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carcération, n'a point mentionné le mandat d'amener. Il faut en conclure que la loi repousse toute détention qui n'aurait pour appui que ce mandat. Et en effet, le mandat d'amener n'a qu'un objet, l'interrogatoire du prévenu; cet interrogatoire doit avoir lieu de suite et au plus tard dans les 24 heures. Mais jusque-là il ne peut être déposé dans une prison; on doit seulement le garder à vue. M. Legraverend avait émis une opinion contraire dans la première édition de son traité [1]; mais cette opinion, successivement attaquée par tous les jurisconsultes qui ont écrit sur les matières criminelles [2], a été modifiée dans la dernière édition de cet ouvrage : il reconnait que la détention provisoire ne serait légale qu'aatant qu'une chambre serait spécialement destinée dans la prison à recevoir les prévenus avant l'interrogatoire [3]. Mais cette disposition ne changerait rien au caractère de la mesure. La loi n'a point voulu qu'une personne qui n'a pas encore pu répondre à l'inculpation dont elle est l'objet, et qui d'un mot peut la détruire, subit une incarceration prématurée. On peut obvier d'ailleurs à toutes les difficultés en accélérant l'interrogatoire des prévenus qui, par un abus contre lequel on ne peut trop réclamer, ont souvent attendu plusieurs jours, en état de mandat d'amener, cet interrogatoire qui devait les laver de tout soupçon.

Du reste, il est évident que ce n'est pas aux concierges et gardiens des prisons qu'il appartient d'apprécier la régularité des mandats ou des jugements qui leur sont représentés, pourvu cependant qu'ils émanent d'un fonctionnaire public auquel la loi ait donné le pouvoir de les décerner. Car s'il émanait d'un fonctionnaire incompétent, le mandat ne serait pas seulement irrégulier, il serait nul et ne pourrait avoir aucun effet.

Le second délit prévu par l'art. 120 est le refus du gardien de représenter le prisonnier à l'officier de police, sans justifier de la défense du procureur du roi ou du juge d'instruction. Cette disposition est la sanction des art. 79 et 80 de la constitution du 22 frimaire an vIII et de l'art. 618 du Code d'instruction criminelle. Ces articles prescrivent au gardien de représenter la personne du détenu à l'officier civil qui a la police de la prison, ou à ses parents et amis porteurs de l'ordre de cet officier. Il n'est dispensé de cette obligation que dans le cas où le

[1] Traité de législ. crim. t. 2, p. 310.

[2] Carnot, Comment. du C. d'inst. crim. t. 1, p. 261; Bourguignon, t. 1, p. 219; M. Bérenger,

détenu est mis au secret; mais alors il doit représenter l'ordonnance du juge d'instruction qui tient la personne au secret.

L'art. 120 prévoit, enfin, le refus du gardien d'exhiber les registres de la prison. L'art. 78 de l'acte du 22 frimaire an VIII portait : « Un gardien ou geôlier ne peut recevoir ou détenir aucune personne qu'après avoir transcrit sur son registre l'acte qui ordonne l'arrestation. » Les art. 607, 608, 610 et 618 du Code d'instruction criminelle prescrivent également la tenue de ce registre, et l'inscription des mandats et jugements et sa vérification par les officiers de justice. Mais il est à remarquer que l'art. 120 du Code pénal ne punit que le refus de représentation du registre, et non la négligence qui aurait empêché de tenir un registre régulier. Le motif de cette omission est que l'irrégularité du registre constitue une contravention qui ne pouvait se confondre avec les délits de détention arbitraire dont s'occupe cet article.

