blée. Pendant les quatre premières années de son ministère, il a administré la fortune de l'État sans y étre autorisé par une loi de finances; il ne parvint à faire voter aucun de ses budgets, et il ne pourvut pas moins à sa guise aux recettes et aux dépenses du Trésor. « Vous violez la constitution, lui criait la majorité de la Chambre. Nullement, répliquait-il ; il faut bien que les affaires du pays se fassent, et quand vous repoussez le budget d'un exercice prochain, je suis bien contraint de faire application de celui de l'exercice précédent. Il croyait d'ailleurs rentrer dans la constitution en faisant rendre au Roi un décret de dissolution. Le pacte constitutionnel est ainsi resté en souffrance jusqu'à la bataille de Sadowa; M. de Bismarck y a vaincu à la fois les Autrichiens et le Parlement prussien, qui, désarmé par la victoire, lui accorda à son retour un bill d'indemnité. Bien que pris personnellement à partie et violemment attaqué, M. de Bismarck s'est abstenu, même durant cette première période de son administration, si laborieuse qu'elle fût pour lui, de porter la main sur la liberté de la presse. Mais devenu tout-puissant, il a trouvé des juges qui, à côté du crime de lèse-majesté, ont admis le délit de lèse-dignité ministérielle, et bien des écrivains ont connu, à sa demande, la prison ou la détention dans une forteresse. Pour ne pas nous exposer au reproche d'une omission volontaire, nous rappellerons que si le comte de Cavour s'est toujours incliné devant la majesté de la puissance législative, il a également respecté les immunités de la presse, bien qu'elles fussent en quelque sorte illimitées ; qu'il a pourtant pris l'initiative d'une disposition nouvelle, destinée à prévoir et à réprimer tout encouragement aux attentats dirigés contre la vie des souverains ou chefs d'État étrangers. La législation était muette à ce sujet, et les organes du parti d'action abusaient de son silence pour glorifier les plus criminelles tentatives. Un groupe de conspirateurs italiens, conduit par Orsini, ayant mis en grave péril les jours de l'empereur Napoléon, il jugea opportun de combler cette lacune; ce fut un acte de probité internationale et de prévoyance politique. Le statut octroyé par le roi Charles-Albert, calqué sur les institutions françaises de 1830, subordonnait à un cens déterminé le droit électoral. Le comte de Cavour, qui était un juste milieu, n'a pas plus songé à élargir cette disposition qu'à remanier les autres clauses du pacte constitutionnel pour leur donner un caractère ou une portée plus démocratique. M. de Bismarck s'est montré plus libéral; il a introduit dans la constitution fédérale de l'Allemagne du Nord le suffrage universel, il l'a maintenu dans celle de l'empire germanique. Nous avons dit dans quelles circonstances et sous l'empire de quelles considérations il s'est arrêté à ce parti si nouveau pour un Germain; ajoutons qu'il a pris soin d'entourer cette innovation de garanties qui la rendaient sans péril. A côté du Parlement élu par ce mode emprunté à la démocratie, il a institué une seconde ou plutôt une première Chambre, le Bundesrath, qui est uniquement composée de représentants des princes confédérés, qui les choisissent parmi leurs fonctionnaires. Cette assemblée est investie des mêmes attributions législatives que la représentation issue du suffrage universel. Aucune loi ne peut être soumise à la sanction de l'Empereur si elle n'est également votée par l'une et l'autre Chambre, de façon que les décisions du Parlement demeurent subordonnées à l'assentiment des délégués des souverains, c'est-à-dire à celui des souverains confédérés eux-mêmes. M. de Bismarck a fait mieux : il a attribué la présidence du Bundesrath au chancelier, à l'unique détenteur du pouvoir exécutif, et en prenant luimême possession de ce poste mis au sommet de la confédération, il a réuni entre ses mains, à ses attributions ministérielles, celle