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qu'il n'y avoit pas de quoi. Elle rentra de ce pas dans la chambre de la Mere Agnès, fe mit à genoux devant elle, l'affurant qu'elle n'avoit point changé & qu'elle étoit toujours la même. Elle ne fit que pleurer le foir; elle ne put point fouper. Mais la nuit fut terrible. Sa fi gnature lui parut un abyfme où elle étoit tombée. Elle voyoit clairement ce qu'elle n'avoit jamais vu; elle ne pouvoit comprendre pourquoi elle avoit figné. L'acquiefcement à la condamnation & le fcandale donné à fes Sœurs la jettoient dans la défolation. Le lendemain on s'apperçut qu'elle tenoit toujours fa main cachée; elle avoua que c'eft qu'elle lui faifoit horreur, qu'elle ne pouvoit plus la regarder. Les Religieufes n'ofoient approcher d'elle, tant elle leur faifoit pitié. Son vifage étoit tout contrefait à force de pleurer. Comprendra-t'on aifément quel furcroît de peine c'étoit pour cette vénérable Mere, que d'avoir à porter avec toutes fes autres fouffrances celle de voir devant fes yeux une niéce qu'elle chériffoit tendrement s'affoiblir peu à peu fans ofer la relever, ni fans favoir comment s'y prendre, de la voir fouffrir des combats intérieurs fi violens qu'il fembloit qu'elle en mourroit; de la voir fuccomber enfuite à la vue dès ennemis qui en triomphent; de la voir paffer auffitôt dans un état d'affliction & dé défolation à laquelle on ne voyoit point de reméde.

Cependant la confolation de la tante com mença dans ce dernier état des chofes, car fa niéce lui difoit fans ceffe qu'elle vouloit se ré→ tracter. La tante applaudit à fon deffein : mais elle l'arrêta en lui difant qu'il falloit prendre tems d'avis. M. Chéron vint pour la confeffer; elle répandit fon cœur devant lui, & lui

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LI.

fir toutes fes lamentations. Il tâcha de la confoler, il la confeffa & l'obligea de communier.. Le jour de la Préfentation de la Ste Vierge elle devoit encore le faire mais elle ne put s'y réfoudre; elle entendit la Meffe dans le Jubé avec la Mere Agnès, & tomba en foibleffe auprès d'elle. La tante lui jetta de l'eau-bénite pour la faire revenir, & on la porta enfuite dans fa chambre.

La Mere Agnès apprit que les filles Ste Marie avoient quelque efpérance qu'elle feroit comme fa nièce, & qu'elle fe rendroit à la fignature; que ces bonnes Religieufes faifoient des priéres à cette intention, furtout dans leurs retraites particuliéres. Elle étoit dans une difpofition de cœur bien oppofée, & voyoit par conféquent que l'Archevêque ne fe relâcheroit jamais fur l'article des Sacremens à fon égard.. La pentée d'en être privée à la mort la frappoit. & l'occupoit beaucoup. Elle prit le parti d'écrire un billet, avec intention de le montrer fi elle devenoit fort malade, croyant qu'on y auroit peut-être égard. Elle y expofe briéve ment la fincérité de fes difpofitions fur le refus de la fignature, & demande inftamment à fon Archevêque de ne la pas laiffer mourir fans qu'elle reçoive fes derniers Sacremens, » afin,

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dit

elle, que fortant de cette vie avec la paix de » Dieu, & celle de fon Prélat, fon ame ne fe plaigne point au fouverain Pafteur qui a tant d'amour pour fes brebis de l'extrême févérité de celui qui tenoit fa place en terre.

Comme les angoifles de la Sœur continuoient, La Mere A- & qu'elles alloient même en croiffant, la Megnis confole re s'appliqua férieufement à fermer fes plaies. Elle lui parla fortement de la miféricorde divine qui pardonne les plus grands péchés; de la

ia niéce.

confiance en Dieu qu'il ne faut jamais perdre, & dont elle avoit un témoignage préfent dans la difpofition où la grace la mettoit. S'appercevant que la Sœur cachoit toujours fa main par l'habitude qu'elle en avoit contractée, elle la lui prit & la baifa. La Sœur se trouva un peu foulagée. Elle le fut encore davantage quand la Supérieure lui annonça que M. l'Archevêque n'étoit content ni d'elle, ni de sa fignature, à caufe qu'elle pleuroit tant. Elle cut une grande fatisfaction d'apprendre cette nou. velle, qui lui fit croire que Dieu exauçoit fes priéres, & qu'il alloit lui fournir le moyen d'expier fa faute par quelque mauvais traitement. Elle auroit bien fouhaité revoir M. Chéron mais on le lui refufa. Elle en propofa plufieurs autres entre autres le P. de fainteMarthe de l'Oratoire qu'on lui accorda. Il la reçut avec une grande bonté, la raffura, difant qu'elle n'avoit pas péché en fignant ; faisant auffi l'éloge de la Mere Agnès que Dieu traitoit comme les grandes ames, comme les Martyrs, comme S. Paul premier Hermite, qui ne communioient pas, mais à qui Dieu fe communiquoit d'une maniére bien plus parfaite. II la fit communier le jour de S. Thomas & le jour de Noël.

