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CHAPITRE PREMIER.

Des différentes fortes de Vers qui font en ufage parmi nous.

PREMIERE

C

REGLE.

EST feulement par le nombre des fyllabes, & non par la qualité des voyelles longues ou breves qu'on a déterminé les différentes efpéces des Vers François.

Les Anciens en firent d'abord pour les chanter plûtôt que pour les lire : & dans la fuite lorfqu'ils avoient à les lire fimplement, ils retinrent toûjours un certain air récitatif, qui étoit comme une maniere de chant, où ils exprimoient ce qu'ils-nom

moient la quantité des fyllabes, beaucoup plus fenfiblement qu'en lifant de la prose: comme nous le connoiffons, entre autres témoignages, par un avis d'Aufonne à fon Neveu, touchant la lecture d'Homere & de Menandre. Ainfi ils avoient raison d'y observer dans les pieds, comme ils faifoient, des temps & des mefures réglées : puisque chaque maniere de Vers faifoit comme une piéce d'une espéce particuliere pour le chant, laquelle avoit fon étendue & les cadences affectées, avec des différences de piéce à piéce, femblables à peu près à celles qui diftinguent la mefure de nos Corantes, de nos Gavotes, de nos Menuets, & des autres espéces de danfe. Ceux qui chantent ou qui fçavent composer des Airs, fentent affez qu'il faudroit que nos Poëtes euffent le même égard que les Auciens, dans les couplets différens d'une même chanfon, qui ne peuvent être dits proprement fur une même Note que par un grand hazard. C'eft pourquoi auffi on ne fait plus maintenant de Chanfons à plufieurs couplets pour être chantées. C'est encore pour cette raison , pour le dire en paffant, qu'on qu'on ne doit jamais le charger de faire des paroles pour un Air, à moins qu'on ne le fçache chanter jufte: & l'on

réuffit toûjours mieux quand on donne les Vers fur lefquels on fair compofer; puifque, pour parler avec les Muficiens, la Note eft pour la Lettre, & non la Lettre pour la Note. Je remarquerai ici en paffànt trois fautes des Compofiteurs par rapport aux Vers François. Ce font premierement, Notes pointées fur des e muets, ou fur des fyllabes breves dans la prononciation: fecondement, Repetitions ou Reprises qui fufpendent le fens, ou qui eftropient le Vers: troifiémement, Cadences qui n'appuient ni fur la Rime, ni fur la Cefure. Un feul exemple tiré de l'Opéra d'Amadis fera comprendra ma penfée fur ce dernier article.

Tel s'empreffe d'appeller

La mort, quand elle eft abfente,
Qui commence de trembler

Alors qu'elle fe présente.

De la maniere dont les deux premiers Vers font chantez , on attend dans les deux fuivans un mot qui rime avec mort: outre que l'oreille eft d'abord offenfée par un Vers de neuf fyllabes inconnu dans notre Poëfie; car les cadences déterminent à juger que ces Vers font rangez en cette forte:

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Tel s'empreffe d'appeller la mort,
Quand elle eft abfente,

Qui commence de trembler
Alors qu'elle fe présente.

II. REG LE.

Le nombre des fyllabes par lequel nous déterminons les espéces différentes de nos Vers fe prend à l'égard des Vers Mascu lins, [nous appellons ainfi ceux qui font termincz par une Rime Mafculine, ] car les Feminins de même espéce ont toûjours une fyllabe de plus, mais une fyllabe qui portant fur une muet, devient en quelque forte muette, & eft prefque comptée pour rien. Ainfi les quatre Vers fuivans font de l'efpéce de ceux de douze fyllabes, quoique les deux derniers en ayent

treize.

Un Chariot tiré par fix chevaux fougueux
Rouloit fur un chemin aride & fabloneux,"
Une Mouche étoit là préfomptueuse & fiere,
Qui dit en bourdonnant, Que je fais de pouffiere!

Benferade, Fables.

III. REG LE.

Le nombre des fyllabes fe prend auffi

par rapport à la prononciation, & non à l'Orthographe ; & de cette forte le Vers fuivant n'a que douze fyllabes pour l'oreille, quoiqu'il en offre aux yeux dix

neuf.

Cache une ame agitée, aime, ofe, efpere & craint.

On ne compte donc point les fyllabes dont la voyelle fouffre élifion en lifant, foit qu'on la retienne dans l'écriture, foit qu'on en marque le retranchement avec le figne de l'Apoftrophe, comme l'on fait dans tous les Monofyllabes terminez par le muet, je, ne, te, le, ce, que, &c. & dans les Articles feminins la & elle, lorfque le mot fuivant commence par quelque voyelle que ce foit ou bien > par une h muette. Ainfi on écrit, j'ose, je n'ofe, l'espoir : l'honneur, l'envie, & non pas je ofe, je ne ofe, le espoir, Sc. L'i s'élide auffi, & prend l'Apoftrophe dans la conjonction fi, placée devant il & ils feulement, s'il, s'ils. Par-tout ailleurs notre écriture retient l'e muet, bien que la prononciation le retranche à la rencontre d'un mot qui commence par une voyelle ou par une h muette. Je l'appelle muette, lorfqu'elle ne fe fait point fentir en parlant, & qu'elle n'eft mife dans l'écriture que pour marquer l'é

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