L'art. 122 punit une deuxième violation des formes prescrites pour la détention, l'incarcération hors des lieux destinés à la garde des détenus. Cet article qui, d'ailleurs, renferme deux prescriptions différentes, est ainsi conçu : « Seront punis de la dégradation civique les procureurs généraux ou du roi, les substituts, les juges ou les officiers publics qui auront retenu ou fait retenir un individu hors des lieux déterminés par le gouvernement ou par l'administration publique, ou qui auront traduit un citoyen devant une Cour d'assises, sans qu'il ait été légalement mis en arrestation. »

La règle que cet article rappelle a déjà fait l'objet de nos observations [4]. Nous ajouterons ici quelques considérations qui se rattachent spécialement à cette diposition. A côté des mai– sons d'arrêt et de justice, et des maisons de correction et de détention, instituées par le Code d'instruction criminelle (art. 603 et 604), et par le Code pénal (art. 16, 17, 19, 21, et 40), d'autres lieux de détention ont été établis sous le nom de maisons de police municipale, de prisons cantonales et de maisons de dépôt ; or, ces maisons, qui ne se trouvent toutefois que dans quelques communes, quelques cantons, ontelles une existence légale? Aucune loi, réglement d'administration publique ne les a instituées; la même incertitude règne sur la dénomination de ces établissements et sur leur

de la Just. crim. p. 375.

[3] Nouv. éd. t. 2, p. 316, note. [4] Voy. t. 1.

aucun

destination. Tantôt ils ne servent qu'à la réclusion des condamnés pour contravention de police; tantôt tous les prévenus transférés d'une prison dans une autre, tous les individus arrêtés en flagrant délit y sont enfermés. Ce régime est évidemment illégal; il prive les détenus des garanties que la loi leur accorde : placés dans ces maisons en dehors de toute surveillance, il les expose à l'arbitraire.

Toutefois il ne faut pas comprendre parmi les maisons de dépôt les chambres de sûreté de la gendarmerie: l'art. 85 de la loi du 28 germinal an vi consacre formellement l'institution de ces chambres, qui doivent exister dans les lieux de résidence de brigades où il ne se trouve ni maisons de justice ou d'arrêt, ni prisons, et qui sont destinées à recevoir le dépôt des prisonniers conduits de brigade en brigade. L'existence de ces prisons provisoires est donc, au contraire, parfaitement légale.

Ensuite, il est évident qu'en cette matière la loi pénale ne doit pas être trop rigoureusement appliquée. Les circonstances, telles que l'urgence de la détention, et la destination publique quoique non autorisée, de la maison où le dépôt a été effectué, doivent tempérer cette application. C'est ainsi qu'en règle générale le prévenu, surpris en flagrant délit ou poursuivi par la clameur publique, doit être conduit sur-lechamp devant l'officier de police judiciaire le plus prochain: tant que les mandats de dépôt ou d'arrêt ne sont pas décernés, l'inculpé ne peut être consigné dans aucune prison; il reste sous la garde de la force publique. Cependant si son escorte, soit avant la translation, soit durant le trajet, le dépose quelques instants dans une maison de dépôt ou dans une chambre de sûreté, on ne saurait voir dans ce dépôt momentané le crime prévu par l'art. 122; la nécessité le justifie en quelque sorte, et d'ailleurs il n'y a point là d'infraction qui puisse revêtir le caractère d'un crime.

Quant à la deuxième disposition de l'art. 122 qui punit l'envoi devant la Cour d'assises d'un citoyen qui n'a pas été légalement mis en accusation, il nous parait que cette incrimination, destinée à sanctionner l'art. 271 du Code d'instruction criminelle, et jusqu'à présent inappliquée, était sans objet, puisque une telle poursuite serait repoussée, et par la Cour d'assises qui se déclarerait illégalement saisie, et par la Cour de cassation qui, dans tous les cas, protégerait les droits de l'accusé. Au reste, le droit de citation directe devant la Cour d'assises, accordé par les lois du 10 avril 1831 et du 9 sept. 1835 au ministère public, établit mainte

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nant une notable exception à cette disposition. Il nous reste à parler d'une prévision importante de la loi. L'art. 121 a eu pour but de protéger les hauts fonctionnaires de l'État contre des arrestations précipitées; en voici le texte : «Seront, comme coupables de forfaiture, punis de la dégradation civique, tout officier de police judiciaire, tous procureurs généraux ou du roi, tous substituts, tous juges, qui auront provoqué, donné ou signé, un jugement, une ordonnance ou un mandat tendant à la poursuite personnelle ou accusation, soit d'un ministre, soit d'un membre de la Chambre des Pairs, de la Chambre des Députés ou du Conseil d'état, sans les autorisations prescrites par les lois de l'Etat; ou qui, hors les cas de flagrant délit ou de clameur publique, auront, sans les mêmes autorisations, donné ou signé l'ordre ou le mandat de saisir ou arrêter un ou plusieurs ministres ou membres de la Chambre des Pairs, de la Chambre des Députés ou du Conseil d'état. >>

