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ee que la fœur Angélique ne fournissoit pas à la converfation, pour la raifon que j'ai marquée. Le filence continuel de la prifonniere lui avoit prefque fait perdre la voix : elle s'apperçut en même-tems" que fa poitrine fe def féchoit. C'est pourquoi craignant que cela n'allât plus loin, elle prit le parti de lire quelquefois tout haut, & de chanter quelque partie de fon office.

foit

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On avoit grand foin d'elle, & on ne la laifmanquer de rien. On avoit même attention à la prévenir, parce qu'elle ne demandoit jamais rien, & ne fe plaignoit de rien. De quoi les Meres en revanche fe plaignoient à elle poLiment. » C'est ainfi, dit-elle, que quand nous » ne cherchons que le Royaume de Dieu, tou»tes les chofes néceffaires à la vie nous font → données par furcroît. » Elle ne laiffa pas de fouffrir par le manquement de beaucoup de pe tites chofes, parce qu'on ne pouvoit pas deviner fes befoins fur lefquels elle ne s'expliquoit pas. Elle en agiffoit ainfi, tant pour incommoder le moins qu'elle pouvoit les Religieufes de la maifon, que pour le conferver le mérite de l'état de pauvreté. Mais autant ces Meres étoient attentives à lui procurer les commodités de la vie, autant elles étoient ponctuelles à fuivre les ordres que l'Archevêque leur avoit donnés de ne la laiffer parler à perfonne, ni au dedans ni au dehors. La foeur ayant un jour témoigné à la Mere qu'elle avoit quelque appréhenfion que la nuit il ne lui arrivât des accidens qui lui étoient arrivés par le paffé, & qu'étant enfermée, & fans aucun voifinage elle ne pourroit pas appeller à fon fecours, fi elle venoit à fe trouver mal, la Mere ne lui fir pas l'offre de la laiffer la nuit fans être enTome II.

E

IV.

Péréfixe. En

Prélar.

fermée: elle lui parla feulement de faire cou cher quelque fœur dans fa chambre, marquant en même-tems une forte d'embarras pour favoir qui elle prendroit. La fœur n'insista pas, d'autant plus qu'elle penfa que la compagnie d'une perfonne qui pafferoit la nuit dans fa chambre, la gêneroit dans les exercices de dévotion qu'elle faifoit pendant la nuit.

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On offroit de tems en tems à la fœur AnElle deman- gélique de lui faire voir des perfonnes de qui de les Sacre- elle pût prendre confeil. On lui demandoit qui mens à M de elle fouhaitoit. Elle remercioit tout fimpletretien avec le ment difant qu'elle n'avoit rien à dire. Ceci lui donna la penfée d'écrire à M. l'Archevêque, n'ayant autre chofe à demander finon ce qu'on prétendoit faire d'elle, furtout par rapport aux Sacremens. Elle écrivit donc le 2. Septembre au Prélat, pour le prier de lui faire favoir fes intentions, lui repréfentant que comme il a ajouté à l'interdiction des Sacremens le banniffement & la prifon, elle fe fatte de l'efpérance qu'il voudra bien imiter Dieu qui ne punit pas deux fois une même faute ; & que comme il lui laiffe les derniers châtimens, il lui relâchera le premier qui eft la privation

des Sacremens.

L'Archevêque vint lui-même faire réponse à la lettre trois jours après. La Supérieure & la Mere de Rantzau furent de la converfation. Le Prélat commença à difcourir à fon ordinaire fur la fignature, après avoir préalablement dé claré à la fœur Angélique qu'elle devoit fort féparer l'affaire de la fignature de la querelle qu'avoient les Jéfuites avec M. Arnauld le DoAteur fon oncle; que pour lui, il eftimoit fort le Livre de la fréquente Communion, qu'il l'avoit beaucoup lu, & y avoit beaucoup pro

fité, qu'il faifoit état du mérite de M. Arnauld, qu'il le connoiffoit & l'eftimoit, qu'il avoit été fur les bancs avec lui en Sorbonne, qu'il le tenoit très-fçavant homme, & qu'il étoit fon ferviteur & de toute fa maison. L'Archevêque ne penfoit point qu'en parlant ainfi, il moleftoit les Meres qui étoient préfences. Car elles regardoient à peu près du même œil le Livre de la fréquente Communion & celui de Janfénius, n'étant inftruites & dirigées que

par des Jéfuites, & entre autres par le Pere Nouet qui s'étoit fignalé en Chaire par fes déclamations contre le Livre de la fréquente Com

munion.

