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sur quoi les ennemis prirent la résolution d'attaquer

notre camp.

Ils firent pour cet effet sortir de leurs retranchemens, avant que le jour parût, quinze cents hommes de troupes réglées, qui s'avancèrent, sans être découverts, jusqu'au pied de la montagne occupée par la brigade de Goyon. Ces troupes furent suivies par un corps de milices qui se posta à moitié chemin de notre camp, à couvert d'un bois, et à portée de soutenir ..ceux qui nous devoient attaquer.

Le poste avancé qu'ils avoient dessein d'emporter étoit situé sur une éminence à mi-côte, où il y avoit une maison crénelée qui nous servoit de corps-degarde; et quarante pas au-dessus régnoit une haie vive, fermée par une barrière. Les ennemis firent passer, lorsque le jour commença à paroître, plusieurs bestiaux devant cette barrière. Un de nos sergens et quatre soldats avides les ayant aperçus, ouvrirent, pour s'en saisir, la barrière, sans en avertir l'officier; mais à peine eurent-ils fait quelques pas, que les Portugais embusqués firent feu sur eux, tuèrent le sergent et deux des soldats: ils entrèrent ensuite, et montèrent vers le corps-de-garde. M. de Liesta, qui gardoit ce poste avec cinquante hommes, quoique surpris et attaqué vivement, tint ferme, et donna le temps à M. le chevalier de Goyon d'y envoyer M. de Boutteville, aide-major, avec les compagnies de M. de Droualin et d'Auberville. Il me dépêcha en même temps un aide-de-camp, pour m'informer de ce qui se passoit; et, en attendant mes ordres, il fit mettre toute sa brigade sous les armes, et prête à charger. A l'instant.je fis partir deux cents grenadiers par un che

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min creux, avec ordre de prendre les ennemis en flanc aussitôt qu'ils verroient l'action engagée; et je fis mettre toutes les autres troupes en mouvement. Je courus ensuite vers le lieu du combat avec ma compagnie de caporaux : j'y arrivai assez à temps pour être témoin de la valeur et de la fermeté avec laquelle messieurs de Liesta, de Droualin et d'Auberville soutenoient, sans s'ébranler, tous les efforts des ennemis. A l'approche des troupes qui me suivoient, ils se retirèrent précipitamment, en laissant sur le champ de bataille plusieurs de leurs soldats tués, et quantité de blessés. J'interrogeai ces derniers; et, apprenant d'eux les circonstances que je viens de rapporter, je ne jugeai pas à propos de m'engager dans ce bois et dans ces défilés. Ainsi je fis faire halte aux grenadiers et à toutes les autres troupes qui étoient en marche. En prenant un autre parti, je donnois au milieu de l'embuscade, où le corps des milices étoit posté.

M. de Pontlo-de-Coëtlogon, aide-de-camp de M. le chevalier de Goyon, fut blessé en cette occasion, et nous eûmes trente soldats tués ou blessés. Ce même jour, la batterie dont j'avois laissé le soin à messieurs de Beauve et de Blois commença à tirer sur les retranchemens des Bénédictins.

Le 19, M. de La Ruffinière, commandant de l'artillerie, me manda qu'il avoit sur l'île des Chèvres cinq mortiers et dix-huit pièces de canon de vingtquatre livres de balles, prêtes à battre en brèche, et qu'il attendoit mes ordres pour démasquer les batteries. Je crus qu'il étoit temps de sommer le gouverneur, et j'envoyai un tambour lui porter cette lettre :

« Le Roi mon maître voulant, monsieur, tirer rai« son de la cruauté exercée envers les officiers et les << troupes que vous fites prisonniers l'année dernière ; «<et Sa Majesté étant bien informée qu'après avoir fait « massacrer les chirurgiens, à qui vous aviez permis de « descendre de ses vaisseaux pour panser les blessés, « vous avez encore laissé périr de faim et de misère « une partie de ce qui restoit de ces troupes, les re<< tenant toutes en captivité, contre la teneur du car<< tel d'échange arrêté entre les couronnes de France << et de Portugal, elle m'a ordonné d'employer ses vais<< seaux et ses troupes à vous forcer de vous mettre à << sa discrétion, et de me rendre tous les prisonniers

français; comme aussi de faire payer aux habitans <<< de cette colonie des contributions suffisantes pour

