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Études Historiques

PAR

M. PAUL MASSON

AVANT-PROPOS

Les trois études qui composent ce volume sont les premières d'une série consacrée à l'histoire de Marseille depuis 1789 et surtout à son évolution économique, si remarquable depuis cent vingt ans. Elles fourniront plus tard les éléments d'une histoire générale de la métropole maritime et coloniale de la France au XIXe siècle, projetée depuis longtemps. L'analyse doit précéder la synthèse. Elle donnera une base solide à celle-ci, l'éclairera et permettra de brosser largement le tableau sans l'encombrer de détails. Le rôle de Marseille dans le développement national a été assez grand pour que ces études d'histoire locale soient en même temps une contribution utile à l'histoire générale. C'est par des travaux d'approche de ce genre, multipliés pour les grands ports, pour les grandes places de commerce, pour les grands centres industriels, pour les régions agricoles, qu'il est nécessaire d'aborder patiemment l'histoire si complexe, si intéressante et si neuve encore de la France économique au XIXe siècle.

Le rapprochement de nos trois études sous une même couverture n'est pas dù au hasard. C'est en faisant des recherches sur le commerce que nous avons été frappé de l'influence de ses fluctuations sur les rapports de Marseille et de Napoléon et, d'autre part, il est impossible de comprendre l'esprit public à Marseille de 1800 à 1814 sans bien connaître les vicissitudes commerciales subies par la grande cité. Les trois sujets sont tellement liés qu'il a fallu éviter

l'écueil des répétitions et qu'il a été nécessaire de faire, de l'un à l'autre travail, de fréquents renvois facilités par leur voisinage.

Malgré qu'on ait multiplié les publications sur la Révolution et l'Empire, malgré que les historiens locaux aient écrit d'assez nombreux travaux relatifs à Marseille ou à la Provence pendant cette période, on peut dire que les deux premiers sujets sont à peu près neufs.

Cela est vrai surtout pour l'histoire commerciale. Les travaux publiés concernent presque exclusivement l'histoire politique ou administrative: tel l'ouvrage déjà ancien de C. Lourde (1), tels ceux plus récents de Georges Guibal, de Jules Viguier (2), qui s'arrêtent d'ailleurs aux premiers temps de la Révolution, telles aussi les études de Paul Gaffarel dont cependant les articles sur le Blocus de Marseille et des environs par les Anglais (1800-1814) (3), touchent à notre sujet. Le livre intéressant de Georges Saint-Yves et Joseph Fournier (4), issu d'un concours de l'Académie des sciences. morales et couronné par elle, n'est qu'une histoire de l'administration départementale sous le Consulat et l'Empire.

Un seul ouvrage pouvait être consulté jusqu'à présent par ceux qui voulaient être documentés sur la question, c'est celui de Jules Julliany (5): Essai sur le commerce de Marseille. Ecrit à l'occasion du concours quinquennal institué vers 1830 par le baron Félix de Beaujour, ancien consul du Levant, pour récompenser le meilleur ouvrage sur le commerce de Marseille, il fut justement couronné en 1833 et son

(1) Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence depuis 1789 jusqu'au Consulat. Marseille, Sénès. 1838-1839, 3 vol., in-8".

(2) G. Guibal. Mirabeau et la Provence, 2e éd. Paris, Fontemoing, 1901, 2 vol. in 8°. J. Viguier. Les débuts de la Révolution en Provence, Paris, Lenoir, 1895, in-8°.

(3) Annales de la Société d'études provençales, 1904 et 1905.

(4) L'évolution du système administratif de Napoléon Ier. Le département des Bouches-du-Rhône de 1800 à 1810. Paris, Champion; Marseille, Ruat, 1899.

in-8°.