L'Archevêque débita donc fon rollet fur les motifs de la fignature. Comme la fœur fe tenoit fortement à la diftinction du Fait & du Droit, la Dame de Rantzau voulut fe mêler dans la difpute, & dit que c'étoit l'échapatoire ordinaire des hérétiques. Mais la four lui ferma la bouche en lui difant que cette diftinction étoit avouée nettement dans le Mandement de M. l'Archevêque. La Dame soutint sa thèse cependant, mais fans la prouver : elle dit qu'elle étoit au fait de toutes chofes qu'elle favoit ce que c'étoit que Moulina. Dans

une

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autre occafion cette fçavante Controverfifte lâcha à la foeur, qu'il ne falloit pas tirer à conféquence l'Hiftoire de S. Anaftafe, voulant dire S. Athanafe. La fœur comprit par-là jufqu'où alloit l'érudition de la Dame, & elle fentit qu'elle auroit bon marché d'elle, quand elle entreroit en difpute. L'Archevêque fe jetta enfuite d'un autre côté. Il fe plaignit des difcours qu'il difoit qu'on faifoit courir dans le monde, prétendant qu'on avoit invenré beaucoup de fauffetés fur la manière dont

V.

Elle ferme

la bouche à la Dame de Rantzau,

s'étoit fait l'enlèvement des douze Religieu
fes de P. R. La fœur juftifia modeftement les
récits, l'affurant que c'étoit à elle-même qu'il
avoit dit telle & telle chofe. Il conclut la féan-
ce par
le refus de la grace que la fœur lui avoit
demandée, qui étoit la permiffion de commu-

nier.

La Dame de Rantzau voulut continuer la difpute, en reconduifant la four à sa chambre. Elle déploya toute fon érudition, entre autres qu'on avoit autrefois obligé les Origéniftes à condamner Origene. La four lui oppofa le mot de S. Jérôme à Jean de Jérufalem: Choififfez ou de condamner Origène, ou fi → vous ne voulez pas le condamner, de dire que ces erreurs ne font pas dans Origène. Enfin après plufieurs traits coup fur coup entaffés & repouffés, la Dame ayant avancé d'un ton ferme; » Je fçai, ma fœur, toute l'Hiftoire Eccléfiaftique; je fçai tout, je répondrai à tout; la four un peu impatiente luj »répliqua avec vivacité; Et moi, Madame, »je ne fai rien, c'eft pourquoi cela va le mieux » du monde pour ne point difputer, car la so partie ne feroit pas égale. »Puis elle lui tourna le dos, & fe mit à prier Dieu, en attendant que la clef de fa chambre fût arrivée. Elle fe reprocha un moment après ce petit écart de vivacité, & écrivit fur le champ un biller d'exçufe à la Mere de Rantzau, qui de fon côté lui fit auffi fes excufes par un autre billet qu'elle lui envoya. Ceci produifit un bon cffet; car hors quatre ou cinq occafions où cette Dame parla encore un peu vivement de ces affaires dans les cinq premiers mois, elle n'en dit plus rien du tout dans la fuite, fi ce n'eft quelquefois par entretien & agréablement, fans chaleur &fans difpute.

VI.

Dieu éprouva alors la fœur Angélique par des peines intérieures qui lui fournirent un rude de peines d'ef tourment pendant fix femaines. Elle fit réfle- prit qu'elle xion que jufqu'ici elle s'étoit trop occupée de éprouve. la gloire qu'il y avoit à fouffrir pour la vérité ; Comment elle que l'humilité convenoit mieux dans une tem s'y foutient. pête qui devoit être longue & forte. Le trouble s'empare de fon efprit; elle eft frappée vivement d'une infinité de chofes qu'elle voit en elle, & qui déplaisent fort à Dieu; elle tombe dans un rabaiffement fi profond à l'aspect de fes miféres, & dans une fi grande crainte d'avoir péché par une joie indifcrete de fes fouffrances, qu'elle ne fait plus de quel côté fe tourner: ce qui finalement la conduifoit à l'appréhenfion de tomber dans le désespoir. La privation de la confeffion venoit à la traverse : elle étoit exceffivement allarmée des fautes journaliéres qu'elle craignoit de commettre foit en fe préférant aux autres par orgueil, foit en bleffant la charité dans les difcours, & autres femblables fautes, far lesquelles elle ne pouvoit point s'ouvrir & prendre confeil dans l'impuiflance où elle étoit d'avoir un Confeffeur. Cependant elle marque dans fa Rélation qu'au milieu de tous ces orages qui agitoient fon ame, la confiance & la paix fubfiftoient toujours dans le fond intime de fon cœur. Sa priére la plus ordinaire dans cette longue tourmente étoit celle d'Esther: Dieu fort, plus puiffant que tout, écoutez la prière d'une ame qui n'a d'efpérance qu'en vous, & délivrezmoi de mes allarmes. Le 2. Octobre, jour des SS. Anges Gardiens, ces paroles de l'Office, Ils vous tiendront dans leurs mains, afin que vous ne vous heurtiez point le pied, portérent la lumière dans fon efprit & diffipérent tout

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