les punir de leurs cruautés, et qui puissent dédom<< mager amplement Sa Majesté de la dépense qu'elle « a faite pour un armement aussi considérable. Je n'ai " point voulu vous sommer de vous rendre que je ne « me sois vu en état de vous y contraindre, et de ré« duire votre pays et votre ville en cendres, si vous ne « vous rendez à la discrétion du Roi mon maître, qui « m'a commandé de ne point détruire ceux qui se sou<< mettront de bonne grâce, et qui se repentiront de <<< l'avoir offensé dans la personne de ses officiers et de ses troupes. J'apprends aussi, monsieur, que l'on a << fait assassiner M. Du Clerc, qui les commandoit : je « n'ai point voulu user de représailles sur les Portagais qui sont tombés en mon pouvoir, l'intention de « Sa Majesté n'étant point de faire la guerre d'une fa« çon indigne d'un roi très-chrétien ; et je veux croire « que vous avez trop d'honneur pour avoir eu part à

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<«ce honteux massacre. Mais ce n'est pas assez : Sa Majesté veut que vous m'en nommiez les auteurs, « pour en faire une justice exemplaire. Si vous diffé« rez d'obéir à sa volonté, tous vos canons, toutes vos << barricades ni toutes vos troupes ne m'empêcheront « pas d'exécuter ses ordres, et de porter le fer et le « feu dans toute l'étendue de ce pays. J'attends, mon« sieur, votre réponse; faites-la prompte et décisive; « autrement vous connoîtrez que si jusqu'à présent je « vous ai épargné, ce n'a été que pour m'épargner à « moi-même l'horreur d'envelopper les innocens avec « les coupables.

« Je suis, monsieur, très-parfaitement, etc. >>

Le gouverneur renvoya mon tambour avec cette réponse :

« J'ai vu, monsieur, les motifs qui vous ont en« gagé à venir de France en ce pays. Quant au trai<< tement des prisonniers français, il a été suivant " l'usage de la guerre : il ne leur a manqué ni pain « de munition, ni aucun des autres secours, quoi

qu'ils ne le méritassent pas, par la manière dont « ils ont attaqué ce pays du Roi mon maître, sans en << avoir de commission du roi Très-Chrétien, mais fai« sant seulement la course. Cependant je leur ai ač

cordé la vie au nombre de six cents hommes, comme « ces mêmes prisonniers le pourront certifier; je les << ai garantis de la fureur des Noirs, qui les vouloient «< tous passer au fil de l'épée; enfin je n'ai manqué en «rien de tout ce qui les regarde, les ayant traités <«< suivant les intentions du Roi mon maître. A l'égard

« de la mort de M. Du Clerc, je l'ai mis, à sa sollici«<tation, dans la meilleure maison de ce pays, où il « a été tué. Qui l'a tué? C'est ce que l'on n'a pu vérifier, << quelques diligences que l'on ait faites, tant de mon « côté que de celui de la justice. Je vous assure que « si l'assassin se trouve, il sera châtié comme il le mé<< rite. En tout ceci, il ne s'est rien passé qui ne soit « de la pure vérité, telle que je vous l'expose. Pour « ce qui est de vous remettre ma place, quelques me« naces que vous me fassiez, le Roi mon maître me l'ayant confiée, je n'ai point d'autre réponse à vous «< faire, sinon que je suis prêt à la défendre jusqu'à la << dernière goutte de mon sang. J'espère que le Dieu « des armées ne m'abandonnera pas dans une cause « aussi juste que celle de la défense de cette place, << dont vous voulez vous emparer sur des prétextes « frivoles, et hors de saison. Dieu conserve Votre Seigneurie!

«

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Sur cette réponse, je résolus d'attaquer vivement la place; et j'allai avec M. le chevalier de Beauve tout le long de la côte, pour reconnoître les endroits par où nous pourrions le plus aisément forcer les ennemis. Nous remarquâmes cinq vaisseaux portugais mouillés près des Bénédictins, qui me parurent propres à servir d'entrepôt aux troupes que je pourrois destiner à l'attaque de ce poste. Je fis avancer, par précaution, le vaisseau le Mars entre nos deux batteries et ces cinq vaisseaux, afin qu'il se trouvât tout porté pour les soutenir quand il en seroit question.

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