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On en ufa toujours très-bien avec elle. Au bout de quelques jours elle obtint la permiffion d'aller feule à l'Eglife, quand fa gardienne n'avoit pas la commodité de l'accompagner. On faifoit une cuifine maigre pour elle tous les jours gras, & on ne manquoit pas de lui fervir toujours du poiffon, quoiqu'elle cût prié qu'on lui donnât feulement des œufs & du fruit, ce qui feroit fuffifant. On ne manquoit pas non plus de venir faire la converfation avec elle après fon repas ; & hors l'article de la fignature & celui de Meffieurs de P. R. fur lefquels on s'échauffoit affez de part & d'autre, la converfation fe paffoit agréablement & fort bonnement fur tout le refte. Elle affistoit ordinairement à deux Meffes, à Vêpres & à l'Oraifon.

La premiére nuit elle dormit peu, & la paffa bien triftement par les penfées affligeantes qui l'occupérent fur l'état de fa pauvre Communau té. Elle entendit à deux heures la cioche de P. R. pour Matines; elle fe leva, dit fon Office, unie en efprit à fes cheres fœcurs, & fe recoucha.

rien accorder

M. l'Evêque de Meaux fon frere vint à Pa- LVI. ris peu de tems après fon enlévement, pour La Mere Abmettre ordre à fa translation dans fon Diocèfe; befle ne veut car il avoit parole de M. l'Archevêque qu'il en de vérés la remettroit entre fes mains. Il obtint de lui fixe. que M. Chéron viendroit la confeffer. Celuici vint la veille de la Nativité de la fainte Vierge, & dit à la Mere qu'il avoit ordre de la confeffer, fuppofé qu'elle voulût promettre l'indifférence. Elle le refufa, & le Confeffeur fe retira, promettant d'aller voir l'Archevêque, & de folliciter pour elle la permiffion d'appro cher des Sacremens fans aucune condition.

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Le lendemain de la fête il revint, & dit que l'Archevêque fe contentoit qu'elle promît du moins de prier toujours Dieu pour connoître fa volonté. La Mere le promit en fouriant. Elle fut donc confeffée, & elle communia à la Meffe même de M. Cheron. Le foir l'Archevêque vint à huit heures, & demanda à parler à la Mere. Il fe mit à la congratuler de ce qu'elle commençoit à être dans une meilleure difpofition que par le paffé. Elle fut un peu étonnée du compliment, & lui dit franchement qu'elle n'avoit pas changé de difpofition qu'elle ne fçavoit pas comment M. Cheron lur avoit fait entendre les chofes ; mais que certainement elle ne s'étoit pas engagée à l'indif férence qu'il lui avoit demandée. Elle eut à effuyer bien des reproches du Prélat, tant fur la duplicité qu'il l'accufoit d'avoir employée envers M. Cheron, pour extorquer de lui la communion, que fur tout le refte de fa conduite dans les affaires de P. R. II la quitta en lui annonçant que le lendemain elle devoit être conduite à Meaux. Lorfqu'il fut forti, les Meres voulurent, pour ainfi dire, jouer de leur refte, & elles entreprirent la M. Abbeffe fur fa réfiftance à fes Supérieurs, & fur les mauvais fentimens de fa Maison, d'une maniére extrêmement haute. La Mere Abbeffe les écouta en filence.

Elle fortit des Urfulines le 10. du mois, fous la conduite de Madame de Ligny fa belle-fœur, chez qui elle coucha. On avoit envoyé prendre la Sœur Anne-Cecile à Montmartre, où elle avoit été dépofée en attendant le départ de l'Abbeffe pour Meaux ; car l'Archevêque avoit confenti à donner cette Sœur pour compagne d'exil à la Mere. M. Cheron vint les voir chez

Madame de Ligny, & les confeffa toutes les deux fans leur demander quoi que ce foit. Il confeilla à la Mere de faire toujours fonctions d'Abbeffe, quoique M. de Paris ne le voulût pas, & de figner en cette qualité les quittances qu'on lui apporteroit à figner. Elle fit avertir M. Akakia, qui géroit leurs affaires, de la venir trouver chez M. de Ligny fon frere. Il y vint, lui donna des nouvelles de la maifon, & conféra avec elle fur le temporel; enfuite on partit pour Meaux.

LVII.

