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tant que l'âme, étant immortelle, ne peut trouver sa félicité parmi des choses périssables, et qui lui seront ôtées au moins à la mort, elle entre dans une sainte confusion et dans un étonnement qui lui porte un trouble bien salutaire.

Car elle considère que, quelque grand que soit le nombre de ceux qui vieillissent dans les maximes du monde, et quelque autorité que puisse avoir cette multitude d'exemples de ceux qui posent leur félicité au monde, il est constant néanmoins que, même quand les choses du monde auroient quelque plaisir solide (ce qui est reconnu pour faux par un nombre infini d'expériences si funestes et si continuelles) la perte de ces choses est inévitable au moment où la mort doit enfin nous en priver.

De sorte que, l'âme s'étant amassé des trésors de biens temporels de quelque nature qu'ils soient, soit or, soit science, soit réputation, c'est une nécessité indispensable qu'elle se trouve dénuée de tous ces objets de sa félicité; et qu'ainsi, s'ils ont eu de quoi la satisfaire, ils n'auront pas de quoi la satisfaire toujours; et que si c'est se procurer un bonheur véritable, ce n'est pas se procurer un bonheur durable, puisqu'il doit être borné avec le cours de cette vie.

Ainsi par une sainte humilité que Dieu relève au-dessus de la superbe, elle commence à s'élever au-dessus du commun des hommes. Elle condamne leur conduite; elle déteste leurs maximes; elle pleure leur aveuglement; elle se porte à la

recherche du véritable bien; elle comprend qu'il faut qu'il ait ces deux qualités; l'une, qu'il dure autant qu'elle ; et l'autre, qu'il n'y ait rien de plus aimable.

Elle voit que, dans l'amour qu'elle a eu pour le monde, elle trouvoit en lui cette seconde qualité dans son aveuglement; car elle ne reconnoissoit rien de plus aimable. Mais comme elle n'y voit pas la première, elle connoît que ce n'est pas le souverain bien. Elle le cherche donc ailleurs, et connoissant par une lumière toute pure qu'il n'est point dans les choses qui sont en elle, ni hois d'elle, ni devant elle, elle commence à le chercher au-dessus d'elle.

Cette élévation est si éminente et si transcendante, qu'elle ne s'arrête pas au ciel, il n'a pas de quoi la satisfaire, ni au-dessus du ciel, ni aux anges, ni aux êtres les plus parfaits. Elle traverse toutes le créatures, et ne peut arrêter son cœur qu'elle ne soit rendue jusqu'au trône de Dieu, dans lequel elle commence à trouver son repos, et ce bien qui est tel, qu'il n'y a rien de plus ainable, et qui ne peut lui être ôté que par son pro[re consentement.

Car encore qu'elle ne sente pas ces charmes dont Dieu récompense l'habitude dans la piété, elle comprend néanmoins que les créatures ne peuvent pas être plus aimables que le créateur : et sa raison, aidée des lumières de la grâce, lui fait connoitre qu'il n'y a rien de plus aimable que Dieu, et qu'il ne peut être ôté qu'à ceux qui le re

jettent, puisque c'est le posséder que de le désirer, et que le refuser, c'est le perdre.

Ainsi elle se réjouit d'avoir trouvé un bien qui ne peut pas lui être ravi tant qu'elle le désirera, et qui n'a rien au-dessus de soi.

Et dans ces réflexions nouvelles elle entre dans la vue des grandeurs de son Créateur, et dans des humiliations et des adorations profondes. Elle s'anéantit en sa présence; et ne pouvant former d'elle-même une idée assez basse, ni en concevoir une assez relevée de ce bien souverain, elle fait de nouveaux efforts pour se rabaisser jusqu'aux derniers abîmes du néant, en considérant Dieu dans des immensités qu'elle multiplie. Enfin, dans cette conception qui épuise ses forces, elle l'adore en silence, elle se considère comme sa vile et inutile créature, et par ses respects réitérés l'adore et le bénit, et voudroit à jamais le bénir et l'adorer.

Ensuite elle reconnoît la grâce qu'il lui a faite de manifester son infinie majesté à un si chétif vermisseau; elle entre en confusion d'avoir préféré tant de vanités à ce divin maître; et dans un esprit de componction et de pénitence, elle a recours à sa pitié pour arrêter sa colère, dont l'effet lui paroit épouvantable dans la vue de ses immensités.

Elle fait d'ardentes prières à Dieu pour obtenir de sa miséricorde que, comme il lui a plu de se découvrir à elle, il lui plaise de la conduire à lui ,et lui faire naître les moyens d'y arriver. Car c'est à Dieu qu'elle aspire : elle n'aspire encore d'y ar river que par des moyens qui viennent de Dieu

même, parce qu'elle veut qu'il soit lui-même son chemin, son objet et sa dernière fin. Ensuite de ces prières, elle conçoit qu'elle doit agir conformément à ses nouvelles lumières.

Elle commence à connoître Dieu, et désire d'y arriver; mais comme elle ignore les moyens d'y parvenir, si son désir est sincère, véritable, elle fait la même chose qu'une personne qui, désirant arriver à quelque lieu, ayant perdu le chemin et connoissant son égarement, auroit recours à ceux qui sauroient parfaitement ce chemin : elle consulte de même ceux qui peuvent l'instruire de la voie qui mène à ce Dieu qu'elle a si long-temps abandonné. Mais en demandant à la connoître, elle se résout de conformer à la vérité connue le reste de sa vie; et comme sa foiblesse naturelle avec l'habitude qu'elle a au péché où elle a vécu l'ont réduite dans l'impuissance d'arriver à la félicité qu'elle désire, elle implore de sa miséricorde les moyens d'arriver à lui, de s'attacher à lui, d'y adhérer éternellement. Tout occupée de cette beauté si ancienne et si nouvelle pour elle, elle sent que tous ses mouvements doivent se porter vers cet objet; elle comprend qu'elle ne doit plus penser ici-bas qu'à adorer Dieu comme créature, lui rendre grâces comme redevable, lui satisfaire comme coupable, le prier comme indigente, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus qu'à le voir, l'aimer, le louer dans l'éternité.

La pièce suivante se trouva écrite de la main de Pascal, sur un petit parchemin plié, et sur un papier écrit de la même main. Le parchemin et le papier, dont l'un étoit une copie fidèle de l'autre, étoient cousus dans la veste de Pascal, qui, depuis huit ans, pienoit la peine de les coudre et découdre lorsqu'il changeoit d'habit.

L'original de cet écrit est dans la bibliothèque impériale. Voici de quelle manière il est figuré.

Il y a loin de là au traité de la Roulette, et rien ne nous paroît plus propre à expliquer comment toutes ces pensées trouvées dans les papiers de Pascal ont pu sortir d'une même tête, L'auteur de la Roulette en a fait quelques-unes, le reste est l'ouvrage de l'auteur de l'Amulette. C.

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