Il est nécessaire, pour comprendre le sens de cet article, de se reporter aux art. 70 et 71 de la constitution du 22 frimaire an VIII. Ces articles portent que « Les délits personnels emportant peine afflictive ou infamante, commis par un membre, soit du sénat, soit du tribunat, soit du corps législatif, soit du Conseil d'état, sont poursuivis devant les tribunaux ordinaires, après qu'une délibération du corps auquel le prévenu appartient a autorisé cette poursuite; et que les ministres prévenus de délits privés emportant peine afflictive ou infamante, sont considérés comme membres du Conseil d'état.>> Telles sont les autorisations que la police judiciaire doit demander avant de requérir ou de décerner un mandat contre l'un de ces fonctionnaires. Cet article, maintenu en ce qui concerne les pairs par l'art. 29 de la Charte, a été modifié relativement aux députés par l'art. 44 de la même Charte, qui ne prohibe leur poursuite et leur arrestation en matière criminelle, sans l'autorisation de la Chambre, que pendant la durée de la session.

Mais l'article 44 de la Charte, [1] comme l'article 121 du Code pénal, fait une exception pour les cas de flagrant délit ou de clameur publique: la poursuite et l'arrestation peuvent alors être ordonnées sans attendre les autorisations prescrites par les lois. Toutefois cette disposition qui, dans l'esprit de la législation n'est qu'exceptionnelle, reçoit

[1] V. Const. B., art. 45.

d'étroites limites. La législation distingue dans un fonctionnaire deux caractères différents, la personne privée et la personne publique. Cette dernière seule a dû être l'objet d'une protection plus spéciale : quant à l'autre, la loi la laisse, en général, dans le droit commun. Ainsi l'art. 75 de la loi du 22 frimaire an VIII ne protége les agents du gouvernement qu'à l'égard des faits relatifs à leurs fonctions; et ce n'est qu'en ce qui concerne les ministres, les sénateurs, les députés et les membres du Conseil d'état, que les art. 70 et 71 ont étendu leur protection jusqu'aux crimes privés de ces hauts fonctionnaires. Or, l'article 121, qui n'est que la sanction pénale de ces derniers articles, ne concerne donc lui-même que les faits privés des personnes qu'il désigne; cette conséquence rigoureuse devient évidente par la relation de cet article avec l'article 129 qui ne s'applique, au contraire, qu'à la poursuite des crimes commis par les agents dans l'exercice de leurs fonctions. De là il suit que ce n'est qu'à l'égard des actes étrangers à leurs fonctions que ces fonctionnaires peuvent, au cas de flagrant délit, être poursuivis et arrêtés. S'il s'agissait d'un crime qui fût relatifà ces fonctions, la poursuite ne pourrait, même dans ce cas, avoir lieu que dans la forme et avec les autorisations prescrites par les lois, sauf toutefois en ce qui concerne les membres de la Chambre des députés. Nous reviendrons sur cette distinction importante en examinant la disposition de l'art. 129 dans le quatrième paragraphe de ce chapitre.

Mais l'art. 121 ne tend qu'à punir la recherche de la personne, avant que l'autorisation soit accordée; on ne doit pas l'étendre à la recherche des preuves qui constatent le corps du délit. Aussi M. Berlier déclara, dans la discussion du Conseil d'état : « que l'intention des rédacteurs du projet de Code n'avait certainement pas été d'empêcher ou d'arrêter les premières informations, mais seulement de s'opposer à ce qu'aucune ordonnance ou mandat n'eût lieu contre les fonctionnaires de la qualité désignée, avant les autorisations constitutionnelles. » Ce principe avait déjà été posé par l'art. 3 du décret du 9 août 1806, portant: « La disposition de l'art. 75 de l'acte de l'an VIII ne fait point obstacle à ce que les magistrats chargés de la poursuite des délits informent et recueillent tous les renseignements relatifs aux délits commis par nos agents dans l'exercice de leurs fonctions. » Il

