n'ont pas été aperçues des personnes qui faisaient partie de la réunion, ces personnes ne peuvent plus être responsables de cette circonstance, et les porteurs des armes sont seuls passibles d'une aggravation de peine. Telle est la décision de l'article 215, portant : « Les personnes qui se trouveraient munies d'armes cachées, et qui auraient fait partie d'une troupe ou réunion non réputée armée, seront individuellement punies comme si elles avaient fait partie d'une troupe ou réunion armée. » Les armes sont réputées cachées toutes les fois qu'elles ne sont pas portées ostensiblement ; mais il ne suffit pas que les prévenus se soient munis momentanément de ces armes, il faut qu'ils en aient été trouvés porteurs tel est le sens littéral de l'article, et il n'est pas permis d'en étendre le texte.

Lart. 214 ne répute la réunion armée que lorsque trois personnes au moins portent des armes ostensibles, et l'art. 215 ne punit individuellement ceux qui étant armés font partie d'une réunion non réputée armée, que dans le cas où ces individus se trouvent munis d'armes cachées; il suit de là que si un seul ou deux individus, dans une réunion non armée, ont porté des armes ostensibles, ils échapperont à toute aggravation de la peine, puisque, d'une part, ils n'ont point communiqué à la réunion dont ils ont fait partie le caractère de réunion armée, et que, d'un autre côté, ils ont porté des armes ostensibles et non des armes cachées. Objectera-t-on qu'ils doivent, à plus forte rai son, être rangés dans la catégorie des personnes trouvées munies d'armes cachées ? Mais en matière pénale, et ce n'est pas la première fois que nous répétons cette règle fondamentale, toute analogie d'un cas à un autre est formellement interdite nous signalons une lacune jusqu'à présent inaperçue; ce n'est point à l'interpré

tation doctrinale qu'il appartient de la remplir.

Si la rébellion est commise par plus de vingt personnes, les peines dont elle devient passible sont prévues par l'art. 210 qui est ainsi conçu : « Si elle a été commise par plus de vingt personnes armées, les coupables seront punis des travaux forcés à temps; et s'il n'y a pas eu port d'armes, ils seront punis de la reclusion.>> Il n'est pas inutile de rappeler que, lors de la discussion du Code, la peine portée dans cette deuxième hypothèse fut considérée comme trop élevée par le Corps législatif : « L'exposé d'un cas fréquent, disait la commission de ce corps, justifiera une modification dans la peine. Un huissier va exécuter une contrainte par corps contre un père de famille dans un village, on déplacer des meubles saisis; la femme et les enfants s'exaspèrent, se livrent à des injures : l'huissier veut exécuter son mandat par la force; on cherche à lui arracher l'individu qu'il entraîne; les parents, les voisins s'assemblent au bruit, ils empêchent l'exécution. Voilà un attroupement de plus de vingt personnes; mais il n'est point médité, les attroupés sont sans armes : leur infligera-t-on une peine afflictive et infamante? ne seront-ils pas assez punis par un emprisonnement? On sent que des attroupements de ce genre seront plus fréquents que les autres; qu'ils sont punissables, mais non d'une nature à entraîner la reclusion d'un grand nombre de personnes. La commission pense qu'un emprisonnement qui peut s'élever jusqu'à cinq ans serait une punition suffisante dans le second cas de l'article. » Le Conseil d'état repoussa l'amendement, en se fondant sur ce que la loi doit une protection signalée aux agents qui exécutent les ordres de la justice; que la série des peines que l'article établit est sagement combinée; enfin que la rébellion commise directement par plus de personnes ne peut pas être un délit léger. L'admission du système des circonstances atténuantes permet aujourd'hui de mettre plus de proportion entre la peine et le délit, en effaçant ce qu'elle peut avoir de trop rigoureux dans certains cas.

La loi ne se sert plus, dans l'art. 210, des mots de réunion armée, parce que dans l'esprit du Code le rassemblement de plus de vingt personnes n'est plus une réunion, mais un attroupement. Cette distinction se trouve établie dans les observations adressées par le Corps législatif au Conseil d'état sur la rédaction du Code: « L'attroupement suppose un nombre d'individus rassemblés en troupe ou masse dont le nombre de trois semble exclure l'idée. La

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