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Elle tomba enfuite malade d'une fièvre triple-quarte, jointe à l'incommodité d'une lou-pe fi groffe & fi douloureufe qu'elle ne pouvoit prefque refpiter. Ainfi elle fe vit hors d'état de rendre les fervices ordinaires à fa tante. C'est pour cela qu'elle écrivit un billet à M. l'Archevêque pour le prier de faire venir avec elle fa four Marie-Claire qui étoit aux filles S. Thomas, & qui avoit auffi figné. On lui en fit refus,& om qui fit même entendre qu'on pourroit la reti

rer elle-même d'auprès de fa tante, & qu'om Lui fubftitueroit une autre fœur de P. R. Ce fut un nouveau fujet d'affliction & de détreffe pour elle. D'autres objets affligeans peinoient encore & la tante & la niéce. On leur raconta la feconde fignature de la foeur Melthide; celle de la fœur ancienne de la maison, Catherine de S. Paul; celle de la four Françoife-Claire. au lit de la mort. La Mere Agnès en fut pénétrée de douleur; elle ne put dormir pendant plufieurs nuits. Cependant Dieu lui faifoit la grace de conferver au milieu des plus grandes agitations une paix intérieure qui paroiffoit au dehors par une tranquillité admirable. Les filles de Ste. Marie en étoient tout étonnées. Voici une preuve entre autres que la fœur Marie-Angélique-Thérèse rapporte de cette égalité d'ame que la Mere conferva toujours dans quelque événement que ce fût. Elle crut une nuit avoir perdu fon bon œil, car elle ne voyoit depuis longtems que d'un œil. Sa niécé étant malade ne pouvoit plus dire fon office la nuit avec elle. Elle lui mettoit une lampe fur une table à la ruelle de fon lit & une montre pour voir l'heure. La Mere fe reveilla fus les onze heures; elle ouvrit fon rideau pour voir l'heure & ne voyant rien elle fe crut aveugle, &.en fit le facrifice à Dieu. Sur les trois heures la niéce fe réveilla, & entendant fa tante ne dormoit pas, elle lui demanda quelle heure il étoit. Elle répondit: » Ma four, je n'en fçais rien. Celle-ci la pria de regarder à fa montre. Elle lui dit: ma fœur, je ne vois plus. Comment! dit la niéce bien effrayée, vous ne voyez plus !» Elle fe jetta a terre au plutôt, & ouvrant fes rideaux elle ne voyoit pas non plus qu'elle. Elle lui dit

que

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alors bien confolée, qu'elle avoit oublié d'allumer la lampe. Elle l'alluma promptement, & il fe trouva que la tante recouvra fur le champ la vue, qu'elle avoit cru pendant quatre heures entiéres avoir perdue pour toute fa vie. La niéce lui demanda pourquoi elle ne l'avoit pas appellée auflitôt qu'elle avoit eu cette penfée. » Helas! répondit la Mere, j'ai » cru que c'étoit une chofe faite, & qu'il se»roit affez tems de vous le dire le matin.

LII.

M. de Pé

L'Archevêque vint voir la four le dix de Février. Il faut favoir que le fept du même réfixe fait vemois la fœur avoit écrit fa rétractation fur un`nir la Sœur papier fecret, dans lequel elle marque com- Marie Claire ment la crainte de mourir fans Sacremens pour être avec Thérèse au-jointe aux affurances qu'on lui donnoit que près de leur fa fignature ne l'engageoit à rien de plus que tante. la premiére fignature faite en 1661. l'avoit déterminée à fe rendre. Elle expofe les troubles & les angoiffes qu'elle a éprouvées depuis fa fignature, & déclare qu'elle rendra publique fa rétractation auffitôt qu'elle le pourra. Elle a figné l'acte. L'Archevêque trouvant la four au lit, fut fenfible à l'état de maladie où elle étoit tombée. Il lui dit qu'il falloit fe réjouir. Me réjouir! dit-elle; le pourrois-je:

étant dans vos prifons? Enfuite il l'entretint fur les foeurs qui avoient figné, & fur celles qui ne le vouloient pas faire. La four lui parla de fa four Marie-Claire qu'elle fouhaitoit avoir avec elle auprès de leur tante commune. Il parut ne pas s'en éloigner. Quel-que tems après, la Supérieure montra à la feur une lettre de l'Archevêque qui marquoit qu'il la réuniroit à fa foeur Claire en les mettant toutes deux enfemble à P. R. La four fut très-affligée, voyant qu'il s'agifsoit de la:

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