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a même été décidé par le Conseil d'état qu'une demande en autorisation de mettre en jugement un fonctionnaire public ne peut lui être présentée, si elle n'a été précédée d'une information judiciaire [1]

Ici se terminent les dispositions du Code qui sont destinées à protéger la liberté individuelle des citoyens contre les actes arbitraires des fonctionnaires publics. Deux choses frappent dans leur examen : l'insuffisance des prévisions, et le défaut de proportion des pénalités. Aucune définition n'a caractérisé l'attentat à la liberté ; il semble que la loi ait voulu livrer au même arbitraire l'abus du droit d'arrestation et la répression de cet abus : les fonctionnaires ne connaissent ni l'étendue ni les limites de leur pouvoir; l'obscurité de la législation leur permet de fatales erreurs, et la loi les laisse désarmés pour les réparer. D'un autre côté, l'application uniforme de la dégradation civique aux faits si divers que prévoient les art. 114, 119, 121 et 122, est une imperfection non moins grave. Si l'attentat à la liberté revêt dans certaines circonstances une criminalité que cette peine ne semble pas ressentir, elle est évidemment trop forte dans les autres espèces, lesquelles constituent plutôt des abus ou des excès de pouvoir que de véritables crimes. En cette matière importante la législation est donc loin d'offrir cet ensemble de règles et de garanties que la Charte semble supposer: le principe est posé, mais la loi d'application manque encore; et si nous nous sommes appesantis sur cet objet, c'est surtout pour en faire sentir la nécessité.

§ III. Coalition de fonctionnaires.

Les coalitions qui peuvent se former entre les fonctionnaires public ont excité la sollicitude du législateur. Ces coalitions, rares sans doute, mais inquiétantes de leur nature, pourraient devenir funestes à un gouvernement mal affermi, et le droit de les réprimer, dans tous les cas, ne saurait être sérieusement contesté.

La criminalité de ces actes peut varier d'intensité selon le but où ils tendent et les effets qu'il peuvent produire. Les coalitions ne forment qu'un simple délit, lorsqu'elles ne consistent que dans un concert de mesures contraires aux lois ; s'il s'y joint une circonstance aggravante, si la coalition est dirigée contre l'exécution même des lois ou contre les ordres du

aussi arr. cass. 24 juin 1819 (Dall. Rec. alph. t. 8. p. 678).

gouvernement, elle devient un crime; ce crime acquiert un nouveau degré de gravité quand la coalition s'est formée entre des autorités civiles et des corps militaires; enfin le péril est imminent si le crime dégénère en un complot contre la sûreté de l'Etat. Telles sont les différentes gradations que la loi pénale a parcourues.

L'aricle 123 porte : « Tout concert de mesures contraires aux lois, pratiqué soit par la réunion d'individus ou de corps dépositaires de quelque partie de l'autorité publique, soit par députation et correspondance entre eux, sera puni d'un emprisonnement de deux mois au moins et de six mois au plus, contre chaque coupable, qui pourra de plus être condamné à l'interdiction des droits civiques et de tout emploi public pendant dix ans au plus. »>

Cet article prévoit le délit de coalition indépendamment de toute circonstance aggravante: ce délit consiste dans un concert de mesures contraires aux lois. Ces derniers mots ont été substitués à ceux-ci : non autorisées par les lois, qui figuraient dans la rédaction primitive de l'article. La commission du Corps législatif proposa cette substitution : « Il y a beaucoup de mesures, porte son rapport, qui sans être expressément autorisées par les lois, ne leur sont pas contraires; or il ne peut se rencontrer de culpabilité punissable qu'en ce qui est contraire aux lois; ainsi des démarches purement relatives à des usages, à un cérémonial et à des objets non prohibés par les lois, pourraient, d'après le sens de l'article, être rangées dans la classe des correspondances criminelles, tandis que les mots contraires aux lois lèvent tous les doutes, et que les corps qui se permettraient d'établir un concert que les lois réprouvent, seraient justement punissables. >>