La Mere Ab

beffe eft trans

férée à Meaux

La Mere arriva à l'Evêché, où l'Evêque fon frere la retint deux jours. On délibéra dans quelle maifon on la mettroit. Elle avoit fort fouhaité de fe retirer au Pont-aux-Dames, qui chez les filles étoit une maison de fon Ordre dans le Diocèfe : de Sainte Mamais l'Abbeffe de cette maison avoit prié que rie avec la cela ne fût M. de Meaux propofa les Filles Soeur Anne

pas.

de Ste Marie de la Ville, & on conclut pour ce Couvent. Ainfi l'Evêque y mena fa fœur, & la remit entre les mains de la Supérieure, après lui avoir recommandé de ne point parler à fa Sœur fur la fignature, & de la laiffer tranquille fur toute cette affaire. Le lendemain il revint au Couvent, y dit la Meffe & communia fa fœur & fa compagne : enfuite il donna fes ordres pour fixer l'état de la prifonniére. Il ne l'obligea point à montrer aux Meres les Lettres qu'elle recevroit, & qu'elle écriroit; mais il exigea qu'elle leur montrât le nom des perfonnes à qui elle écriroit. Il pria auffi fa fœur de trouver bon qu'elle eût toujours au parloir pour affiftante l'ancienne Supérieure, qui feroit aufli fa compagnie ordinaire pendant la journée, Enfin il exigea d'elle qu'elle ne fit rien en cachette de lui, en ce qui concerne les communications du dehors. Elle écouta les deux pre

Cécile,

LVIII.

miers points; mais pour le dernier, elle ne s'y engagea point; elle lui dit que quand elle auroit quelque befoin, elle feroit tout ce que fa confcience l'obligeroit de faire.

Quelques jours après, M. de Ligny fon frere étant venu la voir, elle lui fit des plaintes de la captivité où l'Evêque l'avoit reduite. Celui-ci vint bien-tôt après lui en faire des excuses. Il lui repréfenta qu'il n'auroit pas mieux aimé que de la laiffer dans une entiére liberté ; qu'il devoit quelque déférence à M. de Paris, qui n'avoit confenti à fa tranflation à Meaux, que fous certaines conditions; qu'il ne prétendoit pas les fuivre toutes à la rigueur; mais qu'auffi il ne pouvoit pas s'en difpenfer en entier ; qu'il y auroit immanquablement des rapports faits à la Mere Eugénie, de la maniére dont elle feroit conduite dans la maison ; que celle-ci ne manqueroit pas d'en rendre compte à l'Archevêque, avec qui il étoit de conféquence qu'il ne fe brouillât point. M. de Meaux l'exhorta auffi à fe trouver à toutes les obfervances de la maifon, même à la récréation. Elle y acquiefça & vécut avec toutes les Religieufes d'une maniére fort libre & fort gracieufe; mais elle n'en vit jamais aucune étant feule: l'ancienne Supérieure fa gardienne ne la quittoit point.

Un jour on vint lui dire que le Confeffeur Le Confef. de la Maifon fouhaitoit lui parler: elle alla feur de la au Confeffionnal. Elle fut fort étonnée d'entenmaifon fert dre dire à cet Eccléfiaftique, qu'il avoit une la mere fe- lettre de M. Lancelot à lui remettre: elle ne pour des com-fçavoit pas fi elle devoit fe fier à cet Eccléfiaftmunications ique.Celui-ci effaya de la lui donner par la grille au dehors. du Confeffionnal; mais il ne put en venir à

Crettement

bout. Il n'y avoit pas non plus d'apparence à

lui donner par le tour, parce qu'il auroit fallu fuivant les conventions, déclarer aux Meres le nom de celui qui écrivoit. Le Confeffeur s'offrit de lui en faire la lecture lui-même. Elle héfita fur le parti qu'elle prendroit : enfin elle crut pouvoir accepter l'offre. Il la lut, & l'affura enfuite de fa bonne volonté pour la fervir dans fes communications fecrettes.

Elle apprit dès les premiers jours par M. Akakia qui vint la voir, des nouvelles affligeantes de fa Communauté ; comment la Mere Eugénie traitoit les Religieufes avec empire; la conduite étonnante de la four Flavie, la chute de fept ou huit de fes fœurs qui avoient figné. Elle auroit continué à être informée de tout, fi M. Akakia n'avoit pas été arrêté, & conduit à la Baftille. Le Confeffeur dont j'ai parlé y fuppléa du mieux qu'il put: il lui rapportoit tout ce qu'il pouvoit fçavoir, & fe chargeoit de faire tenir fûrement les lettres qu'elle écrivoit; il falloit cependant qu'elles paffaffent fous les yeux de l'Ancienne qui ouvroit la grille du Confeffionnal pour les remettre dans le dehors. Elle écrivit en ce tems-là à la Mere Prieure de P. R. des Champs, pour lui rendre compte de ce qui lui étoit arrivé, & de fon état préfent. Elle la prie de lui apprendre, fi cela eft poffible, les nouvelles qu'elle fçaura de P. R. de Paris. Les Religieufes de Paris lui écrivirent auffi une lettre pour l'informer de tout ce qui étoit arrivé.

Ayant appris qu'on faifoit courir un bruit dans le monde fur fon compte, & qu'on répandoit dans le public, qu'elle ne s'éloignoit pas de figner, elle en fut fort touchée, & fe crut obligée de lever ce fcandale. Elle écrivit à M. du Château fur plufieurs chofes pour lef

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