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vélé aux mages par les dieux, ou tout au moins par les génies, dogme d'après lequel le soleil se meut dans une région située au-dessus de celle des étoiles fixes. Voilà comment les néoplatoniciens et leurs disciples traitaient la science.

Pendant le moyen âge, l'esprit humain, ayant conscience de sa faiblesse présente, se rattacha de toutes parts au principe de l'autorité, principe qui, en effet, l'empêcha de se perdre entièrement dans l'ignorance, l'erreur et le désordre. Dans le domaine de l'intelligence, au-dessous de l'autorité suprême de la religion et de l'Eglise, il y eut l'autorité des anciens, surtout d'Aristote, et l'autorité des docteurs de la scolastique. La théologie fut la science dominatrice elle part et doit partir du principe d'autorité; les autres sciences se soumirent à ce même principe, non sans quelques révoltes elles perdirent ainsi leur méthode et leurs principaux moyens de progrès, mais elles ne périrent pas, et c'était beaucoup alors. L'esprit humain épuisé se fortifia par la gymnastique de la logique, par les luttes de la scolastique, par une étude patiente de quelques textes anciens. Cette longue compression prépara son essor, auquel il avait préludé par un travail latent, par une accumulation lente de quelques découvertes, dues surtout aux Arabes musulmans, qui, non contents d'étudier et de commenter les Grecs, les imitèrent quelquefois avec succès dans les procédés mathématiques et dans les observations astronomiques, et qui transmirent à l'Occident quelques connaissances pratiques dé l'Inde et de la Chine.

Le moyen âge avait connu imparfaitement une faible partie des trésors de l'antiquité. Une connaissance plus complète du passé prépara l'émancipation de l'esprit humain. Pendant cette époque de transition l'on vit tous les systèmes antiques se reproduire, se combattre, se détruire dans ce qu'ils avaient de plus défectueux, et faire place peu à peu aux idées nouvelles qui jaillirent de cette lutte, aux observations et aux découvertes physiques, astronomiques, géographiques, qui peu à peu vinrent contredire les anciennes hypothèses. Au milieu de ces efforts, d'abord incertains, l'esprit scientifique trouva enfin sa voie. La méthode philosophique et la méthode inductive des sciences naturelles furent esquissées dans leurs principaux traits : l'une par Descartes, qui joignit avec succès l'exemple au précepte; et l'autre par Bacon, qui généralisa et étendit, mais en théorie seulement, les procédés déjà suivis par Galilée, et bientôt après perfectionnés par Newton. En même temps, la méthode analytique, aidée des signes algébriques, laissa bien loin en arrière les résultats obtenus jusque-là par l'emploi presque exclusif de la méthode synthétique dans les sciences mathématiques. Dès lors, ces sciences ont pu prêter aux sciences naturelles un bien plus utile concours. Ces diverses méthodes ont été confirmées, complétées et rectifiées par les progrès ultérieurs de la science jusqu'à nos jours. Elles sont acceptées et pratiquées par tous les peuples de l'Europe et par leurs colonies. Désormais, grâce à l'imprimerie et à la facilité des communications, la science n'a qu'un seul et même développement, auquel chaque nation contribue pour sa part. A la faveur de ce concours, du perfectionnement des méthodes et des instruments, et de la spécialité des recherches,

le champ de la science, en même temps qu'il s'est immensément agrandi par la création de sciences nouvelles, a été fouillé à des profondeurs jusqu'alors inconnues.

