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captivité, elles voulurent bien accorder à la Sœur de n'être plus enfermée dans fa chambre, & lui laiffer la liberté d'en fortir feule, fur la promeffe qu'elle leur fit de ne jamais parler à perfonne.

La Sœur auroit bien voulu leur marquer fa reconnoiffance autrement que par des remercimens ftériles. Elle auroit fouhaité le faire par quelque chofe d'utile à leur falut. Elle effaya dans les derniers jours de leur parler fur quelques points falutaires, fur les péchés d'ignorance, fur le jugement téméraire, fur le danger de l'obéiffance aveugle en toutes chofes. Elles les preffoit furtout à l'égard de ce dernier point & les fommoit de lui citer un feul Pere de l'Eglife, un seul auteur eftimé qui auroit avancé ce principe, qu'il faut toujours obéir aux Supérieurs, quand même il s'agiroit d'une chofe où l'on croiroit qu'il y auroit du péché. Elles n'avoient rien de folide à répliquer: elles s'en tenoient toujours à leurs préjugés & à ce qu'elles appelloient la foi du Carbonnier : "C'eft-à-dire, reprenoit la Soeur, qu'il n'y » a plus qu'à brûler tous les Catéchismes, & en » faire un court qui n'auroit que ces trois arti»cles. Que faut-il croire ? Tout ce que l'Eglife » croit. Que faut-il faire ? Tout ce que les Su» périeurs commandent. Combien ဘ y a-t'il de → commandemens? Il n'y en a qu'un, d'obéir à »l'aveugle au Pape & à fon Supérieur.

XV.

foir. On la

Les Meres s'attendoient qu'on viendroit le Départ de lendemain au foir pour emmener la Sœur lá Sœur à dix prifonniére. Elles la prefférent de leur laiffer heures du un mémoire de la maniére de faire les ouvrages conduit aux de cire dont j'ai parlé. La Sœur ne put pas le filles fainte refufer. Elle acheva auffi un reliquaire qui Marie pour étoit commencé. Cela la conduifit jufqu'à neuf joindre la Mes

ie Agnès.

res,

heures du foir. Elle avoit projetté de ne fe pas coucher, afin de mettre ordre à fes petites affai& de ranger toutes chofes, penfant bien qu'elle n'en auroit pas le tems le lendemain. A peine avoit-elle commencé à dire ses prières, qu'elle voit la Supérieure qui entre dans fa chambre avec une chandelle & un papier à la main. C'étoit un ordre de fortir à l'heure même & une obédience pour l'endroit où on la menoit. Un Aumônier de M. l'Archevêque l'attendoit dans un Caroffe. L'étonnement de la Mere étoit grand,celui de la Sœur ne le fut pas tant. Elle ramaffa promptement ce qu'elle avoit apporté avec elle dans le Couvent. Certains papiers qu'elle avoit écrits, & qu'elle chercha longtems fans les trouver, la mirent dans une grande inquiétude. Elle en fut quitte pour la peur ; elle les trouva enfin.La Mere de Rantzau qui étoit déja couchée, fe releva pour dire adieu à la Soeur. La Mere Supérieure fit entrer la Sœur dans le Choeur en attendant qu'elle allât parler à l'Aumônier pour obtenir de lui quelque délai, parce qu'il étoit inconcevable qu'on fit partir une Religieufe à une heure auffi indue. Elle n'obtint rien. Ainfi la Sœur Angélique fe mit en marche, & étant arrivée à la porte du Couvent, elle fe jetta à genoux devant la Supérieure. La Mere de Rantzau arriva dans le moment, & fe mit auffi à genoux pour embraffer la Sœur. Après les adieux faits avec beaucoup de tendreffe, la Sœur monta dans le Caroffe avec l'Eccléfiaftique. Elle y trouva une Dame qui étoit venue pour faire compagnie.

Après avoir marché quelque tems au milieu des ténébres, l'Eccléfiaftique fit arrêter le CaJoffe & defcendit fans dire où il alloit. La Sœur s'occupoit alors de ces paroles du Pf. 22.

Quand je marcherois au milieu de l'ombre de la mort, je ne craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec moi. On attendit longtems, & enfin l'Eccléfiaftique arriva conduifant une Religieufe qu'il fit monter dans le caroffe. La Soeur Angélique ne put reconnoître qui elle étoit, à cause de la nuit. Mais celle-ci se jettant à fon cou, s'écria: Eh! C'est ma tante. Quoi! c'est mon enfant, répondit-elle ? C'étoit la petite Sœur Chriftine. Il n'y eut que ces deux paroles de dites. L'une & l'autre rentrérent dans le filence, admirant les voies de la Providence fur elles, & goûtant intérieurement la confolation qu'elle leur procuroit contre toute attente. Comme la nuit s'avançoit, l'obscurité croiffoit dans les rues de Paris. Toutes les lumiéres étoient éteintes; il n'y avoit ni flambeau ni lanterne pour éclairer la voiture. La Sœur Angélique admiroit au milieu de ces ténébres d'une fombre nuit qui étoient capables de donner une grande peur à des filles, » elle admiroit, dis-je, quel bonheur c'eft que la » paix d'une bonne confcience, puifqu'avec ce » Alambeau que les vents ne fçauroient étein»dre, on reffemble à ces Vierges fages qui ne craignent point l'obfcurité de la plus épaiffe *› nuit.

