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XXII.

M. de Péré

Docteurs,

le en alloit figner un fecond; que la Mere Agnès étoit docile & bien difpofée; la fœur Angélique S. Jean de même. On alla jufqu'à lui dire qu'il ne reftoit plus que neuf ou dix Religieufes qui n'euffent pas figné ; qu'on alloit difperfer le petit troupeau; qu'on avoit déja enlevé la fœur Chriftine Briquet. La douleur qu'elle reffentoit de tous ces triftes récits, la crainte de tomber elle-même, la violence qu'elle fe faifoit pour cacher les angoiffes de fon cœur, fous l'apparence d'une égalité d'ame qu'il étoit à propos de témoigner aux Religieufes de la maison pour être hors d'atteinte, la firent tomber dans des infirmités corporelles qui lui durérent toute la vie.

D'un autre côté il lui falloit efluyer des vifiEntretiens tes qui lui étoient fort à charge; vifites de de la Sœur Eu- l'Archevêque qui dans la vérité l'ennuyoient ftoquie avec plus qu'elles ne l'embarraffoient; car il ne s'afixe, avec des giffoit que de lui laiffer dire les injures & fes duretés accoutumées, ou débiter fes réchaufavec fa mere, fés de mauvaises raifons; vifites de M. Chamillard & autres de la même forte,& furtout d'un Pere Couvet Dominicain. Celui-ci étoit un habile homme, & d'ailleurs très-féduifant. Il fe déclaroit nettement partifan de la doctrine de MM. de Lalane, Girard, Desmares, & ami de leurs perfonnes; il trouvoit même les Ecrits de ces Meffieurs trop foibles fur la Grace: il traitoit les Jéfuites de francs femi-Pélagiens, en parloit avec un grand mépris en prélence même des Urfulinés, fans ménager leur délicateffe fur cet article. Mais il prétendoit que le Livre de Janfénius étoit dangereux, qu'il avoit compofé fon Livre pour détruire la doctrine de S. Thomas; que les cinq Propofitions condamnées faifoient l'ame & le fond de

fon Ecrit, & qu'en effet dans le

commence

ment des difputes les Janféniftes avoient pris la défenfe de ces Propofitions. A quoi la Religieufe répondoit que ces Meffieurs n'avoient jamais reconnu que les Propofitions fuffent dans Janfénius; que s'ils les avoient d'abord défendues dans un certain fens, c'étoit dans la crainte que la condamnation ne retombât dans la fuite fur la Grace efficace: mais que pour donner aux Supérieurs Eccléfiaftiques une preu ve de leur profond refpect, ils avoient bien voulu les abandonner entiérement. Outre ces vifites de Théologiens, elle avoit encore bien à fouffrir de celles de fa famille, pere, mere, oncle. Sa mere enployoit contre elle les maniéres les plus dures, les termes les plus infultans, les qualifications d'excommuniée, d'enforcelée, &c. Elle étaloit avec emphase les vieilles & les nouvelles calomnies contre les

prétendus hérétiques du tems: elle débitoit des contes ridicules de Religieufes de P. R. qui avoient perdu la cervelle & étoient devenues folles follantes. Elle prodiguoit à M. l'Archevêque des éloges outre mefure. Elle faifoit fonner bien haut les lieux communs de l'autorité de l'Eglife, de l'infaillibilité du Pape. A ce dernier mot la fille lâcha à fa mere une parole qui la fit rire & rougir tout à la fois » S. Pierre, dit-elle, étoit Pape: il étoit » affis dans la Chaire de Rome : il défend aux » femmes les parures & les frifures de cheveux:

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je ne vois pas qu'on fe mette fort en peine » de lui obéir. » Or la Dame de Brégy étoit fort ajuftée au parloir. Pour le pere de la Religieufe & l'Abbé de Flécelles fon oncle, ils s'y prenoient par une voie plus douce, mais qui ne laiffoit pas d'être à craindre pour la

XXIII.

féduction. Raifons, priéres, larmes, conju rations, tout étoit mis en œuvre ; & ce qui fut encore plus capable d'attendrir, ce fut le faififfement où tomba ce bon Abbé à la fin de la converfation, qui fut tel qu'il perdit tout à coup la parole, & que tout le monde en fut effrayé, la niéce elle même. Tels étoient les affauts qu'elle avoit à fupporter, & qui demandoient une grande force pour les furmonter. Ajoutez à tout cela les épreu ves intérieures qu'elle appelloit des tempêtes, je veux dire des accablemens d'efprit épouvan tables fur le dénuement de confeil où elle étoit, & fur quantité de chofes qui intéreffoient fa confcience; peines intérieures qu'elle étoit obligée de renfermer en elle-même, & qu'elle ne pouvoit cependant cacher fans fe faire une extrême violence, d'où il lui vint dans les jours gras un crachement de fang confidérable.

