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il faut employer des agens qui joignent à l'efprit |
de modération la connoiffance des intérêts, des
ufages, de la langue, de la religion, des mœurs
de ces nations. Il fe peut que la compagnie n'ait
pas actuellement de teis inftrumens: mais il lui
convient de les former. Peut-être même en trou-
veroit-elle parmi les chefs des comptoirs que tout
l'invite à abandonner.

permis de s'écarter, pour quelque raifon ni dans
quelque occafion que ce pût être. Ses empleyés
étoient de purs automates, dont elle avoit monté
d'avance les moindres mouvemens. Cette direc-
tion abfolue & univerfelle lui parut nécessaire
pour corriger ce qu'il y avoit de vicieux dans
le choix de fes agens, la plupart tirés d'un état
obfcur, & communément privés de cette édu-
cation foignée qui étend les idées. Elle même ne
fe permettoit pas le moindre changement, & elle
attribuoit à cette invariable uniformité le fuccès
de les entreprifes. Des malheurs allez frequens
qu'entraîna ce fyftême, ne le lui firent pas aban-
donner, & elle fut toujours opiniatrement fidèle
à fon premier plan. Il elt nécefaire qu'elle adopte
d'autres maximes, & qu'après avoir choli fes
facteurs avec plus de précaution, elle abandonne
des intérêts éloignés, & qui changent tous les
jours, à leur activité & à leurs lumières.

Les négocians de toutes les nations, auxquels
la nature a donné l'efprit d'obfervation, convien-
nent unanimement que les hollandois ont trop
multiplié leurs établifiemens dans l'inde, & qu'en
fe bornaut à un moindre nombre, ils auroient
beaucoup diminué leur dépenfe, fans rien retran-
cher de l'étendue de leurs affaires. Il n'eft pas
poffible que la compagnie ait ignoré ce qui ett fi
généralement connu. On peut penfer qu'elle n'a
été déterminée à conferver des comptoirs qui lui
étoient à charge, que pour n'être pas foupçon
née de l'impuisance de les foutenir. Cette foible
confidération ne l'arrêtera plus. Toute fon atten-
tion doit être de bien diftinguer ce qui lui con-
vient de profcrire, de ce qui lui eft avantageux
de maintenir. Elle a fous fes yeux une fuite de
faits & d'expériences qui l'empêcheront de feches & plus fortes. On les verra bientôt rem
méprendre fur un arrangement de cette impor-

tance.

Dans les comptoirs fubalternes, que les inté-
rêts de fon commerce la détermineront à confer-
ver, elle détruira les fortifications inutiles; elle
fupprimera les confeils que le fafte, plutôt que
la néceflité, lui a fait établir; elle proportion-
nera le nombre de fes employés à l'étendue de
fes affaires. Que la compagnie fe rappelle ces
temps heureux, où deux ou trois facteurs choifis
avec intelligence, lui expédioient des cargaifons
infiniment plus confidérables que celles qui lui
font arrivées depuis; cù elle obtenoit fur les
marchandifes des bénéfices énormes, qui avec le
temps fe font perdus dans les mains de fes
nombreux agens: alors elle ne balancera pas à
revenir à fes anciennes maximes, & à préférer
une fimplicité qui l'enrichiffoit, à un vain éclat
qui la ruine.

La réforine s'établira plus difficilement dans
les colonies importantes. Les agens de la compa
gnie y forment un corps plus nombreux, plus
accrédité, plus riche dans les proportions, &
par conféquent moins difpofé à rentrer dans
l'ordre. Il faudra pourtant les y ramener, parce
que les abus qu'ils ont introduits ou laiffé éta-
blir, cauferoient néceffairement avec le temps la
ruine totale des intérêts qu'ils conduifent. On
auroit peine à voir ailleurs des malverfations éga-
les à celles qui règnent dans les atteliers, les
magafins, les chantiers, les arfenaux de Batavia,
& des autres grands établiffemens.

