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la soustraction frauduleuse qui en est le but, et elle n'altère ni le caractère ni la gravité de l'un et de l'autre de ces crimes.

La loi du 28 avril 1832 a fait un pas immense pour se rapprocher de ces principes, et à la peine de mort, dans l'espèce de l'art. 132, elle a substitué celle des travaux forcés à perpétuité. Il était difficile qu'elle descendît à une peine inférieure, dès qu'elle ne faisait pas porter la réforme sur les termes trop généraux de l'incrimination elle-même ; et d'ailleurs, le législateur savait qu'il ne posait, dans l'article 132, qu'une peine nominale; il prévoyait que l'effet des circonstances atténuantes ferait tomber la peine à un degré inférieur, et l'on vu, en effet, que sur cent condamnations la peine des travaux forcés perpétuels n'a été prononcée que treize fois, tandis que celle de la reclusion a été infligée cinquante-deux fois.

Toutefois on ne doit pas se lasser de rappeler que la mission du jury n'est point de corriger les défauts de la loi, et qu'en se reposant sur lui du soin de tempérer sa sévérité, on lui restitue une omnipotence qui n'est qu'une source de jugements capricieux ; on lui suppose une hauteur de jugement que son regard borné ne peut jamais atteindre. Les circonstances atténuantes qu'il est appelé à déclarer devraient être seulement puisées dans la jeunesse, dans l'intelligence débile, dans le repentir sincère, dans la position nécessiteuse de l'accusé, et non point dans les vices de la loi et la nécessité d'harmonier les délits et les peines.

Nous le dirons donc, pour conclure sur ce point: la peine des travaux forcés à perpétuité n'est pas en rapport avec les crimes prévus par l'article 132, ou du moins elle devrait être réservée pour les cas où ces crimes sont accompagnés des circonstances les plus graves. Les travaux forcés à temps pour les espèces les plus communes, et pour les degrés inférieurs la réclusion et l'emprisonnement, seraient dans une plus juste proportion avec la véritable criminalité de ces offenses, leur caractère intrinsèque, et le péril réel dont ils menacent l'ordre social. En adoptant cette atténuation nouvelle, la législation ne ferait que recueillir la jurisprudence des cours d'assises, que prononcer des peines qui sont actuellement prononcées : la répression ne serait point affaiblie, mais elle restituerait au fait son caractère propre, à la puissance usurpatrice du jury elle mettrait un frein salutaire, et elle n'exposerait plus la justice à redouter la répression même d'un crime.

Maintenant, et après avoir évalué la valeur morale du crime de fausse monnaie en le consi

dérant sous un point de vue général, nous allons le décomposer dans ses éléments, et analyser les diverses circonstances avec lesquelles il se produit, en essayant d'assigner à chacune d'elles sa valeur relative.

Le Code pénal a fait quatre distinctions importantes : il a séparé dans des classes distinctes la contrefaçon des monnaies d'or et d'argent, celle des monnaies de cuivre ou de billon, la contrefaçon des monnaies étrangères, et enfin l'émission faite sciemment de pièces fausses reçues pour bonnes. Ces distinctions sont évidemment fondées; mais sont-elles une base suffisante d'une juste distribution de la peine?

L'article 132 confond encore dans la même criminalité, dans la même peine, la contrefaçon des monnaies d'or ou d'argent, l'altération de ces mêmes monnaies, leur émission, même sans complicité avec l'auteur, leur simple exposition dans un lieu public, enfin leur introduction sur le territoire français. Ce n'est pas tout : la peine est la même encore, soit que l'agent les ait con trefaites et émises, soit qu'après les avoir contrefaites, il ait reculé devant l'émission; soit qu'il ait fabriqué des sommes considérables, soit qu'il se soit borné à contrefaire quelques pièces d'argent; soit enfin que par son habileté la monnaie fausse ait acquis un haut caractère de perfection, soit qu'il l'ait si grossièrement imitée qu'il soit impossible de la prendre pour bonne.

