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raison d'État que l'on a osé invoquer. La fierté de la Grande-Bretagne ne saurait s'accommoder de ces capitulations. L'Angleterre, a dit M. Gladstone au Parlement, n'a pas le projet d'occuper indéfiniment l'Égypte. « S'il est une chose que nous ne ferons pas, a-t-il ajouté, c'est bien celle-là; nous nous mettrions en désaccord absolu avec les principes professés par le gouvernement de Sa Majesté, avec les promesses qu'il a faites à l'Europe, et, ajouterai-je, avec la manière de voir de l'Europe elle-même (1). » Prenons acte de ces paroles; elles ont retenti sous les voûtes de Westminster, et le monde les a recueillies; elles engagent le prestige et la loyauté du Royaume-Uni; l'illustre old man ne saurait les oublier (2).

15 novembre 1891.

(1) Voir les dépêches du chargé d'affaires de France à Londres, le comte d'Aunay, des 31 juillet et 11 août 1882.

(2) M. Gladstone est rentré au pouvoir depuis que ces lignes ont été écrites; il l'a gardé toute une législature, et pendant cette longue période les whigs ont continué la politique dilatoire des torys. Quelle conclusion faut-il tirer de cet oubli, dans l'un et l'autre parti, des engagements pris et réitérés ?

Le lecteur appréciera.

MÉHÉMET-ALI

DURANT SES DERNIÈRES ANNÉES

Au début de ma carrière, ma bonne fortune m'a mis en présence d'un homme qui, à ce moment, remplissait le monde de son nom. Sorti d'une troupe de mercenaires et devenu le maître de l'Égypte, il avait connu toutes les angoisses et tous les enivrements de la puissance; il avait battu et dispersé les armées de son souverain, lui avait ravi plusieurs provinces ; il l'avait menacé dans sa capitale; il avait provoqué et réuni contre lui tous les grands gouvernements de l'Europe, hormis la France. J'arrivai sur les bords du Nil pour assister à la lutte de ce conquérant, issu du néant, contre les forces d'une coalition à laquelle s'étaient associées toutes les puissances qui avaient terrassé Napoléon. L'événement était de ceux qui frappent et remuent une imagination juvénile, et le principal auteur du drame qui se jouait alors apparaissait comme un personnage des temps héroïques, fait pour intéresser et séduire un esprit inexpérimenté.

En débarquant à Alexandrie, mon premier poste, en septembre 1840, j'eus une impression réconfortante pour mon patriotisme. Partageant toutes les illusions nées des premiers succès de Méhémet-Ali, toutes les sympathies qu'avaient éveillées en France ses efforts pour rendre à la civilisation la terre des Pharaons, j'étais anxieux d'apprendre que ses armées soutenaient vaillamment les hostilités commencées en Syrie. En pénétrant dans l'immense rade, j'avais passé à travers des forces maritimes considérables et imposantes. La flotte du sultan tout entière, que la défection du capitan-pacha avait livrée au vice-roi, s'y trouvait réunie à la flotte égyptienne. On n'avait pas vu, on ne verra peut-être jamais, un plus grand nombre de navires de guerre de tout rang disposés en un ordre parfait. On célébrait, ce même jour, une fête musulmane. Tous les bâtiments étaient couverts de leurs pavois et saluaient, du feu de leurs batteries, le soleil couchant par une journée splendide. C'était un spectacle d'une incomparable magnificence. Il me parut qu'un armement aussi formidable serait, pour la puissance de Méhémet-Ali, un rempart infranchissable, et, dans mon ignorance des hommes et des choses, je me persuadais que le pacha sortirait victorieux de la lutte dans laquelle il était engagé. Je m'imaginais en outre que la Providence réservait à mon pays, dans cette occurrence, un rôle digne de lui, et que, trouvant une occasion favorable d'intervenir, il contribuerait au rétablissement de la paix en conciliant tous les intérêts.

Mes espérances, comme mes prévisions, furent aussi vaines, aussi éphémères que la résistance opposée par les armées égyptiennes à l'agression des forces alliées. Peu de jours après mon arrivée, on apprenait en effet que les troupes d'Ibrahim-Pacha étaient en pleine déroute, harcelées par les populations insurgées autant que par l'ennemi, et qu'après avoir essuyé des pertes considérables, elles s'étaient réfugiées sous le canon de la place de Saint-Jean-d'Acre. Cette défaite, plus rapide qu'inattendue, me fut un sujet de pénibles, mais d'utiles réflexions; les circonstances, bien mieux qu'une laborieuse préparation, aidèrent, dès ce moment, à mon éducation professionnelle. Loin d'assister au triomphe de notre politique, aux succès de Méhémet-Ali, je vis la victoire couronner les efforts des puissances qui s'étaient entendues en nous excluant de leur concert, et le pacha tomber du haut de son prestige à la merci de ses adversaires. A la vérité, les alliés s'étaient donné pour tâche de rendre au sultan les provinces qu'il avait perdues, et au besoin de déposséder Méhémet-Ali même de l'Égypte. Grâce à l'attitude prise par la France et gardée pendant le conflit, grâce à la sagace promptitude avec laquelle le pacha sut lui-même saisir une occasion propice, les puissances jugèrent prudent de ne pas poursuivre leurs avantages jusqu'au dernier terme de. leur programme. Méhémet-Ali conserva l'Égypte, et, d'un concert unanime, d'accord cette fois avec la France, elles déterminèrent le sultan à lui en concéder la possession héréditaire. Tel est le titre international

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