Ces arrangemens en ameneroient de plus con-
fidérables. La compagnie établit, dès fon origine,
des règles fixes & précises, dont il n'étoit jamais

Ses vues s'étendront plus loin. Laffe de lutter
avec défavantage contre les négocians libres des
autres nations, elle fe déterminera à livrer aux
particuliers le commerce d'Inde en Inde. Cette
heureuse innovation rendra fes colonies plus ri

plies d'hommes entreprenans, qui en verferont
les abondantes & précieufes productions dans
tous les marchés. Elle même tirera plus de profit
des droits perçus dans fes comptoirs, qu'elle n'en
pouvoit attendre des opérations compliquées &
languiffantes qui s'y faifoient fi rarement.

A cette époque tomberont ces trop ruineux ar-
memens qu'on ne ceffe de reprocher à la com
pagnie. Un peu après le commencement du fiè-
cle, elle adopta dans les chantiers une conftruction
vicieufe, qui lui fit perdre beaucoup de navires
& de très-riches cargaifons. Ces expériences fu-
neftes la ramenèrent aux méthodes généralement
reçues mais, par des confidérations bâmables,
elle continua d'employer dans fa navigation un
tiers de bâtimens de plus qu'il ne le falloit. Cette
corruption, qui n'auroit dû trouver d'excufe dans
aucun temps, eft devenue fur tout intolérable
depuis que les matériaux qui fervent aux opéra
tions navales, font montés à de très hauts prix
depuis qu'il a fallu donner aux navigateurs une
folde plus confidérable.

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Ces réformes ameneront l'extenfion du com
merce. Relativement aux mœurs & aux circonf
tances, il fut autrefois très-considérable : mais il
s'arrêta, malgré le grand accroiffement que pre-
noit en Europe la confommation, malgré les nou-
veaux débouchés qu'offroient l'Afrique & le Nou-
veau-Monde. On le vit même rétrograder, puif-
que fon produit n'augmenta pas, quoique les
marchandifes euffent prefque doublé de valeur.
Actuellement les ventes ne s'élèvent pas au-dellus
de quarante à quarante-cinq millions, fommes
qu'elles donnoient il y a foixante ans, & même
il y a plus long-temps.

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On y trouve des toiles, du thé, de la foie, des porcelaines, du borax, de l'étain, du camphre, de la toutenague, du falpêtre, du coton, de l'indigo, du poivre, du café, du fucre, des bo's de teinture, quelques autres objets plus cu moins confidérables, achetés dans les différens marchés de l'Afie, ou produits par le territoire de la compagnie. Ces productions, ces marchandifes font auffi la plupart fournies par celles des nations européennes qui ont formé des liaisons aux Indes. Il n'y a guère que la cannelle, le girofle, la mufcade, le macis, dont la confommation s'élève annuellement à douze millions, qui appartiennent exclufivement aux ventes hollandoifes.

Après les améliorations que nous nous fommes permis de propofer, l'ordre fe trouveroit rétabli pour quelque temps. Nous difons pour quelque temps, parce que toute colonie fuppofant l'autorité dans une contrée, & l'obéiffance dans une autre contrée éloignée, eft un établissement vicieux dans fon principe. C'eft une machine dont les refforts fe relâchent, fe brifent fans ceffe, & qu'il faut réparer continuellement.

Quand même il feroit poffible que la compagnie trouvât un remède efficace & drabie aux maux qui la fatiguent depuis fi long-temps, elle n'en feroit pas moins menacée de perdre le commerce exclufif des épiceries.

On a foupçonné long-temps que ces riches productions croiffoient dans des régions inconnues. Il fe répandoit obfcurément que les malais, qui feuls avoient des relations avec ces contrées avoient porté du girofle & de la mufcade dans plufieurs marchés. Ce bruit vague n'a jamais été confirmé par des faits certains, & il a fini par tomber dans l'oubli, comme toutes les erreurs vulgaires.