Sans doute, la loi ne doit point s'embarrasser dans des distinctions trop multipliées. La faculté attribuée au juge de graduer les peines supplée à ses prévisions, et permet de concilier les règles générales avec les besoins de la justice. Mais ce pouvoir discrétionnaire a des bornes: si la loi ne doit pas prévoir les espèces d'un même crime, elle doit du moins séparer les divers genres des faits punissables. Il est impossible de ne pas remarquer, dans la série de faits dissemblables que rassemble l'article 132, des différences vives et tranchées qui rentrent dans le domaine de la loi, et qui ne sauraient être laissées au juge sans courir le risque de substituer l'équité d'une volonté mobile à l'immuable équité de la loi.

La fabrication de la fausse monnaie est le premier degré de ce crime; on peut, avec les Codes de Prusse, d'Autriche et de Brésil, en distinguer deux espèces : celle qui contrefait les monnaies sans en changer le poids et le titre, et celle qui les contrefait en diminuant leur valeur.

La différence qui sépare ces deux actions avait été sentie dès le siècle dernier : « Les législateurs modernes, écrivait Filangieri, ont prononcé indistinctement la peine de mort contre tous

les délits dont nous venons de parler; il n'ont pas senti que celui qui frappe une fausse monnaie en lui donnant la valeur de la bonne monnaie, ne viole qu'un seul pacte; mais que celui qui lui donne une valeur moindre viole deux pactes à la fois. Ils n'ont pas vu que, dans le premier cas, on ne porte qu'un léger préjudice aux intérêts du fisc en le privant des profits du monnayage, et que dans le second on joint à ce mal un mal plus grand, qui est la fraude publique et le désordre dans le commerce [1]. »

En effet, celui qui fait de la monnaie au titre et à la valeur de la monnaie légale, usurpe un droit, prive le fisc du bénéfice du monnayage, et contrefait les poinçons, marques et empreintes de l'État : c'est un acte répréhensible, mais les conséquences n'en sont préjudiciables qu'à l'État; il n'apporte aucun trouble dans les relations privées; l'agent n'a voulu commettre et n'a commis aucun vol; la criminalité que son action suppose se dégage de cet élément accessoire; la peine doit descendre à un degré inférieur. Telle est la solution adoptée en Prusse, où ce fait spécial n'est puni que de deux à trois ans de reclusion, et au Brésil où il n'est passible que d'un emprisonnement laborieux de deux à quatre années. Au surplus, cette sorte de contrefaçon est presque sans exemple: la distinction proposée, quoique fondée en principe, n'aurait donc qu'un intérêt secondaire.

La fabrication de la monnaie à faux titre et à faux poids est le degré le plus grave du crime; à l'usurpation de pouvoir et au faux commis par le fabricateur, elle réunit l'intention de commettre un vol. Elle suppose dans son auteur une longue préméditation; il a dû mûrir longtemps son dessein; il a fallu qu'il préparât ses ustensiles et son atelier; il s'est livré à des essais longtemps infructueux avant d'arriver à l'imitation plus ou moins parfaite de la monnaie; il a travaillé les yeux fixés sur le crime et ne s'est point arrêté. Au moment où la fausse monnaie est frappée, la culpabilité du fabricateur est évidente.

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d'incriminer l'acte de la fabrication, indépendamment de ses résultats. Mais il est sensible que la criminalité du fabricateur qui n'a pas encore émis les pièces qu'il a falsifiées est moins grave, soit parce qu'on ne peut alléguer contre lui que la présomption d'une volonté criminelle, présomption qui, à tout prendre, peut être inexacte, soit parce qu'au moment où on le saisit, il pouvait encore se désister et ensevelir son crime en détruisant les pièces fausses au lieu de les émettre. C'est cette distinction que la loi prussienne a consacrée en ne prononçant que la moitié de la peine encourue contre celui qui a frappé de fausses monnaies, mais ne les a pas encore mises en circulation. Nous pensons aussi que dans cette hypothèse la peine doit être abaissée à un degré inférieur.