Mais qu'est ce qu'un concert dans le sens de cet article? Dans l'acception commune de ce mot, un concert est l'union de personnes qui tendent à une même fin; dans l'esprit de la loi pénale, c'est un plan concerté entre plusieurs personnes pour parvenir à un but commun. En effet, les mesures qui font l'objet de la coalition supposent un plan, et si ce plan n'avait pas été arrêté entre les coalisés, on ne verrait plus le concert qui est le signe du délit. Il faut, de plus, que la coalition ait été formée par des réunions, des députations, ou par correspondance: les mêmes mesures prises spontanément, à l'exemple les uns des autres, par plusieurs fonctionnaires de divers point de la France, ne constitueraient aucun délit.

L'article 124 impose un nouveau caractère à La coalition, en supposant des circonstances

qui l'aggravent : « Si, par l'un des moyens exprimés ci-dessus, il a été concerté des mesures contre l'exécution des lois ou contre les ordres du gouvernement, la peine sera le bannissement; si ce concert a eu lieu entre les autorités civiles et les corps militaires ou leurs chefs, ceux qui en seront les auteurs ou provocateurs seront punis de la déportation ; les autres coupables seront bannis. >>

La loi aurait dû définir ce qu'il faut entendre par les ordres du gouvernement. Dans son acception la plus large, le gouvernement se compose des trois pouvoirs de l'État, mais alors ses ordres sont les lois; or, comme on ne peut supposer que le législateur ait voulu imprimer le même sens aux deux expressions différentes qui se suivent, il est évident que le gouverne ment, dans cet article, doit être restreint au seul pouvoir exécutif; mais, du moins, il faut reconnaître que les mesures concertées contre les ordres émanés de ce pouvoir ne sont punissables qu'autant que ces ordres ont été signés par le roi et contre-signés par un ministre; car des instructions émanées des ministres seuls ne peuvent être réputées, dans un langage où chaque mot est pesé, où chaque terme a sa valeur propre, des ordres du gouvernement.

La distance qui sépare le fait prévu par l'art. 123 et celui que le premier paragraphe de l'art. 124 punit, est visible et bien tranchée : il y a dans ce dernier cas, infraction et désobéissance directes : les coupables ont agi en pleine connaissance de cause; ils ont empêché ou voulu empêcher l'exécution d'une loi ou d'un ordre positif, et ils ne peuvent pas alléguer, comme dans le premier cas, un oubli de quelques dispositions prohibitives disséminées souvent dans une masse de lois, quelquefois amendées, corrigées ou changées par d'autres.

Mais la même distance ne nous paraît pas séparer les deux crimes prévus dans les deux alinéas de l'art 124. Les pénalités qui les frappent firent l'objet d'une discussion lors de la révision du Code pénal. Le rapporteur de la commission de la Chambre des Députés s'exprimait ainsi : Votre commission vous avait proposé, en remplacement de ces deux peines, la détention à perpétuité et la détention à temps; mais elle a considéré que lorsque le concert séditieux entre les fonctionnaires, surtout entre les fonctionnaires de l'ordre civil et les corps militaires, prenait les caractères de la trahison, il était frappé par des incriminations spéciales, des pénalités les plus sévères. En conséquence, il ne peut s'agir ici que d'une sédition moins coupable, et votre commission croit pouvoir proposer de conserver

le bannissement et de substituer les travaux forcés à temps à la déportation. » Un député fit remarquer qu'à l'égard des fonctionnaires de l'État, la peine des travaux forcés à temps est plus grave, par sa rigueur et par les conséquences morales qu'on y rattache, que la peine de la déportation. L'ancienne rédaction de l'article fut maintenue (1). Cette discussion a paru manifester du moins le désir d'adoucir cette dernière peine et en effet, si le crime a des périls plus graves quand les fonctionnaires appuient leur résistance sur le redoutable levier de la puissance militaire, cette circonstance ne change point au fond la criminalité intrinsèque de l'acte, qui reste le même dans les deux hypothèses. La détention perpétuelle est donc, pour le dernier cas, une peine trop grave et surtout trop éloignée du bannissement qui est infligé dans le premier: temporaire, elle eut suffi à la répression, en même temps qu'elle eût été en rapport avec les deux faits.