En 1774, le navigateur anglois Forreft partit de Balambangan, dans la vue d'éclaircir enfin fi les épiceries croiffoient dans la Nouvelle-Guinée, comme le bruit er étoit répandu depuis fort long

un

temps. A peu de diftance de cette contrée fauvage, il trouva, dans l'ifle de Manafwary, mufcadier, dont le fruit ne différoit que par une forme oblongue, de celui qui a tant de célébrité. Cet homme entreprenant arracha cent pieds de cet arbre utile, & les planta en 1776 à Bunwoot, ifle faine, fertile, couverte des plus beaux arbres, inhabitée, de dix-huit milles de circonférence feulement, & que la Grande Bretagne tient de la libéralité du roi de Mindanao. C'est-là qu'elt certainement cultivé le mufcadier, & vrailemblablement auffi le giroflier, puifqu'il eft prouvé que Forreft a abordé à plufieurs des Moluques. Če voyage n'a pas été ordonné fans intention par le ministère anglois, ainfi que nous l'avons dit ailleurs.

Ce n'est pas tout, les françois ont réuffi en 1771 & en 1772 à tirer des Moluques des muf

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La compagnie a un fonds d'environ cent navires de fix cents à mille tonneaux. Tous les ans elle en expédie d'Europe vingt-huit ou trente, & en reçoit quelques uns de moins. Ceux qui font hors d'état de faire leur retour, naviguent dans l'Inde, dont les mers paifibles, fi l'on excepte celle du Japon, n'exigent pas des bâtimens affurée, les vaiffeaux partent féparément. Mais folides. Lorfqu'on jouit d'une tranquillité bien pour revenir, ils forment toujours au Cap deux flottes qui arrivent par les Orcades, où deux vaiffeaux de la république les escortent jufqu'en Hollande. Or, imagina dans des temps de guerre cette route détournée, pour éviter les croifières ennemies: on a continué à s'en fervir bande. Il ne paroiffoit pas aifé d'engager des en temps de paix , pour empêcher la contreéquipages qui fortoient d'un climat brûlant, à braver les frimats du nord. Deux mois de gratification furmontèrent cette difficulté. L'ufage a prévalu de la donner, lors même que les vents contraires ou les tempêtes pouffent les flottes dans la Manche. Une fois feulement les directeurs de la chambre d'Amfterdam tentèrent de la fupprimer. Ils furent fur le point d'être brûlés défapprouve le defpotiíme de ce corps puiffant, par la populace qui, comme toute la nation & gémit de fon privilège. La marine de la compagnie eft commandée par des officiers qui ont tous commencé par être matelots ou mouffes. Ils font pilotes, ils font manouvriers! mais ils n'ont pas la première idée des évolutions navales. D'ail leurs, les vices de leur éducation ne leur permettent ni de concevoir l'amour de la gloire, ni de l'inspirer à l'efpèce d'hommes qui leur eft foumife.

La formation des troupes de terre eft encore plus mauvaife. A la vérité, des foldats déferteurs de toutes les nations de l'Europe devroient avoir de l'intrépidité mais ils font fi mal nourris, fi mal habillés, fi fatigués par le fervice, qu'ils n'ont aucune volonté. Leurs officiers, la plupart tirés d'une profeffion vile, où ils ont gagné de quoi acheter des grades, ne font pas faits pour leur communiquer l'efprit militaire. Le mépris qu'un peuple, qui n'est que marchand, a pour des hommes voués par état à une pauvreté forcée, joint à l'éloignement qu'il a pour la guerre, achève de les avilir, de les décourager. A toutes ces caufes de relâchement, de foibleffe &

d'indifcipline, on peut en ajouter une qui eft commune aux deux fervices de terre & de mer.

Il n'existe peut-être pas, dans les gouvernemens les moins libres, une manière de fe procurer des matelots & des foldats, moins honnête & plus vicieufe que celle qui depuis long-temps eft mife en ufage par la compagnie. Ses agens, auxquels le peuple a donné le nom de vendeurs d'ames, toujours en activité fur le territoire, ou même hors des limites de la république, cherchent par-tout des hommes crédules, qu'ils puiffent déterminer à s'embarquer pour les Indes, fous l'efpérance d'une fortune rapide & confidérable. Ceux qui fe laiffent leurrer par cet appât, font enrôlés, & reçoivent deux mois de paie, qu'on livre toujours à leur féducteur. Ils forment un engagement de 300 livres au profit de l'embaucheur, chargé par cet arrangement de leur fournir quelques vêtemens qu'on peut eftimer le dixième de cette valeur. La dette eft conftatée par un billet de la compagnie, qui n'eft payé que dans le cas où les débiteurs vivent affez long-temps pour que leur folde y puiffe

fuffire.

