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et fidèle. On n'avoit donc pas hésité à l'admettre dans la Collection des Mémoires.

Lorsque nous nous sommes occupés du travail relatif à cet ouvrage, nous avons dû faire comparer le texte espagnol avec la traduction. Il a été reconnu que le traducteur avoit supprimé environ un volume des Mémoires de Saint-Philippe, et que les parties qu'il avoit retranchées étoient non pas des détails inutiles d'expéditions militaires, mais des relations qui se rattachoient aux affaires de France, et qui par conséquent auroient pu avoir de l'intérêt pour des lecteurs français.

Nous nous serions décidés à faire compléter la traduction, si le marquis de Saint-Philippe avoit rapporté sur les affaires de France des faits peu connus, des anecdotes ignorées, ou présenté des aperçus nouveaux; mais on a remarqué qu'il ne disoit à peu près rien qui ne se trouvât dans les autres Mémoires de la Collection.

La traduction, telle qu'elle existe, n'offre guère de matériaux que pour l'histoire d'Espagne: en la complétant, ce qu'on y ajouteroit n'en offriroit pas pour l'histoire de France.

Nous espérons que messieurs les Souscripteurs approuveront les motifs qui nous ont déterminés à ne donner ni les anciens Mémoires de Saint-Simon, ni ceux de Saint-Philippe, quoiqu'ils aient été annoncés dans le Prospectus.

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[1690] L'ANNÉE d'après, c'est-à-dire en 1690, je fus nommé pour aller à Rochefort commander un vaisscau du Roi, qu'on nommoit le Fidèle. Je menai mon navire à Brest, où étoit le rendez-vous de l'armée, qui devoit être commandée par M. le maréchal de Tourville. La flotte étoit entrée dans la Manche depuis quelques jours, lorsque nous rencontrâmes .l'armée des ennemis à la hauteur de l'île de Wight. Notre armée étoit de beaucoup supérieure à la leur: les deux flottes des Anglais et des Hollandais, jointes ensemble, ne faisoient que cinquante-huit vaisseaux de ligne, tandis que nous en avions quatre-vingts.

M. de Tourville fit le signal pour mettre l'armée en bataille. Les ennemis vinrent nous attaquer le combat fut opiniâtre, il y périt bien du monde; et quoique les Anglais semblassent prendre moins de part à cette action que les Hollandais, on peut dire que, pendant plus de trois heures qu'elle dura, les deux armées témoignèrent beaucoup de valeur, et se signalèrent de part et d'autre par des exploits qui méritoient d'avoir place dans l'histoire. Je les rapporterois T. 75.

I

volontiers ; mais je dois me souvenir que ce sont simplement mes Mémoires que j'écris, et nullement tout ce qui s'est passé de mémorable dans les différentes actions où j'ai pu me trouver.

Cependant, pour dire en peu de mots quelque chose de celle-ci, les ennemis eurent du pire, et leur flotte fut incomparablement plus endommagée que la nôtre. Il y eut peu de leurs vaisseaux qui ne fussent mis en très-mauvais état; un très-grand nombre n'avoit presque plus ni voiles ni mâts : enfin c'en étoit fait de leur armée, si leur habileté, qui leur fit prendre à propos l'unique parti qui leur restoit, ne les eût tirés d'embarras.

Comme ils se voyoient perdus, ils mouillèrent à quelque distance de nous, sans voiles, et rangés en bataille. La connoissance que j'avois de la Manche me fit comprendre qu'ils étoient à l'ancre : je vis bientôt ce qui les faisoit manœuvrer de cette sorte. Je le dis à mes officiers; et comme on m'avoit fait répétiteur des . signaux, je voulus faire le signal pour faire mouiller l'armée : car nous ne pouvions rendre inutile leur manœuvre qu'en mouillant nous-mêmes à notre tour, pour empêcher que le jusant, ou retour de la marée, ne fit dériver la flotte, et, en nous éloignant des ennemis, ne nous empêchât de profiter de l'avantage que

nous avions sur eux.