L'article 125 prévoit le cas où le crime a atteint son plus haut degré : « Dans les cas, porte cet article, où ce concert aurait eu pour objet ou pour résultat un complot attentatoire à la sûreté intérieure de l'Etat, les coupables seront punis de mort. »

La rédaction de cet article a excité de justes critiques. Le fait qu'il incrimine est le concert ayant pour objet un complot attentatoire à la sûreté de l'État. Or, qu'est-ce qu'un complot? Une résolution concertée d'agir contre la sûreté intérieure de l'État. Ainsi l'incrimination peut être définie un concert de mesures prises pour arriver à une résolution concertée d'agir; or, une telle disposition est évidemment absurde. Au fond, cette incrimination n'est pas moins exorbitante; car nulle différence réelle ne sépare le concert du complot; si quelques nuances peuvent être aperçues, elles placeraient sans doute le simple concert à un degré moins élevé dans l'échelle de la criminalité. Cependant ce concert qui a pour but une résolution d'agir, c'est-à-dire, en définitive, la pensée d'un simple projet, est frappé de la peine de mort, tandis que le complot lui-même n'est puni que de la détention. On s'étonne que la révision du Code n'ait pas effacé cette anomalie. Sans doute, un complot concerté entre des fonctionnaires doit appeler une peine plus forte que si de simples particuliers l'avaient seuls formé. Mais il ne s'agit même pas ici d'un complot; il

[1] Code pénal progressif, p. 227. [2] Essais, p. 71.

ne s'agit que de la pensée, de la résolution concertée de former un complot; et puis, il est inouï de punir dela peine capitale la seule volonté d'agir, un crime immatériel qui ne laisse aucunes traces, qui ne s'est révélé que par des paroles, et que des paroles seules viendront attester. « Après le rêve de Marsyas puni par Denis de Syracuse comme crime de lèse-majesté, a dit M. Destriveaux, après la condamnation de ce gentilhomme exécuté à mort aux halles de Paris pour avoir eu la pensée d'assassiner Henri III, nous ne connaissons rien de plus exorbitant que la disposition de l'article 125 du Code pénal [2]. »

A ces objections on répond que l'article 125, comme tant d'autres de la partie du Code que nous parcourons, n'a jamais été appliqué, et que, sans doute, il ne recevra jamais d'exécution. Alors il fallait le supprimer : si elle est inutile, une telle disposition déshonore la loi qui la conserve; si elle peut être invoquée, elle est dangereuse. La lettre de cet article est meurtrière; dans les troubles politiques, une cruelle interprétation pourrait en être faite. Soit que l'on découvre dans son texte obscur la punition de la volonté ou de la préparation d'un crime qui à son tour n'est qu'une volonté préparatoire, soit qu'on ne l'applique qu'au complot qui serait le résultat des mesures concertées, dans le premier cas l'incrimination est exorbitante, dans les deux la peine est trop forte: la déportation eût été une suffisante répression.

A quelle disposition se rattachent ces mots ce concert de l'art. 125 ? Se réfèrent-ils au premier ou au deuxième alinéa seulement de l'art. 124? M. Destriveaux [3] et M. Bavoux [4] ont adopté cette dernière opinion, entrainés sans doute par la gravité de la peine; suivant ces auteurs l'art. 125 ne serait applicable que dans le seul cas d'un concert entre les autorités civile et militaire. La lettre du Code résiste manifestement à cette opinion: le premier alinéa de l'art. 124, définit le concert criminel, et le deuxième alinéa de cet article, de même que l'art. 125, ne font qu'énoncer des circonstances aggravantes de ce crime l'art 125 se réfère donc nécessairement au premier alinéa de l'art. 124.

L'art. 126 présente une dernière espèce du même crime. « Il ne suffisait pas, a dit M. Berlier, d'atteindre les coalitions dirigées vers des me

[3] Essais, p. 72.

[4] Leçons prélim. du C. pén. p 99.

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