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La marche fut de plus de deux heures parce qu'il fallut arrêter en plufieurs endroits, entre autres à la porte S, Jacques qui exiftoit alors & qui étoit fermée. On arriva au Cou→ vent de fainte Marie où l'on attendit encore une demi-heure dans la rue, parce que les Touriéres du dehors étoient couchées, & qu'il étoit néceffaire d'aller avertir les Religieufes du dedans pour avoir les clefs. C'eft ainfi qu'un homme du caractére de M. de Péréfixe faifoit

XVI.

tout fans ordre & fans prendre aucun arrangement. Il fait voiturer des Religieufes dans la nuit, au lieu d'attendre au lendemain pour les faire marcher dans le jour. Il les fait partir d'un Couvent où il n'a pas eu foin de prévenir ni les prifonniéres, ni les Religieufes de la maifon, & les fait arriver dans un autre où l'on n'a pas été prévenu non plus, & où on ne les attend pas. La Sœur Angélique étoit dans le caroffe qui demeuroit en place, fans favoir où elle étoit. Elle entendit fonner la cloche des Chartreux ; ce qui lui donna beaucoup de joie en lui apprenant qu'elle n'étoit pas loin de fon cher Port-Royal.

La premiére rencontre qu'elle fit en entrant Elle pafle la dans le Couvent, fut plus confolante pour elle nuit en priéres, & le len- que tout le refte. Ses deux Sœurs Angéliquedemain elle Thérèse & Charlotte-Claire accoururent, & fe eft conduite à jettérent à fes genoux, pleurant amérement fur

P. R. des

Champs.

la foibleffe qu'elles avoient eu de figner. Les trois Sœurs allérent à l'Eglife adorer le S. Sacrement, & on les conduifit enfuite à la chambre où la Mere Agnès les attendoit couchée dans fon lit, parce qu'elle étoit malade. Elle les reçut avec une joie pareille à celle des Anges, quand ils reçoivent des ames qui ont échapé des filets du démon & qui fortent de la prifon de ce monde. On s'entretint quelque tems pour commencer à fe communiquer les événemens paffés, & à fe rendre compte des circonftances de la captivité. Mais on quitta bientôt la Mere Agnès pour lui laiffer prendre quelque repos. Pour les Sœurs, elles fe réfolurent à paffer la nuit fans fe coucher, parce qu'on devoit les emmener dès cinq heures du matin. La Sour Angélique qui n'avoit rien fçu depuis fon enlévement, étoit comme une fille tombée des

nues "

nues, accablée, pour ainsi dire, par la multitude des nouvelles qu'elle apprenoit.

Elles dirent enfuite Matines en commun, & fe retirérent pour quelque tems. La Sœur Angélique écrivit un billet pour annoncer ellemême la délivrance aux amis de la maison. Les Meres de la Visitation vinrent à leur chambre de grand matin, pour avoir le tems de leur faire voir leur maifon. Elles les promenérent au jardin où elles leur montrérent un Calvaire & un S. Sépulcre très-bien travaillés, dont toutes les figures font grandes comme nature. La voûte du Sépulcre eft taillée, dit-on, de telle maniére, qu'on entend de là tout ce qui fe dit dans une allée couverte qui eft vis-à-vis, quoiqu'on parle bas. C'eft ce que l'on n'avoit point dit à la M.Agnès & aux autres qui avoient été reléguées dans cette maifon. Si la chofe eft vraie, elles auront été attrapées plus d'une fois ; car elles fe font fouvenues depuis leur fortie de Ste Marie que quand les Religieufes les menoient promener dans le jardin, elles ne les laiffoient jamais converfer feules qu'à cet endroit du jardin mais pourvu qu'elles ne s'écartaflent point de là, on les laiffoit parler en liberté. C'est une petite anecdote assez curieufe. Il n'étoit pas encore cinq heures & demie du matin que le caroffe arriva avec un Aumônier de M. l'Archevêque qui venoit prendre la Mere Agnès & les autres Religieufes, tant celles qui y étoient déja, que celles qu'on y avoit amenées la veille , pour les transférer toutes à P. R. des Champs. Il fallut faire promptement les adieux & les remercimens aux filles de Ste Marie, & on partit. Nous remettons ailleurs le récit du voyage.

:

Je ramallerai, en finiffant, plufieurs repar

Tome II.

F

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