De plus en plus, les sciences doivent toutes concourir vers un même but, en gardant chacune leur méthode propre et leur indépendance, en même temps que leurs rapports naturels les unes avec les autres. C'est la science des facultés de l'homme, de leur portée, de leurs limites et de leur but, c'est la philosophie vraie, qui peut produire et maintenir entre les sciences cette unité et cette harmonie; mais il faut que la philosophie soit à la hauteur de cette mission et qu'elle ne s'y refuse pas; il faut aussi que son concours soit accepté par les autres sciences. Ces conditions ont été remplies plus ou moins à diverses époques depuis la renaissance, mais jamais d'une manière pleinement satisfaisante. Descartes avait eu le tort de croire que les lois physiques pouvaient et devaient être trouvées à priori. Bacon formula d'une manière vraie dans son ensemble, quoique défectueuse en beaucoup de points, la méthode des sciences naturelles, mais sans en marquer convenablement les rapports avec la philosophie, sans comprendre la valeur de la recherche des causes efficientes, et en écartant trop la considération des causes finales. Leibnitz établit la contingence des lois physiques; mais, au lieu d'en conclure la nécessité de la méthode expérimentale, il en conclut qu'il fallait partir des causes finales pour trouver les lois physiques: il voulut faire des causes finales l'instrument des sciences naturelles, tandis qu'elles en sont la conclusion. L'école de Locke appliqua à la philosophie la méthode de Bacon mais d'une manière étroite et exclusive: en méconnaissant le rôle légitime des notions à priori et de la déduction, cette école tomba dans le matérialisme. Ce fut elle qui s'empara de la direction des sciences naturelles; elle les affermit dans la méthode expérimentale et elle leur laissa le concours des mathématiques; mais elle les priva des vues élevées du spiritualisme, seul capable de perfectionner leur méthode générale, d'interpréter leurs résultats, de diriger leurs recherches de la manière la plus utile et la plus sûre, et de les faire conspirer ensemble vers un même but conforme à la destinée générale de l'homme. Elles se développèrent d'une manière trop isolée; elles se perdirent dans des détails infinis, avec trop peu de vues d'ensemble ou bien avec des vues étroites ou fausses; elles prirent quelquefois des hypothèses mal faites, par exemple les hypothèses phrenologiques, pour des résultats légitimes de l'expérience. Dans leurs conclusions, elles furent trop souvent superficielles, ou même erronées et agressives contre les doctrines morales, philosophiques et religieuses.

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La nouvelle philosophie allemande voulut s'opposer à cette action dissolvante du matérialisme; mais la philosophie de Kant enlevait toutes les sciences, excepté à la psychologie et à la morale, certitude objective. Fichte réduisait tout au moi, et niait ainsi l'obje même de toute science autre que celle du moi. L'idéalisme transcendantal des successeurs de Kant et de Fichte a voulu rabaisser la méthode expérimentale, dont il a nié les plus beaux résultats; il voulu la remplacer dans toutes les sciences par sa méthode illusoir

Je construction à priori; il a nié la liberté humaine et la Providence avine, et finalement, poussé de nos jours à ses dernières conséquences, il a abouti aux mêmes conclusions que le matérialisme pur.

Pendant ce temps, surtout en Angleterre et en France, le spiritalisme renaissait, timide d'abord, et soucieux, avant tout, de se defendre. La philosophie écossaise a gardé trop fortement l'empreinte de cette timidité; l'école française moderne s'en est un peu affranchie; mais elle a laissé la philosophie trop isolée des autres sciences : cest pourquoi l'influence du spiritualisme sur les sciences naturelles et sociales a été trop médiate, trop restreinte; mais elle a été pourtant déjà bien salutaire. Il y a lieu d'espérer qu'elle le sera de plus en pios à l'avenir.

Le besoin de conciliation et d'harmonie se fait de plus en plus sentir entre tous les ordres divers de connaissances humaines. On sent mieux que jamais, dans chaque genre d'étude, le besoin de spéciaTé pour approfondir, et le besoin de notions étendues et variées pour que les progrès de toutes les sciences servent à chacune d'elles. La popularisation de toutes les sciences par des résumés exacts, clairs, eopeis et accessibles à tous, vient en aide à ce besoin. Les sciences justifient sans cesse aux yeux de tous leur utilité par des applications pratiques, au-dessus desquelles la théorie pure se maintient dans ses droits: car on comprend que, d'une part, elle fortifie la pensée, instrument de toutes les connaissances, et que, d'autre part, c'est par elle qu'on arrive aux connaissances applicables, et souvent aux applications les plus imprévues.

SCIOPPIUS. Voyez SCHOPPE.