Une fociété qui fe foutient, malgré ce mépris pour la profeffion militaire & avec de fi mauvais foldats, doit faire juger des progrès qu'a fait l'art de la négociation dans ces derniers fiè cles. Il a fallu fuppléer fans ceffe à la force par des traités, de la patience, de la modeftie & de l'adreife mais on ne fauroit trop avertir des républicains que ce n'eft là qu'un état précaire, & que les moyens les mieux combinés en politique ne réfiftent pas toujours au torrent de la violence & des circonftances. La fûreté de la compagnie exigeroit des troupes compofées de citoyens : mais cet ordre de chofes n'eft point praticable. La dépopulation de la Hollande en feroit une fuite néceffaire. Le gouvernement s'y oppoferoit, & diroit à ce corps déjà trop favorisé :

«La défense & la confervation de notre pays nous eft tout autreinent à cœur que le bon ordre de vos affaires. A quoi nous ferviroit l'or dont vos flottes reviendroient chargées, fi nos provinces devenoient défertes? Si nous renonçons jamais au fervice des étrangers, ce fera dans nos armées, & non fur vos vaiffeaux, que nous les remplacerons. N'expatrions, n'expofons à la mort que le moins de nos concitoyens qu'il fera poffible. Les chefs de nos comptoirs font affez opulens pour fe garantir, par tous les moyens connus, des funeftes influences d'un climat empefté. Et que nous importe que des allemands, auxquels d'autres allemands fuccéderont, périffent ou ne périffent pas, s'il s'en trouve toujours affez que la misère chaffera de leur patrie, & qui fe laifferont bercer d'une fortune qu'ils ne feront point? Leur paie ceffe au moment où ils expirent; nos coffres continuent à fe remplir, & nos provinces ue o vuident point. Lá compagnie n'a de fûreté

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que celle de la république; & où fera celle de la république, fi, par une dépopulation conftante, nous réduifons notre contrée à la miférable condition de nos colonies ? »

La compagnie ne fera donc jamais fervie que par des troupes étrangères ; & jamais elle ne parviendra à leur infpirer cet efprit public, cet enthoufiafime pour la gloire qu'elle n'a pas ellemême. Un corps eft toujours, à cet égard, comme un gouvernement qui ne doit jamais conduire fes troupes que par les principes fur lesquels porte fa conftitution. L'amour du gain, l'économie, font la bafe de l'adminiftration de la compagnie.. Voilà les motifs qui doivent attacher le foldat à fon fervice. Il faut qu'employé dans des expéditions de commerce, il foit affuré d'une rétribution proportionnée aux moyens qu'il emploiera pour les faire réuffir, & que la folde fui foit payée en actions. Alors les intérêts perfonnels, loin d'affoiblir le reffort général, lui donneront de nouvelles forces.

Que fi ces réflexions ne déterminent pas la compagnie à porter la réforme dans cette partie importante de fon adminiftration, qu'elle fe réveille du moins à la vue des dangers qui la menacent. Si elle étoit attaquée dans l'Inde, elle fe verroit enlever fes établiffemens en beaucoup moins de temps qu'elle n'en mit pour les conquérir fur les portugais. Ses meilleures places font fans défense, & la marine feroit hors d'état de les protéger. Elle fait que, fans le fecours de la France, elle auroit perdu dans la dernière guerre le cap de Bonne-Efpérance & fon établiffement de Ceylan. On ne voit pas un vaiffeau de ligne dans fes ports, & il ne feroit pas poftible d'armer en guerre les bâtimens marchands. Les plus forts de ceux qui retournent en Europe, n'ont pas cent hommes; &, en réuniffant ce qui ett difperfé fur tous ceux qui naviguent dans les Indes, on ne trouvero.t pas de quoi former un feul équipage. Tout homme, accoutumé à calculer des probabilités, ne craindra pas d'avancer que la puiffance hollandoife pourroit être détruite en Afie, avant que le gouvernement eût cu le temps de venir au fecours de la compagnie. Ce coloffe, d'une apparence gigantefque, a pour bafe unique les Moluques. Six vaiffeaux de guerre & quinze cents hommes de débarquement feroient plus que fuffifans pour en faire la conquête. Cette révolution peut être l'ouvrage des françois & des anglois.