(5) Né en 1802, mort en 1862 ; il fut adjoint au maire de Marseille et membre de la Chambre de Commerce. Voir: Les Bouches-du-Rhône, encyclopédie départementale. Tome x1, Biographies (1913). Marseille, Archives départementales.

succès fut assez grand pour que l'auteur crùt devoir publier en 1842 une seconde édition, très augmentée, en trois volumes. Julliany sembla si bien avoir épuisé le sujet qu'aucun de ceux qui ont recherché depuis le prix Beaujour, sans avoir son talent, n'a eu l'idée de faire remonter ses recherches jusqu'au début du XIXe siècle.

Cependant, quelque distingué et lettré qu'il fût, le négociant Julliany, improvisé historien, était loin d'avoir fait les recherches nécessaires pour traiter d'une façon suffisante, même superficiellement, la partie historique de son vaste sujet. Il n'a même pas toujours su tirer parti des documents qu'il avait entre les mains. Précisément la période de la Révolution et de l'Empire n'est pas celle à laquelle il a consacré le plus de soin et de développements et c'est vraiment fàcheux, car il a eu entre les mains de nombreux documents disparus depuis ou devenus inaccessibles et, surtout, il pouvait être merveilleusement renseigné par les nombreux survivants de cette époque troublée, à peine ses aînés d'une génération.

L'un d'eux, Laurent Lautard (1763-1848), ancien négociant et fils de négociant, allait publier ses souvenirs peu de temps après l'apparition de la deuxième édition de l'ouvrage de Julliany, sous ce titre : Esquisses historiques. Marseille depuis 1789 jusqu'en 1815 (1). A côté des détails sur la vie politique, qui tiennent naturellement la plus grande place, les renseignements sur la vie économique y abondent et ce serait une source très précieuse si la passion royaliste de l'auteur, compromis dans le mouvement fédéraliste de 1793 et sauvé de la guillotine par le 9 thermidor, l'exagération naturelle à son esprit, le désir de donner à ces souvenirs un ton plaisant, ne devaient mettre en défiance contre lui. Je l'ai cependant utilisé souvent, avec les précautions nécessaires, car il avait suivi de près le mouvement des affaires auquel il était mêlé,

(1) Marseille, 1844, 2 in-8". t. x1, Biographies.

Sur Lautard, voir Les Bouches-du-Rhône,

il savait observer et, s'il était passionné et injuste pour son époque, c'était sans le vouloir.

La grosse difficulté pour ce travail a été de trouver les statistiques qui sont la base nécessaire d'une étude économique et surtout d'une étude commerciale. Si on ne les a pas comme guides, on risque d'être vite égaré par des documents et des témoignages souvent tendancieux. Rien de plus décevant que les mémoires rédigés par des négociants, des industriels, par le Conseil municipal, par la Chambre de Commerce, dans un but intéressé. Il y a toujours là un coefficient d'exagération qu'il est impossible de dégager sans le contrôle de statistiques sûres.

Or, les archives de la Chambre de Commerce, si riches en statistiques pour la fin de l'ancien régime, en sont complètement dépourvues pour cette période, du moins à partir de 1792. D'abord, la Chambre elle-même disparaît en 1792, pour ne reparaître qu'en 1803. De 1803 à 1814, la nouvelle Chambre n'a pas eu autant de soin que sa devancière pour garder dans ses archives les statistiques commerciales qui lui étaient remises ou qu'elle dressait elle-même. Chose extraordinaire, on n'y trouve pas le moindre chiffre relatif à cette période. Cependant la Chambre était tenue d'envoyer tous les quinze jours au Ministre du commerce un état du mouvement du port, tous les mois un état commercial de la place. Ses registres ont conservé la mention de ces envois, mais il ne reste aucun vestige de ces envois eux-mêmes.

De 1792 à 1801, le Conseil municipal hérita les attributions de la Chambre de Commerce qui n'était auparavant qu'une émanation de ce corps. Sans doute les archives communales pourraient livrer pour cette période des chiffres intéressants, mais, faute de classement et d'inventaire, les recherches y sont très aléatoires. Les découvertes heureuses y procurent les émotions fortes, mais trop rares, du chasseur qui fait lever un gibier inespéré. Cependant, grâce au travail préli

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