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plein de mots sales et déshonnêtes. Cela ne vaut rien. Ses sentiments sur l'homicide volontaire et sur la mort sont horribles. Il inspire une nonchalance du salut, sans crainte et sans repentir. Son livre n'étant point fait pour porter à la piété, il n'y étoit pas obligé mais on est toujours obligé de ne pas en détourner. Quoi qu'on puisse dire pour excuser ses sentiments trop libres sur plusieurs choses, on ne sauroit excuser en aucune sorte ses sentiments tout païens sur la mort; car il faut renoncer à toute piété, si on ne veut au moins mourir chrétiennement; or il ne pense qu'à mourir lâchement et mollement par tout son livre.

XXXV.

Ce qui nous trompe, en comparant ce qui s'est passé autrefois dans l'Église à ce qui s'y voit maintenant, c'est qu'ordinairement on regarde saint Athanase, sainte Thérèse et les autres saints comme couronnés de gloire. Présentement que le temps a éclairci les choses, cela paroît véritablement ainsi. Mais au temps que l'on persécutoit ce grand saint, c'étoit un homme qui s'appeloit Athanase; et sainte Thérèse, dans le sien, étoit une religieuse comme les autres. Elie étoit un homme comme nous, et sujet aux mêmes passions que nous, dit l'apôtre saint Jacques (Jac. 5, 17), pour désabuser les Chrétiens de cette fausse idée qui nous fait rejeter l'exemple des saints, comme disproportionné à notre état : c'étoient des saints, disons-nous, ce n'est pas comme nous.

XXXVI.

A ceux qui ont de la répugnance pour la religion, il faut commencer par leur montrer qu'elle n'est point contraire à la raison; ensuite, qu'elle est vénérable, et en donner du respect; après, la rendre aimable, et faire souhaiter qu'elle fût vraie; et puis, montrer par les preuves incontestables qu'elle est vraie; faire voir son antiquité et sa sainteté par sa grandeur et par son élévation, et enfin qu'elle est aimable, parce qu'elle promet le vrai bien.

Un mot de David, ou de Moïse, comme celui-ci, Dieu circoncira les coeurs (Deut. 30, 6), fait juger de leur esprit. Que tous les autres discours soient équivoques, et qu'il soit incertain s'ils sont de philosophes ou de Chrétiens : un mot de cette nature détermine tout le reste. Jusque-là l'ambiguité dure, mais non pas après.

De se tromper en croyant vraie la religion chrétienne, il n'y a pas grand' chose à perdre. Mais quel malheur de se tromper en la croyant fausse !

XXXVII.

Les conditions les plus aisées à vivre selon le monde sont les plus difficiles à vivre selon Dieu; et, au contraire, rien n'est si difficile selon le monde que la vie religieuse; rien n'est plus facile que de la passer selon Dieu; rien n'est plus que d'être dans une grande charge et dans de grands biens selon le monde; rien n'est plus

aisé

terre de malédiction que ces trois fleuves de feu embrasent plutôt qu'ils n'arrosent! Heureux ceux qui, étant sur ces fleuves, non pas plongés, non pas entraînés, mais immobilement affermis; non pas debout, mais assis dans une assiette basse et sûre, dont ils ne se relèvent jamais avant la lumière, mais, après s'y être reposés en paix, tendent la main à celui qui doit les relever, pour les faire tenir debout et fermes dans les porches de la sainte Jérusalem, où ils n'auront plus à craindre les attaques de l'orgueil; et qui pleurent cependant, non pas de voir écouler toutes les choses périssables, mais dans le souvenir de leur chère patrie, de la Jérusalem céleste, après laquelle ils soupirent sans cesse dans la longueur de leur exil!

XLIV.

Un miracle, dit-on, affermiroit ma croyance. On parle ainsi quand on ne le voit pas. Les raisons qui, étant vues de loin, semblent borner notre vue, ne la bornent plus quand on y est arrivé. On commence à voir au-delà. Rien n'arrête la volubilité de notre esprit. Il n'y a point, diton, de règle qui n'ait quelque exception, ni de vérité si générale qui n'ait quelque face par où elle manque. Il suffit qu'elle ne soit pas absolument universelle pour nous donner prétexte d'appliquer l'exception au sujet présent, et de dire : Cela n'est pas toujours vrai; donc il y a des cas où cela n'est pas. Il ne reste plus qu'à montrer que celui-ci en

est; et il faut être bien maladroit, si on n'y trouve quelque jour.

XLV.

La charité n'est pas un précepte figuratif. Dire que JÉSUS-CHRIST, qui est venu ôter les figures pour mettre la vérité, ne soit venu que pour mettre la figure de la charité, et pour en ôter la réalité qui étoit auparavant : cela est horrible.

XLVI.

Combien les lunettes nous ont-elles découvert d'êtres qui n'étoient point pour nos philosophes d'auparavant? On attaquoit hardiment l'Ecriture sur ce qu'on y trouve, en tant d'endroits, du grand nombre des étoiles. Il n'y en a que mille vingt-deux, disoit-on : nous le savons.

XLVII.

L'homme est ainsi fait, qu'à force de lui dire qu'il est un sot, il le croit; et, à force de

se le dire à soi-même, on se le fait croire. Car l'homme fait lui seul une conversation intérieure, qu'il importe de bien régler: Corrumpunt mores bonos colloquia mala (I Cor. 15, 33). Il faut se tenir en silence autant qu'on peut, et ne s'entretenir que de Dieu; et ainsi on se le persuade à soi-même.

XLVIII.

Quelle différence entre un soldat et un chartreux, quant à l'obéissance? Car ils sont également obéissants et dépendants, et dans des exercices

terre de malédiction que ces trois fleuves de fen embrasent plutôt qu'ils n'arrosent! Heureux ceux qui, étant sur ces fleuves, non pas plongés, non pas entraînés, mais immobilement affermis; non pas debout, mais assis dans une assiette basse et sûre, dont ils ne se relèvent jamais avant la lumière, mais, après s'y être reposés en paix, tendent la main à celui qui doit les relever, pour les faire tenir debout et fermes dans les porches de la sainte Jérusalem, où ils n'auront plus à craindre les attaques de l'orgueil; et qui pleurent cependant, non pas de voir écouler toutes les choses périssables, mais dans le souvenir de leur chère patrie, de la Jérusalem céleste, après laquelle ils soupirent sans cesse dans la longueur de leur exil!

XLIV.

Un miracle, dit-on, affermiroit ma croyance. On parle ainsi quand on ne le voit pas. Les raisons qui, étant vues de loin, semblent borner notre vue, ne la bornent plus quand on y est arrivé. On commence à voir au-delà. Rien n'arrête la volubilité de notre esprit. Il n'y a point, diton, de règle qui n'ait quelque exception, ni de vérité si générale qui n'ait quelque face par où elle manque. Il suffit qu'elle ne soit pas absolument universelle pour nous donner prétexte d'appliquer l'exception au sujet présent, et de dire : Cela n'est pas toujours vrai; donc il y a des cas où cela n'est pas. Il ne reste plus qu'à montrer que celui-ci en

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