Deux circonstances peuvent modifier encore le crime du fabricateur : la minimité du préjudice causé, et la grossièreté de l'imitation. La conscience mesure quelque distance entre l'agent qui verse dans le commerce une certaine quantité de pièces fausses, et celui qui semble tenter plutôt qu'accomplir le crime, en en émettant quelques-unes seulement. Le premier porte une atteinte plus ou moins forte aux relations commerciales, le second n'alarme que médiocrement les intérêts sociaux. L'un a conçu et exécuté le crime avec habileté et persévérance; l'autre, plus timide et moins habile, a commencé à peine son exécution. Il est évident que l'un de ces agents est plus dangereux que l'autre. Aussi les docteurs avaient établi en règle que la peine devait être plus douce lorsque le préjudice n'excédait pas une certaine somme : si non ascendit ultra quinque vel sex scutos [1]. Les Codes de Prusse et de Bavière ont également gradué la peine sur la quotité du préjudice causé. Toutefois, cette distinction, si fondée qu'elle soit, paraît plutôt rentrer dans le cercle des circonstances atténuantes que dans celui des excuses légales. Le préjudice produit par le faux monnayeur est un élément trop variable pour qu'on en puisse faire la base d'une règle immuable; et puis ce préjudice ne décèle qu'imparfaitement dans certains cas la culpabilité de l'agent. En séparant en deux classes la falsification des pièces d'or et d'argent, et celle des pièces de cuivre, la loi semble avoir tracé une distinction suffisante: les distinctions secondaires, telles que la fabrication d'une monnaie d'or ou d'une monnaie d'argent, et la quotité plus ou moins grande du dommage, ont, à la

[1] Farinacius, quæst. 115, no 138.

vérité, pour effet de modifier la criminalité de l'agent, mais non d'altérer la nature du fait, et il suffit dès lors que le juge les prenne en considération dans le calcul de la peine.

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Il en est de même de la grossièreté de la contrefaçon il est évident que l'imitation de la monnaie peut revêtir un tel degré d'imperfection qu'elle ne tromperait pas l'œil le moins clairvoyant. Son péril s'évanouit alors: on voit bien encore une intention criminelle, mais une intention dépourvue d'effet c'est la volonté du crime, isolée, pour ainsi dire, du fait matériel. Les anciens criminalistes avaient encore érigé cette circonstance en excuse: Si moneta tonsa habet in se vitium patens ad oculum, et de quo recipiens eam decipi non potest nisi volens [1]; et le Code d'Autriche a recueilli cette décision : « Dans le cas où la falsification est facilement reconnaissable par chacun, la peine peut être réduite d'un à cinq ans. » Mais, dans cette hypothèse comme dans la précédente, il nous semblerait difficile de formuler en excuse légale l'imperfection de la contrefaçon c'est une circonstance atténuante, quand l'imitation est assez grossière pour être facilement reconnue; c'est une circonstance exclusive de toute criminalité, quand il est imposible de la méconnaître, car dans ce cas il n'y a pas de contrefaçon.

Le Code assimile à la fabrication de la fausse monnaie l'acte de blanchir ou de dorer des pièces de cuivre ou d'argent, afin de les mettre en circulation avec une valeur supérieure à leur valeur réelle. En cela il a suivi le droit romain [2] et la plupart des législations étrangères. Cependant Farinacius décidait qu'une peine inférieure devait seule être appliquée à cette espèce [3]. Le Code du Brésil ne prononce également qu'un emprisonnement de deux mois à quatre ans. Il nous semble, en effet,que ces faits ne sont pas complétement identiques: celui qui dore ou qui argente une pièce de monnaie commet une fraude punissable, mais ne se rend point coupable d'un faux; et la facilité avec laquelle cette fraude se commet ne fait pas supposer la même préméditation. D'un autre côté, l'alarme que cette altération produit ne peut être très-grave, puisque la subtance colorante n'a qu'une durée éphémère, et que l'expression de la valeur réelle ressort en relief de la pièce elle-même. Ces motifs portent à penser qu'une peine inférieure à celle des

[1] Farinacius, quæst. 115, no 136. [2] L. 8. Dig. de leg. corn. de falsis. [3] a Tingens monetam, ut putà ærcam cum

travaux forcés à temps suffirait à la répression de cette sorte d'escroquerie.