, pour

La four Euftoquie pendant les fept mois de La Soeur Eu fa détention aux Urfulines écrivit trois fois à ftoquie écri deux fois aM. M. l'Archevêque; les deux premieres fois pour de l'ééfixe lui demander la communion; la troifiéme pour pour lui de un autre fujet. La Mere Supérieure exigeoit mander lessa d'elle ces démarches, & elle s'y portoit d'elcremens. le-même fort volontiers écarter tout fcandale qu'on auroit pris de fon indifférence. La premiere demande des Sacremens fut avant Noël. Elle repréfenta à M. l'Archevêque la fincérité des difpofitions dans lefquelles elle lui a fi foavent témoigné qu'elle étoit à l'égard de la fignature, & que ce n'eft que la crainte d'offenfer Dieu qui eft la caufe du refus qu'elle fait de figner. Elle fe compare à l'âneffe de Balaam: » La pauvre âueffe, dit-elle, Monfeigneur, étoit-elle donc criminelle de ne pas vouloir aller où fon maître vouloit la con,

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duire, puifqu'elle n'étoit arrêtée que par l'épée foudroyante de l'Ange du Seigneur qui la menaçoit de lui ôter la vie fi elle le faifoit?» L'Archevêque lui fit rendre réponpar un Eccléfiaftique, qu'il n'y avoit rien à faire, à moins qu'elle ne changeât. Un mois après fur la fin de Janvier, il vint tenir une longue conférence avec elle, où tout alla le même train qu'à l'ordinaire de la des deux part parties difputantes. Entre autres griefs dont il la chargeoit en préfence des Meres, il l'accufoit d'avoir trompé fes Sœurs en fabriquant le procès-verbal où il étoit fi bien mené, & le leur faifant figner fans le leur avoir lu : & il avançoit en preuve, que lorfqu'il vint le lire à la Communauté, trente de ces bonnes filles en eurent une telle horreur, qu'elles le défavouérent fur l'heure, & lui en demandérent pardon. La fœur répondit modeftement en se tournant du côté des Meres: » S'il y en a eu 30. qui ont dé» favoué le procès-verbal, où avons-nous pris les 48. qui ont figné l'acte de confirmation » de ladite piéce, qui en fut dreffé peu de → jours après la vifite dont Monfeigneur vient de parler? Il fe retira en ordonnant de nouveau à la Supérieure de ne laiffer voir la Soar à qui que ce foit fans un billet de fa main, & de ne donner à perfonne de ses nouvelles.

A la Fête de Pâques la Supérieure lui demanda comme à Noël une lettre pour M. l'Archevêque pour folliciter les Sacremens. Elle le fit par un court billet où elle fupplioit le Prélat de lui accorder du moins le Sacrement de Pénitence, & de lui donner pour Confeffeur M. Cheron que M. Bail avoit autrefois envoyé confeffer à P. R. & qui par conféquent n'étoit

XXIV.

fixe
pour s'ex-
pliquer fur
fes difpofi-

tions.

pas perfonne fufpecte. L'Archevêque ne daigna
pas faire aucune réponse, même de vive voix,
à l'Eccléfiaftique porteur de la lettre. Ce fut
dans ce tems pafcal que fe fentant extrême-
ment abbatue & troublée de la mort & de
la fignature de la Sœur Françoife-Claire
que j'ai rapportée plus haut, elle dreffa
un acte de défaveu de tout ce qu'on pourroit
lui faire faire dans une derniére maladie; &
elle eut la dévotion de le figner de fon fang
pour fe raffurer elle-même contre les troubles
qui l'inquiétoient étrangement. Si ces fortes
de dévotions paroiffent petites en elles-mêmes,
figner un acte de fon fang, faire une neuvaine
à fainte Barbe patrone des prifonniéres, réci-
ter une profession de foi la main fur les Evangi
les, mettre les noms des Religieufes fur l'Au-
tel pendant la Meffe, & autres choses sembla-
bles qu'on a vu pratiquer à ces faintes filles
il faut remonter au principe & confidérer que
l'efprit d'où partoient ces pratiques, étoit quel-
que chofe de grand, fçavoir la fimplicité & la

vivacité tout ensemble de leur foi.

La troifiéme lettre qu'elle écrivit à M. l'ArBelle Lettre chevêque avoit pour objet de faire un nouvel à M. de péré- expofé net & ferme de fes difpofitions, dans l'appréhenfion qu'elle avoit que M. fon pere qui lui avoit parlé d'accommodement, n'allât trouver l'Archevêque qui étoit fon ami, & ne lui donnât quelques efpérances mal fondées d'acquiefcement de fa part. La lettre est dattée du premier Juin 1665. C'eft un Ecrit tout-à-fait beau la folidité des raisons & pour le tour pour des pensées. Elle y dit queM.fon pere lui a parlé de Sa Grandeur en fi bons termes que cela feul fuffiroit pour la perfuader, fi quelque chofe d'humain la conduifoit dans cette affaire: que

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