que confère le pouvoir législatif. Il fallait son esprit inventif pour imaginer une combinaison aussi ingénieuse, aussi propre à rendre vaine toute tentative du Parlement de balancer la puissance souveraine; mais c'était aussi introduire la confusion des pouvoirs dans un organisme où déjà les ministres relèvent uniquement du chef de la confédération, et réduire quant à l'essence, au principe même de la doctrine parlementaire, la représentation nationale à une sorte de fiction, et la dépouiller de toute initiative effective. Tel était d'ailleurs l'objet qu'il avait en vue, et il faut convenir qu'il l'a complètement atteint; le Parlement délibère, l'Empereur seul gouverne. Ce n'est pas ainsi que fonctionnait le régime représentatif à Turin; les Chambres y étaient pourvues de tous les droits que comporte le système constitutionnel, et le comte de Cavour n'a jamais eu la pensée d'y porter atteinte. Nous n'oserions pas affirmer que tous ses successeurs ont imité son exemple, et que la Chambre des députés qui siège actuellement à Rome est la sincère émanation du corps électoral au même titre que celle qui délibérait autrefois en Piémont. Voilà comment, de part et d'autre, nos deux ministres ont compris les institutions politiques dont la garde leur était confiée, et rien ne saurait montrer plus clairement qu'ils ont également conformé leur conduite à leurs sentiments personnels dans la gestion des intérêts publics. L'un est resté féodal et autoritaire, l'autre libéral et constitutionnel. Comment ont-ils envisagé les questions d'un caractère international? Comment les ont-ils conduites et résolues? Jusqu'à la guerre de 1859, le comte de Cavour n'a fait aucun mystère de ses intentions. Sa pensée s'était révélée au congrès de Paris, et elle avait acquis, dès ce moment, la notoriété publique; dans sa correspondance officielle, et plus nettement dans sa correspondance particulière, il l'affirmait avec plus ou moins de mesure ou d'abandon selon les circonstances. Tous ses efforts tendaient donc à amener une rupture dans les conditions voulues par la prudence que l'ardeur de son ambition n'a pas mise en défaut à cette époque. Il s'en est expliqué avec l'empereur Napoléon, et il ne lui a rien caché de ses prétentions. La guerre a donc éclaté sans surprendre ni l'opinion publique en Europe, ni aucun des gouvernements intéressés; l'Autriche elle-même était si bien édifiée qu'elle crut devoir prendre l'initiative des hostilités et envahir le Piémont. Comment M. de Bismarck a-t-il engagé sa première guerre, qui devait être bientôt suivie de deux autres plus sanglantes encore? Après avoir séduit la Russie, il a abusé l'Angleterre, il a tantôt défendu, tantôt méconnu, selon l'intérêt du moment, les droits de la Confédération germanique; nous avons dit en quelles circonstances et à l'aide de quelles assurances; nous n'avons pas à y revenir. A quel titre et pour quelles nécessités a-t-il envahi et mutilé le Danemark? Y a-t-il été contraint par le devoir de mettre la Prusse à l'abri de toute offense? En possession des Duchés, le Danemark pouvait-il être un danger pour l'Allemagne ? Assurément non. En cette occasion, le gouvernement prussien a fait acte de conquérant sans plus de motif que n'en avait le grand Frédéric quand il s'est emparé de la Silésie; l'exemple a paru à M. de Bismarck bon à suivre, et il s'y est employé sans plus de scrupule. On peut différer sur le mouvement italien et l'apprécier diversement; on ne peut se refuser à reconnaître que les lois de l'histoire n'y ont pas été étrangères, que l'idée de l'affranchissement est, de beaucoup, antérieure aux publicistes comme aux hommes d'État qui l'ont reprise de notre temps; que les plus illustres penseurs d'autrefois l'avaient conçue, discutée avant eux et, en quelque sorte, infusée dans le sentiment public elle avait fait explosion à des époques diverses et avait toujours été comprimée. On ne saurait donc |