Le climat de Batavia eft fi meurtrier, qu'une partie confidérable des foldats qu'on y porte de nos contrées, périffent dans l'année. Un grand nombre de ceux qui échappent à la mort, languiffent dans les hôpitaux. A peine en refte-t-il le quart qui puiffe faire régulièrement le fervice de la place. Les hollanduis fe flattent qu'en ajoutant aux caufes ordinaires de deftruction le fecours d'une inondation générale, qui cft toujours aifée, ils creuferoient un tombeau aux affaillans,

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ou les forceroient à fe rembarquer. Les aveugles! qui ne voient pas que tous ces moyens de ruine ont befoin du fecours du temps, & que la prife de la place ne feroit qu'un coup de main pour une nation aguerrie & entreprenante.

Si la république ne regarde pas comme ima ginaires les dangers que l'amour du bien général des nations nous fait preffentir pour fon commerce & fes poffeffions des Indes, elle ne doit rien oublier pour les prévenir. C'eft un des foins les plus importans qui puiffent l'occuper. Quels avantages l'état n'a-t-il pas tirés depuis deux fiècles, de ces régions lointaines? Quels avantages n'en tire-t-il pas encore?

D'abord l'affociation marchande, qui régit les divers établissemens qu'elle-même y a formés fans aucun fecours du gouvernement, a fucceffivement acheté le renouvellement de fon privilège. Elle obtint, en 1602, fon premier octroi pour 55,cool. Vingt ans après, il fut gratuitement renouvellé. Depuis 1643 jufqu'en 1646, on ne fit que le pro longer de fix en fix mois, pour des raifons qui ne nous font pas connues. À cette époque, un don de 3,300,000 liv. le fit accorder de nouveau pour vingt cinq ans. Ce terme n'étoit pas encore expiré, lorfqu'en 1665 le monopole fut autorifé jufqu'en 1700, à condition qu'il entretiendroit à l'état vingt bâtimens de guerre tout le temps que dureroient les hoftilités commencées entre la ré

publique & l'Angleterre ; 6,600,000 liv. méritè rent au corps privilégié la continuation de fes opérations jufqu'en 1740. Les deux années fuivantes, fon fort fut précaire. Puis il acquit de la confiftance pour douze ans, en payant trois pour cent de fes répartitions, & enfuite pour vingt ans moyennant une fomme de 2,640,000 liv. en argent ou en falpêtre. Eu 1774, fes prérogatives furent bornées à deux ans, & bientôt étendues à vingt, fous la condition qu'il facrifieroit trois pour cent de fon dividende.

Dans des temps de crife, la compagnie a donné des fecurs au tréfor public, déja épuifé ou prêt à l'être. On l'a, il eft vrai, remboursée un peu plutôt un peu plus tard de fes avances: mais une conduite fi noble foulageoit & encourageoit les citoyens.

Les befoins des flottes & des armées exigeoient beaucoup de falpêtre La compagnie s'eft obligée à le fournir à un prix modique, & a de cette manière foulagé le fifc.

Les manufactures de Harlem & de Leyde voyoient diminuer tous les jours leur activité. La compagnie a retardé leur décadence, & prévenu peut-être leur ruine entière, en s'engageant à exporter pour 440,000 liv. des étoff's forties de ces atteliers. Elle s'eft aufli foumife à les pourvoir de foies à des conditions qui lui font certai nement onéreufes.

Le revenu perpétuel de trente-trois actions & un tiers a été accordé au ftathouder. I eft à deEcon. polit. & diplomatique. Tom. 111.

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firer que ce facrifice, fait par la compagnie au premier magiftrat de l'état, tourne au profit de la république, & les derniers troubles montrent affez que les aveugles hollandois ont trop augmenté l'influence & la fortune du ftathouder.