Le Code confond encore dans son unique disposition l'altération des monnaies nationales, et l'émission, l'exposition ou l'introduction des fausses monnaies. On altère des monnaies lorsqu'on diminue leur valeur en les rognant ou les limant. Cette altération est un vol qui est consommé au moment même où la pièce est émise au taux de sa valeur primitive; mais ce vol n'est point accompagné de la circonstance aggravante du faux, et le préjudice qu'il entraine est peu considérable,puisque celui qui a reçu la pièce altérée ne perd que la partie enlevée de cette pièce, s'il en découvre le vice. On ne peut donc mettre ce crime sur la même ligne que la fabrication d'une pièce fausse. Cette distinction a été faite par les législations de Prusse, du Brésil et de la Louisiane, qui ne portent contre ce fait que la peine de deux à quatre ans, de deux mois à quatre ans, et d'un à trois ans. La reclusion pourrait sans danger être substituée sur ce point à la peine des travaux forcés à perpétuité.

L'émission de pièces fausses appelle une distinction qu'on est étonné de ne pas apercevoir dans la loi pénale. Si celui qui met cette fausse monnaie en circulation est le complice du fabricateur, s'ils ont formé tous les deux une association dans laquelle l'un bat la monnaie et l'autre la place comme bonne, tous les deux sont coupables au même degré et doivent supporter la même peine. Mais si l'auteur de l'émission n'a nullement participé au crime de la fabrication, s'il n'a voulu que profiter d'un crime dont il possède les fruits sans en connaître les auteurs, la peine qui doit l'atteindre sera-t-elle celle qui frappe le faux monnayeur? Il faut remarquer que s'il avait reçu les pièces pour bonnes, il ne serait puni que d'une amende aux termes de l'art. 135; sa culpabilité est plus grave, puisqu'il n'a pas pas l'excuse d'avoir été trompé luimême : mais quelle distance sépare ce crime de celui du faux monnayeur! Cet agent n'est point un faussaire; il n'a point longuement préparé son crime; la possession des pièces fausses lui en a seule fait naître l'idée ; il n'a commis qu'un vol simple.

L'exposition et l'introduction des pièces fausses sur le territoire français sembleraient devoir être placées à un degré moins élevé encore dans l'échelle de la criminalité. Ces deux faits ne

auro, vel argento, vel argenteam cum auro, tenetur pœnâ falsi. »

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constituent, en effet, que des actes préparatoires de l'émission ils n'ont pas même le caractère d'une tentative, puisqu'il n'y a point de commencement d'exécution, et qu'il est très douteux que le détenteur des pièces fausses les eût données pour bonnes. Sans doute il est nécessaire de les punir à raison du danger que présentent ces préparatifs, et de la facilité qu'offre la consommation du crime. Mais la peine doit être proportionnée à la gravité de l'offense, et le législateur doit surtout la resserrer dans les limites d'une stricte nécessité, quand il frappe un acte par mesure de précaution et sans qu'une criminalité bien positive y soit attachée.

Reprenons en peu de mots les considérations qui précèdent. Aux sages distinctions introduites par notre Code, il nous semble aussi juste que nécessaire d'ajouter quelques distinctions nouvelles. Les actes divers qui concourent à former le crime de fausse monnaie peuvent être séparés, à raison de leur criminalité différente, en trois catégories. La première renferme la fabrication de la monnaie à un faux poids et à un faux titre, quand elle se réunit au fait de l'émission, et cette émission, même isolée du fait principal, quand elle s'est faite complice de ce crime. Dans une deuxième classe, et à un degré inférieur de criminalité, viennent se grouper la fabrication illégale au titre et au poids de la monnaie nationale, la fabrication à un faux titre, quand le fabricateur est saisi avant d'avoir émis les pièces fausses, l'altéra tion des monnaies d'or et d'argent, et le fait d'avoir doré ou blanchi des pièces d'argent ou de billon. Dans cette deuxième classe se rangeraient encore la fabrication des monnaies de cuivre ou de billon, et celle des monnaies étrangères, prévues par les articles 133 et 134. Enfin, dans une troisième catégorie se classeraient l'émission de pièces fausses, mais sans lien de complicité avec le fabricateur, l'exposition de fausses monnaies, et l'introduction de ces monnaies sur le territoire. Les peines corrélatives de ces trois degrés seraient les travaux forcés à temps, la reclusion et l'emprison

nement.