SCOLASTIQUE (PHILOSOPHIE). C'est la philosophie qu'on professait dans les écoles du moyen âge. On est aujourd'hui considéré comme philosophe dès qu'on pense avec quelque liberté, et l'on a vu décerDer ce titre à des gens qui, n'ayant pas d'études, ne soupçonnaient pas que la philosophie pût être la matière d'un enseignement. Au moyen âge il ne sulfisait pas même, pour être compté parmi les philosophes, d'avoir à grand labeur étudié diverses doctrines, et pris entre eles un parti; il fallait encore, après avoir subi des épreuves, avoir acquis le droit d'enseigner. Dans ce temps, la philosophie scolastique flail, à proprement parler, toute la philosophie; elle ne se distinguait d'aucune autre. La distinction devint nécessaire, aussitôt qu'on n'eut plus besoin de monter en chaire pour adresser la parole au public. L'imprimerie venait d'être inventée, et l'un des premiers résultats de cette invention était de compromettre la situation des écoles : désormais la parole allait franchir toutes les distances, et des docteurs sans diplome allaient avoir le monde entier pour auditoire, tandis que les régents universitaires verraient diminuer chaque jour le nombre de leurs jeunes clients. Les anciennes méthodes ne pouvaient guère s'accommoder à cette nouvelle forme de l'enseignement : aussi les nouveaux maîtres ne tardèrent-ils pas à les abandonner pour en chercher d'autres, et ils en trouvèrent facilement de plus simples: de sorte que la philosophie scolastique devint bientôt tout à fait étrangère, par

ses procédés, à la philosophie qu'on enseignait au moyen des livres. Dès le xvIe siècle, il y avait entre l'une et l'autre une telle différence, que la méthode scolastique, décriée par tous les beaux esprits, n'avait plus d'autre objet que de préparer la jeunesse à de plus hautes et plus nobles études. Jalouse de rétablir ses affaires et de reconstituer son empire, elle fit alors promulguer de solennels décrets contre toutes les nouveautés; mais ces menaces de l'impuissance n'arrêtèrent pas les novateurs, et le xviie siècle les vit envahir peu à peu toutes les écoles séculières. Telles furent les grandeurs, telle fut la décadence de la philosophie scolastique.

Cela fait assez connaître quel est le véritable caractère de cette philosophie. On s'est occupé souvent de la définir, et la plupart des définitions qu'on a proposées sont bien loin d'être satisfaisantes.

Beaucoup de gens croient encore que ce nom de scolastique est celui d'un système; que les docteurs scolastiques professent des principes communs, et argumentent concurremment sur les mêmes thèses pour aboutir aux mêmes conséquences. Entre ces docteurs il en est un saint Thomas, qui surpasse tous les autres par l'éclat de son génie : aucune renommée ne fut égale à la sienne; et, quand finirent les orageux débats auxquels il prit une part si considérable, la majorité se déclara pour ses conclusions. Cela est vrai; mais saint Thomas n'eut-il pas de nombreux contradicteurs? Descartes est assurément le plus grand nom de la philosophie moderne; mais combien de systèmes ne connaît-on pas qui diffèrent de celui de Descartes, et qui doivent leur succès à ces différences? Il en est de même de saint Thomas : c'est le plus illustre des maîtres scolastiques, et, même de son temps, il n'exerça qu'une influence disputée. Tous les systèmes sont représentés dans la philosophie scolastique : elle n'est donc pas un système.

On l'a définie une certaine manière de disserter sur toute question dans un intérêt étranger à la véritable science, et l'on a dit que, sous un titre emprunté, les philosophes scolastiques n'avaient été que des théologiens raffinés, cherchant des armes pour la foi dans l'arsenal de la raison, et brisant en secret celles qui ne pouvaient servir à cel usage. On a même été jusqu'à prétendre que le but final de leurs constants efforts avait été de fabriquer une fausse philosophie, pour la mettre au service d'une certaine théologie. C'est la définition qu'Heumann donne de la scolastique: Philosophiam in servitutem theologia papeæ redactam; et Chrétien Kortholt ne la traite pas mieux (Leibnitz, Recueil de diverses pièces, 1734). C'est une accusation mal fondée. Il est certain que tous ces docteurs du moyen âge avaient des préoccupations théologiques; le reconnaître, c'est simplement avouer qu'ils étaient de leur temps. Quand toutes les sciences, quand tous les arts voulaient être les auxiliaires du dogme ou du culte religieux, la philosophie ne pouvait seule prétendre à l'indépendance. Il faut donc s'empresser de déclarer que la philosophie du moyen âge n'a pas les allures dégagées de la philosophie moderne. Cependant son obséquieuse soumission va-t-elle, comme on l'a dit, jusqu'à la servilité? il s'en faut bien. Elle respecte les pouvoirs établis, elle s'incline devant les dogmes traditionnels, et ces témoignages de déférence sont d'une parfaite sincérité. Mais, d'où la philosophie nous est-elle venue? Elle prend son