Les marchandifes qui étoient envoyées aux Indes, celles qui en arrivoient, étoient autrefois foumifes à des droits affez confidérables. C'étoient des formalités très-embarraffantes. On vit, il y a trente ans, que ces impôts rendoient réguliérement 850,000 livres, & depuis cette époque la compagnie paie cette fomine au fife chaque année.

Indépendamment des charges que doit porter le corps en général, les intéreffés ont encore à remplir des obligations particulières. Depuis plus d'un fiècle, ils payoient annuellement à l'état fix pour cent de la valeur primitive de chaque action. En 1777, ce droit a été réduit à quatre & demi pour cent, & il ne pourra être augmenté de nou veau que lorfque le dividende fera remonté audeffus de douze & demi pour cent. Les intéreffés devoient encore pour chaque action un impôt, nommé ampt-geld, & qui de 39 liv. 12 fols eft tombé à 4 liv. 8 fols.

Qu'on ajoute à toutes ces taxations le profit que donnent à l'état, des ventes de quarante-cinq millions, obtenues avec quatre ou cinq millions de numéraire, & dont la quatrième partie ne fe confomme pas fur le territoire de la république. Qu'on y ajoute les gros bénéfices que la revente de ces marchandifes procure à fes négocians, & les vaftes fpéculations dont elle eft la fource. Qu'on y ajoute la multiplicité, l'étendue des for tunes particulières, faites anciennement ou de nos jours dans l'Inde. Qu'on y ajoute l'expérience que cette navigation donne à fa marine. Alors on aura une idée jufte des reffources que le gouver nement a trouvées dans fes poffeffions d'Afie. Le privilège exclufif qui les exploite, devroit même procurer de plus grands avantages aux ProvincesUnies, & le motif en eft fenfible.

Aucune nation, quel que fût fon régime, n'a jamais douté que tous les biens qui exittent dans un état, ne duffent contribuer aux dépenfes du gouvernement. La raifon de ce grand principe eft à la portée de tous les efprits. Les fortunes particulières tiennent effentiellement à la fortune publique. L'une ne fauroit être ébranlée, fans que les autres en fouffrent. Ainfi, quand les fujets d'un empire le fervent de leur bourfe ou de leur perfonne, ce font leurs propres intérêts qu'ils défendent. La profpérité de la patrie eft la prospérité de chaque citoyen. Cette maxime, vraie dans toutes les légiflations, eft fur-tout fenfible dans les affociations libres.

Cependant il eft des corps dont la caufe, foit par fa nature, foit par fon étendue, foit par fa complication, eft plus effentiellement liée à la caufe commune. Telle eft en Hollande la compa Fffff

régnoit dans toute la nation &
tretenu avec foin par le gouvernement.

elle en entretenoit dans fes colonies.

étoit en

gnie des Indes. Son commerce a effentiellement les mêmes ennemis que la république; fa fûreté ne peut avoir d'autre fondement que celle de l'état. Les colonies étoient régies par le même efprit. Les dettes publiques ont, de l'aveu de tous les doit à fon économie militaire. Elle entretenoit en Le deffein de conferver fa population, préfihommes éclairés, fenfiblement affoibli les Pro-Europe un grand nombre de troupes étrangères; vinces-Unies, & altéré la félicité générale par l'augmentation progreffive des impôts, dont elles ont été la fource. Jamais on ne ramenera la république à fa fplendeur primitive, fans la décharger de l'énorme fardeau fous lequel elle fuccombe; & ce fecours, elle doit l'attendre principalement d'une compagnie qu'elle a toujours encouragée, toujours protégée, toujours favorifée. Pour mettre ce corps puffant en état de faire des facrifices & de grands facrifices à la patrie, il ne fera pas néceffaire de diminuer les bénéfices des intéreffés: il fuffira de le rappeller à une économie, à une fimplicité, à une adminiftration qui furent les principes de fes premières profpérités.

Les matelots, en Hollande, étoient bien payés; & des matelots étrangers fervoient continuellement, ou fur fes vaiffeaux marchands, ou fur fes vaiffeaux de guerre.