Tels sont les termes où se résume la théorie de cette matière. Al'aide de distinctions plus multipliées, la loi pourrait sans doute atteindre une justice plus exacte; mais elle peut sans crainte se reposer sur les lumières et l'équité des juges et du jury, pour l'appréciation des circonstances secondaires qui modifient la moralité de l'agent, sans altérer la nature du fait.

Nous arrivons maintenant aux dispositions

du Code pénal. La discussion purement théorique qui précède ne sera point inutile à l'intelligence et à l'examen des textes.

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Le Code incrimine successivement et punit de peines graduées la contrefaçon des monnaies d'or et d'argent, et les actes qu'il assimile à ce crime, la contrefaçon des monnaies de billon ou de cuivre, celle des monnaies étrangères enfin l'émission faite sciemment de pièces fausses reçues pour bonnes. Nous allons parcourir ces diverses incriminations, en puisant, non plus dans la théorie générale du droit, mais dans celle du Code, les règles qui doivent féconder son interprétation.

L'article 132 est ainsi conçu: « Quiconque aura contrefait ou altéré les monnaies d'or ou d'argent ayant cours légal en France, ou participé à l'émission ou exposition desdites monnaies contrefaites ou altérées, ou à leur introduction sur le territoire français, sera puni des travaux forcés à perpétuité. »

Il faut examiner successivement les caractères particuliers de la contrefaçon, de l'altétération des monnaies, de l'émission, de l'exposition, et de l'introduction en France des pièces fausses.

La contrefaçon, d'après les termes mêmes de la loi, est l'imitation frauduleuse des monnaies ayant cours. Trois circonstances sont donc nécessaires pour caractériser le crime: il faut que le contrefacteur ait agi dans un but criminel, que la monnaie fausse soit l'imitation de la monnaie véritable, enfin que la monnaie imitée ait cours légal en France.

L'intention coupable est un élément essentiel de tous les crimes. Celui qui aurait imité une monnaie sans nulle idée de l'émettre, et dans un but purement artistique, ne commettrait aucun crime. En matière de fausse monnaie, la criminalité se révèle par l'émission de la pièce fausse, où par la preuve que cette émission était le but du contrefacteur.

Mais il n'est pas nécessaire que le but de l'émission soit de commettre un vol. L'article 132 ne fait aucune distinction entre la fabrication de la monnaie au même titre et poids que la monnaie nationale, et celle d'une monnaie audessous de cette valeur. La criminalité de ces deux actes, qui à nos yeux diffère essentiellement, ainsi que nous l'avons exprimé ci-dessus, est parfaitement identique aux yeux de la loi; ils sont l'un et l'autre compris dans la contrefaçon prévue par l'art. 132 [1]. Ainsi il y a in

[1] Arr. cass. 26 févr. 1808, cité par Carnot, sur l'art. 132. Dalloz t. 15, p. 408; S. 1819, 1, 177.

tention criminelle dans le sens de la loi, nonseulement quand le faux monnayeur a voulu surprendre la bonne foi des tiers, mais encore quand il s'est borné à usurper le droit de battre monnaie, et à frustrer le trésor des bénéfices du monnayage.

Nous avons dit, en deuxième lieu, que pour qu'il y ait contrefaçon, il faut que la pièce fausse soit l'imitation de la monnaie nationale. Mais à quel degré de perfection cette imitation doit-elle être portée pour constituer la contrefaçon? Une simple ébauche, quelque grossière qu'elle soit, pourra-t-elle devenir la base d'une condamnation?

