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XVII.

Sœurs Flavie & Dorothée.

La Sour Flavie Paffart étoit venue toute petite à P. R. avec fa mere qui quitta La Fer- Portrait des té-Milon fe faire Touriére de la maifon.) pour Elle demeura quelque tems avec fa mere au dehors. A l'âge de 14. ans elle marqua tant d'empreffement pour fe faire Religieufe, qu'on

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reçut au dedans. Au bout de 4. mois on la renvoya, parce que fon caractére étourdi ne parut pas convenir à la maison. A 19. ans elle alla à Gif où elle fut reçue, & fit profeffion, ayant fçu tromper les Religieufes par une apparence de ferveur & par le luftre qu'elle fe donnoit d'être une fille à miracles. En effet il n'eft pas concevable à quel point elle portoit ce goût de miracles & de vifions, & on ne pourroit pas nombrer tous ceux dont elle fe faifoit honneur, vrais ou faux. Dès fon enfance elle avoit été guérie plufieurs fois miraculeufement par des Reliques. Etant à Gif, après avoir fouffert long-tems d'une colique pier-. reufe, elle fut guérie fur le champ, ayant jetté une pierre, par la vertu d'une eau qu'elle avoit bue, où elle avoit mis des Reliques de M. de S. Ciran; laquelle cau avoit enfuite guéri l'Abbeffe fur le champ d'une douleur de dents, qui duroit depuis plufieurs jours. Lorfqu'elle fut à P. R. on ne finiffoit pas de lui voir opérer fur elle-même des guérifons miraculeufes dans toutes les maladies vraies ou fimulées qui lui furvenoient. Elle ne demeura à Gif que fix ans; & foit amour du changement & inconftance, foit quelque autre motif, elle voulut paffer à P. R. Elle s'étoit liée par lettres à M. le Maître dont elle gagna l'estime ce qui lui fervit à lui procurer l'entrée dans la maifon. Toutes les Religieufes, jufqu'à la Mere Angélique elle-méme, y furent

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trompées dans les commencemens; enforte que peu de tems après fon entrée, elle fut établie fous-Maîtreffe des Novices avec la Mere des Anges. Nous avons vu dans la vie de celle-ci la conduite impertinente que Flavie tenoit à l'égard de cette fainte Mere & à l'égard des

enfans.

Ce qui la fit bien connoître pour ce qu'elle étoit, c'étoit l'impatience extrême qu'elle témoignoit toutes les fois que les Meres lui repréfentoient quelque défaut qu'on remarquoit en elle dans la conduite des enfans. Cette impatience étoit telle, qu'à chaque fois elle fe livroit à une trifteffe qui duroit des semaines entiéres, pleurant fans ceffe & ne voulant point manger. Souvent elle en tomboit malade, & pour achever le merveilleux, une guérison fubite ne manquoit pas d'arriver par les Reliques de quelque Saint. Il y eut une fois une aventure plaifante à ce fujet. La Mere Prieure l'avoit laiffée très-mal un foir : le lendemain à l'Office du Chapitre elle la recommanda aux priéres : les Sœurs ne purent s'empêcher de rire, & montrérent à la Mere la prétendue malade qui affiftoit à l'Affemblée avec les autres. L'attache qu'elle avoit pour fes Directeurs, ou pour les perfonnages faints qu'elle eftimoit, alloit à l'excès, & changeoit à mesure qu'elle en choififfoit de nouveaux. Elle fe conduifoit au refte de telle maniére, que ces Meffieurs y étoient trompés, comme M. de Rebours, M. Singlin, & dans la fuite M. Chamillard. Dans les commencemens fon Saint étoit Janfénius ; elle avoit fon portrait dans fa chambre où elle pratiquoit plufieurs dévotions. M. de S. Ciran étoit de même fon Saint. Elle apporta un jour aux enfans de la,classe, en hyver, une bran→

che de rofier où il y avoit une rofe, affurant que cette role étoit venue devant l'image de M. de S. Ciran où elle avoit attaché la “branche. Elle avoit compofé un Office de M. de S. Ciran qu'elle faifoit réciter aux penfionnaires, au lieu de l'Office du jour.