Pour le commerce, il faut la tranquillité audedans, la paix au dehors. Aucune nation, excepté les fuiffes, ne chercha plus que la Hollande à fe maintenir en bonne intelligence avec les voifins, &, plus que les fuiffes, elle chercha à maintenir fes voifins en paix.

négocians. Elle fentit la néceflité de la bonne foi: elle en montra dans fes traités, & elle chercha à la faire régner entre les particuliers.

La république s'étoit propofée de maintenir l'union entre les citoyens, par de très-belles lo x Une réforme fi néceffaire ne fe feroit peut-être qui indiquaffent à chaque corps fes devoirs, par pas fait attendre, fi la dernière révolution n'avoit une adminiftration prompte & défintéreffée de la pas eu lieu. Cette confiance étoit due à un gou-juftice, par des réglemens admirables pour les vernement qui chercha toujours à retenir dans fon fein une multitude de citoyens, & à n'en employer qu'un petit nombre dans fes établiffemens éloignés. C'étoit aux dépens de l'Europe entière, que la Hollande augmentoit fans ceffe le nombre de fes fujets La liberté de confcience dont on y jouiffoit, & la douceur des loix y attiroient tous les hommes qu'opprimoient en cent endroits l'intolérance & la dureté du gouverne

ment.

Elle procuroit des moyens de fubfiftance à quiconque vouloit s'établir & travailler chez elle. On voyoit les habitans des pays que dévaftoit la guerre, aller chercher en Hollande un afyle & du travail.

L'agriculture n'y pouvoit pas être un objet confidérable, quoique la terre y fût très-bien culti vée; mais la pêche du hareng lui tenoit lieu d'agriculture. C'étoit un nouveau moyen de fubfiftance, une école de matelots. Nés fur les eaux, ils labouroient la mer; ils en tiroient leur nour riture; ils s'aguerriffoient aux tempêtes. A force de rifques, ils apprenoient à vaincre les dangers.

Le commerce de tranfport, qu'elle faifoit continuellement d'une nation de l'Europe à l'autre, étoit encore un genre de navigation qui ne confommoit pas les hommes, & les faifoit fubfifter par le travail.

Enfin la navigation, qui dépeuple une partie de l'Europe, peuploit la Hollande; elle étoit comme une production du pays. Ses vaiffeaux étoient fes fonds de terre, qu'elle faifoit valoir aux dépens de l'étranger.

Peu de fes habitans connoiffoient les commcdités qu'on ne pouvoit fe procurer qu'à haut prix; tous, ou prefque tous, ignoroient le luxe. Un efprit d'ordre, de frugalité, d'avarice même,

Enfin, exceptées les imperfections de l'acte fédératif, des conftitutions des diverfes provinces, des réglemens qui ont rapport à l'éterdue de l'autorité du ftathouder dont nous avons affez parlé dans la fection précédente, nous ne voyons en Europe aucune nation qui eût mieux combiné ce que fa fituation, fes forces, fa population lui permettoient d'entreprendre, & qui eût mieux connu ou fuivi les moyens d'augmenter la population & fes forces. Nous n'en voyons aucune dont l'objet étant le commerce & la liberté civile, qui s'appellent, s'attirent & fe foutiennent, fe foit mieux conduite pour conferver l'un & l'autre malheureufement ils n'ont pas pris le même foin de leur liberté politique.

Mais combien ces mœurs font déjà déchues & dégénérées de la fimplicité du gouvernement républicain! Les intérêts perfonnels, qui s'épurent par leur réunion, fe font ifolés entiérement, & la corruption eft devenue générale. On y parle de la patrie, de la chère patrie dans tous les actes; mais y aime-t-on réellement la patrie ?

Quels fentimens de patriotifine ne devroit-on pas cependant attendre d'un peuple qui peut fe dire à lui-même: Cette terre que j'habite, c'ekt moi qui l'ai rendue féconde, c'eft moi qui l'ai embellie, c'eft moi qui l'ai créée. Cette mer menaçante, qui couvroit nos campagnes, fe brife contre les digues puiffantes que j'ai oppofées à fa fureur. J'ai purifié cet air que des eaux croupiffantes rempliffoient de vapeurs mortelles. C'eft par moi que des villes fuperbes preffent la vafe & le limon où flottoit l'Océan. Les ports que j'ai conftruits, les canaux que j'ai créufés, re

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