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On peut soutenir, pour l'affirmative, que la loi n'a tracé aucun degré dans le travail du faussaire, qu'elle n'a puisé aucune distinction dans le plus ou moins de perfection de son œuvre; et, à l'appui de cette opinion, on peut citer les paroles du rapporteur de la commission du Corps législatif: « II importe peu, dans un crime de ce genre, que les fabricateurs aient imité plus ou moins bien les monnaies ayant cours légal, leur titre et leur poids: le crime est le même; toute distinction était inutile. » Le crime n'est pas le même, nous l'avons déjà dit le faussaire habile est un agent bien plus dangereux pour la société que celui dont la main ignorante ou timide n'a pu achever la pièce fausse; son crime a des résultats bien plus graves, et son habileté même indique un plus haut degré de criminalité. Mais, au reste, tout ce qu'on peut induire et du silence de la loi et des paroles du rapporteur, c'est que le législateur n'a pas cru qu'on pût prendre pour base de la criminalité la plus ou moins grande ressemblance de la pièce fausse avec la pièce imitée; c'est qu'en général l'imperfection de l'imitation, dans les cas où elle diminue la criminalité sans l'effacer entièrement, reste au nombre des circonstances atténuantes.

Mais le crime de fausse monnaie suppose nécessairement que la monnaie contrefaite a l'apparence de la monnaie véritable : une grossière ébauche ne serait pas même une imitation; la pièce véritable ne serait pas contrefaite; il y aurait peut-être une intention criminelle, mais le fait matériel ne l'aurait pas suivie; car on ne peut réputer crime un fait qui ne peut avoir aucun résultat, qui ne peut produire aucun dommage: c'est, dans ce cas, un simple projet

[1] Arr. Bruxell. 28 nov. 1817, (Dalloz, t. 15, p. 377).

resté sans exécution, c'est non plus une modification, mais un fait exclusif de la criminalité.

Cette distinction qui prend sa source dans la nature même des choses, se trouve confirméé par deux arrêts de la Cour supérieure de Bruxelles et de la Cour de cassation. Dans l'espèce du premier de ces arrêts, il s'agissait d'une émission de pièces fausses qui ne portaient la trace d'aucune empreinte; la Cour de Bruxelles a déclaré que ce fait ne rentrait point dans les termes de la loi pénale : « Attendu qu'une pièce de métal n'est réputée monnaie qu'autant qu'elle porte le coin de l'empreinte, soit en tout, soit en partie, du souverain dont elle émane, et que ce n'est que dans la contrefaçon de pareilles pièces ou dans leur émission que le législateur a fait consister le crime de fausse monnaie [1]. » L'espèce du deuxième arrêt présentait la question de savoir si le fait de blanchir une pièce de cuivre devait nécessairement être considéré comme une contrefa→ çon de monnaie d'argent, et la Cour de cassation a reconnu : « que les caractères légaux de la contrefaçon ne peuvent résulter que d'une somme d'apparences assez fortes pour que le commerce de la circulation en soit affecté, et pour contrebalancer l'expression de valeur qui ressort en relief de la pièce elle-même [2]. »

Ainsi on peut regarder comme un point constant que si, en général, l'imperfection de l'émission n'est point une cause légale et ne peut constituer qu'une circonstance atténuante, néanmoins, lorsqu'elle descend à un degré de grossièreté et d'évidence tel que le commerce de circulation ne puisse en être affecté, elle devient exclusive du crime lui-même; les pièces fabriquées ou émises ne peuvent plus être regardées comme des monnaies fausses, puisqu'elles n'ont ni l'apparence ni les types des monnaies imitées; le principal élément du crime n'existe pas.

Toutefois cette distinction devient fort délicate à l'égard des pièces d'argent ou de cuivre qui auraient été dorées ou argentées, avec l'intention de les écouler comme des pièces d'or ou d'argent. Le Code pénal a gardé le silence sur cette espèce d'escroquerie; et plusieurs tribunaux, au lieu de la ranger dans la classe des crimes de fausse monnaie, ne l'ont considérée que comme un vol simple ou une filouterie que punit l'article 401 du Code pénal [3]. Cette

[2] Arr. cass. 12 août 1835 (Journ. du droit cr. 1835, p. 25).

[3] Arr. Colm. 20 janv. 1830.

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