Les sieurs de Moisé et Choiseul (celui-là même qui avoit été esclave à Alger, et dont j'ai raconté l'aventure en parlant du second bombardement de cette ville), tous deux mes lieutenans, me firent changer de résolution, et me représentèrent qu'il ne me convenoit pas de redresser le général : nous ne mouil

lâmes donc pas. Notre flotte fut emportée par la marée, comme les ennemis l'avoient prévu; et, profitant de l'éloignement où nous étions, ils se sauvèrent pendant la nuit, sans autre perte que celle d'un seul vaisseau, qui, se trouvant sans ancre, dériva sur nous, et fut pris. Nous poursuivîmes leur flotte pendant quelque temps, mais avec peu de succès : ils étoient trop éloignés, et la plupart eurent gagné les ports d'Angleterre et de Hollande avant que nous fussions à portée de les joindre. Deux de leurs vaisseaux anglais allèrent s'échouer sur leurs côtes : nous les obligeâmes de se brûler eux-mêmes. Tout le reste gagna les dunes,

et se sauva.

Pour ma part, je poursuivis un vice-amiral hollandais à trois ponts : il étoit démâté de son grand mât, Je le laissai échouer devant un petit port de la Manche, et je me hâtai d'en venir donner avis à M. de Tourville. Il m'ordonna d'aller trouver le marquis de Villette, lieutenant général, et d'amener avec moi un brûlot de la division de l'arrière-garde du corps de ba taille, pour aller brûler ce vaisseau. M. de Villette donna ordre à M. de Riberet de me suivre. Nous fûmes ensemble en vue du bâtiment échoué. Je ne sais quels ordres particuliers Riberet pouvoit avoir; mais il s'en retourna, et ramena le brûlot avec lui. Je ne laissai pas de poursuivre ma pointe : je fis signal au brûlot de venir me joindre; mais comme je n'étois pas l'ancien, il ne voulut pas obéir.

Le chevalier de Saint-Olerf, lieutenant de vaisseau, qui commandoit la chaloupe que M. de Villette m'avoit donnée pour cette exécution, alloit devant moi en sondant, pour savoir au juste la quantité d'eau dont

j'avois besoin pour approcher. Le vaisseau échoué tira plusieurs coups de canon et de fusil : je fis signal à la chaloupe de revenir, afin qu'elle ne demeurât pas plus long-temps en danger. Ne pouvant rien exécuter sans brûlot, je revins joindre l'armée, qui alla mouiller à la rade de Chef-de-Bris, devant le Havre-de-Grâce. Peu de jours après, M. de Relingue fut détaché pour aller croiser dans le Nord. Je fus de cette escadre; mais les mauvais temps continuels nous obligèrent bientôt de retourner à Dunkerque, où l'escadre dés

arma.

Nous reçûmes à peu près dans ce temps-là la triste nouvelle de la mort de M. le marquis de Seignelay. Ce fut une perte considérable pour la marine, qu'il avoit portée bien haut, et qu'il auroit sans doute perfectionnée davantage, s'il n'avoit été enlevé au milieu de sa course. En mon particulier, je perdis considérablement à sa mort ce ministre m'avoit toujours honoré de sa protection; et j'ai autant à me louer de lui, que j'ai à me plaindre de son successeur. Cependant pour ne parler que de M. de Seignelay, on peut dire qu'ayant été formé par un père infatigable, et d'une capacité consommée, la France a eu peu de ministres si actifs, si laborieux et și vigilans que lui; que s'il donna une partie de son temps à ses plaisirs, ce fut sans préjudice de ses devoirs, qu'il avoit toujours présens, et qu'il ne laissa jamais en arrière.

Outre mille excellentes qualités qui dans le commerce particulier le faisoient estimer de tous ceux qui l'approchoient comme ministre, il fut plein de zèle pour le service de son maître, jaloux de l'honneur de la nation, dont la gloire lui étoit extrêmement à cœur,

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