origine, suivant Aristote, dans le désir naturel de connaître: or, quelque précaution que l'on prenne dans cette recherche des choses ignorées, quelque surveillance qu'on exerce sur soi-même, on s'écarte toujours des voies frayées; on se complaît toujours dans des habitudes d'indépendance et des idées qu'on ne doit qu'à ses propres efforts : c'est ce qui arrive à la philosophie scolastique. La réformation du IV siècle eut pour premiers apôtres Guillaume d'Ockam et ses disciples; quelques-uns même des plus fervents thomistes ont élé portés par les historiens protestants à leur Catalogue des témoins de la vérité.

La définition qui convient le mieux à la philosophie scolastique est donc la plus simple: c'est la philosophie qu'on enseignait dans les écoles du moyen âge. Disons maintenant, en peu de mots, suivant quelle méthode cet enseignement était distribué.

C'était la méthode herméneutique, ou interprétative. Aux écoliers de la classe de grammaire, on lisait Donat et Priscien, et l'on accompagnait cette lecture d'un commentaire : commentaire littéral on digressif, suivant l'étendue des connaissances acquises par le maître ou par ses élèves. Pour la rhétorique, on interprétait quelques traités de Cicéron ou de Boëce; Ptolémée servait aux leçons d'astronomie, et la philosophie proprement dite était enseignée d'après les livres d'Aristote. Cette méthode n'a pas toujours été fidèlement observée : dans les écoles du XVIe siècle, on ne faisait plus guère usage des textes originaux; les professeurs avaient alors quelques manuels de philosophie péripatéticienne, qu'ils mettaient aux mains de leurs élèves et qu'ils paraphrasaient devant eux. Mais on ne connaissait pas cette pratique au XIIIe siècle enseigner la grammaire, l'arithmétique, la philosophie se disait alors lire en philosophie legere in philosophia, lire en arithmétique et en grammaire; on faisait même usage de cette locution plus singulière encore, lire en mnsique, legere in musica. Les détracteurs de la scolastique ont beaucoup déclamé contre cette méthode. Elle offrait de grands avantages; mais nous ne voulons pas dire qu'elle fût sans défauts. Cependant on l'a condamnée sur des griefs imaginaires. On a dit qu'elle était ingrate, répulsive, qu'elle inspirait le dégoût de la science. Cela n'est pas suffisamment prouvé. Quel professeur de philosophie dogmatique rassembla jamais autour de sa chaire plus d'anditeurs, plus de disciples, qu'Abailard, Albert le Grand, saint Thomas, Duns-Scot, Guillaume d'Ockam? Des textes irrécusables nous apprennent qu'on accourait des terres les plus lointaines pour venir entendre ces illustres lecteurs, et qu'il n'y avait pas de salles assez vastes pour contenir leur auditoire. En quel temps, d'ailleurs, la philosophie paraît-elle avoir eu plus de charmes pour la jeunesse qu'elle n'en eut au moyen âge? Sous quelle méthode témoigna-t-on plus de zèle, plus de passion pour l'étude des grands problèmes, que sous la méthode scolastique? On n'a qu'à venir dans nos bibliothèques inventorier les monuments de la controverse qui commence avec le x siècle et finit avec le xvi: que de gros et que de petits livres! Cet amas prodigieux d'écrits de toutes sortes et sur toutes questions, prouve qu'en aucun temps l'intelligence n'eut un égal besoin de raisonner, et n'éprouva moins de gêne à se satisfaire.

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