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Une fille de ce caractére ne pouvoit pas manquer d'avoir auffi des vifions. A l'entendre toutes les perfonnes qui mouroient lui rendoient vifite. Nous verrons plus bas qu'elle a été quelquefois prife en défaut fort vilaine ment. Elle devinoit auffi les fecrets des cœurs ; elle difoit aux enfans ce qu'ils avoient dans Pame, ou ce qu'ils avoient fait autrefois : mais on n'étoit pas émerveillé fur cet article, parce qu'ayant les clefs des écritoires des enfans, elle étoit à portée de life les papiers où ils avoient écrit leurs petits fecrets. Sa paffion pour les Reliques de fes nouveaux Saints étoit déméfurée, c'étoit une efpèce de folie, Elle ne fe latfoit point d'amaffer des Reliques de M. de S. Ciran, de M. de Bagnols, de la Mere des Anges, de M. Singlin, &c. Elle n'en avoit jamais affez. Elle alloit la nuit ouvrir la foffe de quelque défunt ou de quelque défunte, en emportoit quelque os, le faifoit bouillir pour en oter les chairs qui y tenoient, & les montroit à fes petites penfionnaires: Mademoiselle Benoife & Mademoiselle Lombert qui étoient du nombre, ont déclaré que quelquefois elle leur a donné de ces os, & les obligeoit, malgré la répugnance qu'elles témoignoient, à râcler ces os pour les décharner. Les remontrances qu'on lui faifoit à ce fujet ne l'arrêtoient point. Elle fatiguoit toutes les Sœurs qui avoient plus d'adreffe qu'elle, pour lui faire de petits Reliquaires ou elle dépofoit toutes ces Reliques.

Elle prenoit quelquefois plufieurs Sœurs le foir dans un enthousiasme de dévotion, & leur faifoit faire fecretement des proceffions avec ces Reliquaires, pour attirer la protection du Ciel fur la maifon perfécutée.

Dans les premiers tems de la perfécution elle étoit des plus ardentes pour fouffrir tout, plutôt que de fe rendre à la fignature. Elle tomba malade au point qu'elle ne pouvoit se traîner, & demeuroit toujours étendue fur une chaise : c'étoit une tumeur qu'elle difoit avoir dans un endroit de fon corps qu'elle ne vouloit point montrer. Elle prie qu'on la mene fur le tombeau de la Mere des Anges: elle prie Dieu de faire fur elle un miracle pour manifefter que les Religieufes font dans le bon parti: après y être reftée deux heures expofée au froid & au vent, elle fe léve & dit qu'elle eft guérie. Mais peu à peu elle changea bien,ou du moins elle manifefta ce qu'elle étoit déja dans le cœur. Comme on étoit divifé fur le fujet des proteftations à faire, les unes penfant qu'il en falloit faire, les autres en petit nombre difant qu'il valoit mieux fouffrir en filence, & ne point s'élever contre fesSupérieurs, la fœur Flavie embraffa viyement ce dernier parti,& pour y engager les autres raconta une vifion qu'elle avoit cue la nuit. Janfénius lui avoit apparu, & elle avoit écrit fous fa dictée 18. lignes qu'elle lifoit aux fours, & où il étoit dit qu'il ne falloit ni figner ni protefter. L'écrit étoit fort bien motivé. Pour donner plus de créance à cette vifion elle en fuppofa une autre où elle fut prife. pour dupe. Elle dit à une Soeur que M. de Rebours lui avoit apparu la nuit, & lui avoit dit par trois fois de lire un écrit de lui qu'elle trouveroit, dans fa caffette, fur la manière dont il falloit

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fe conduire à l'égard des Myftiques. Elle appella donc le matin cette Sœur, & la pria de fouiller dans fa caffette pour y trouver cer écrit, & de le lire. La four le trouva parmi des hardes, l'ouvrit & le lut. Malheureusement pour la Sœur Flavie c'étoient des principes très-fages fuivant lefquels fa myfticité se trouvoit fort décriée. Elle en fut un peu confufe.

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M. de Péréfixe étant venu faire les grandes opérations que nous avons vues, elle cacha fon jeu & fe mit à trahir fes Soeurs auprès du Prélat. On commença à s'en défier un peu tard. Enfin elle le décela entiérement, & fit tout ce que nous avons rapporté dans le tems, de concert avec la Sœur Dorothée. L'union cependant ne fut point parfaite. Celle-ci ne pouvoit fupporter fes hauteurs, fes étourderies. Flavie de fon côté étoit jaloufe de la place qu'occupoit la Sœur Dorothée, & qu'elle auroit bien fouhaité avoir.

La Sœur Dorothée avoit eu de bons commencemens. Elle avoit très-bien répondu aux bontés que la maison avoit eues pour elle en la recevant à profeffion gratuitement, de la maniére que je l'ai rapportée dans le premier Livre nombre XXIV. Elle étoit encore trèsbien difpofée en 1663. puifque ce fut cette année qu'elle écrivit la Rélation de fa réception, & elle le fit d'une maniére pleine de reconnoiffance pour la charité des Meres. Il paroît que la crainte de la perfécution fit impreffion fur elle, & fut la premiere caufe de fon changement en 1664. Elle eut la foibleffe de fe rendre à la fignature, & pour fe diffimuler la faute, elle prit des fentimens peu avantageux de la conduite des Meres. L'ambition enfuite la détacha entiérement de fes bienfaitrices. S'étant

Portrait de

Dorothée.

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