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<< Monseigneur, je dois à Votre Eminence mille re<< mercîmens très-humbles des marques d'estime dont << elle m'honore, en me faisant choisir pour membre « du conseil des Indes. J'ai tant de fois sacrifié ma «< santé et je me suis livré à tant de périls pour le ser« vice du Roi, que je ne balancerai jamais sur l'o«<béissance que je dois à ses ordres : ainsi, monsei«< gneur, vous êtes le maître de disposer de moi en << tout ce qui regarde son service et le bien de l'Etat. Cependant je me trouve dans la rude nécessité de représenter à Votre Eminence que depuis long<< temps je suis attaqué d'une maladie très-grave, laquelle m'a fait venir à Paris, où je suis dans les trai<< temens, sans savoir quand je pourrai en sortir : sitôt qu'ils seront terminés, je serai obligé, pour raffer<«< mir ma santé, de prendre le lait d'ânesse à la cam« pagne, et ensuite les eaux minérales. D'ailleurs tous << mes meubles et mes domestiques sont à Brest; et si, << dans l'état fâcheux où se trouve ma santé, il faut << encore les transporter, ce sera pour moi un surcroît << d'embarras et de chagrin très-sensible. Après cela, «monseigneur, disposez de mon sort, si vous m'esti<< mez assez pour croire que le sacrifice de ma santé et «< du repos, ༥ dont j'ai grand besoin, soit nécessaire au << bien de l'Etat ordonnez, et vous serez obéi avec << toute l'ardeur et le zèle dont je suis capable. Un « accident qui m'est arrivé ce matin m'empêche, << monseigneur, d'aller prendre vos ordres: aussitôt « qu'il sera calmé, j'aurai cet honneur.

:

« Je suis, etc. »

Réponse.

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« Votre zèle, monsieur, pour le service du Roi, « votre politesse et votre complaisance pour tout ce qu'on peut désirer de vous sont autant connus que << vos talens et vos actions. Je suis sensiblement tou«< ché de la manière dont vous m'écrivez : elle m'en« gage à vous répondre sur-le-champ qu'il faut préfé«rer votre santé à tout. Je vous estime trop pour ne <<< pas penser que votre guérison est un soin qui inté<< resse l'Etat. Ne pensez donc qu'au rétablissement de « votre santé, auquel je voudrois pouvoir contribuer; « et pour cet effet si les secours des habiles gens que << nous avons ici vous sont utiles, ils vous aideront de « leurs conseils et de leurs soins. S'il vous convenoit << même de vous transporter à Versailles, ils seroient << auprès de vous, et vous auriez tous les jours leurs « secours, l'air de la campagne, et le lait. Il suffira,

jusqu'à ce que votre santé soit bien affermie et vos «< affaires arrangées, que vous aidiez la compagnie des << Indes de vos conseils, ou ici ou à Paris. Je n'ai pas << voulu non-seulement donner au public, mais même << j'ai arrêté les réglemens qui doivent fixer l'arran<< gement du conseil des Indes, et ce qu'il convient <<< mieux que chacun y fasse, jusqu'au temps où vous << serez en état de me donner votre avis. Ainsi je vous «< prie, aux heures que vos indispositions vous pour<< ront donner, de me faire un petit mémoire de ce « que vous croyez qu'on peut faire de mieux pour « faire prospérer le commerce de la compagnie, qui

<< est le principal du royaume. Faites-moi part de vos « réflexions sur ce sujet tout à votre aise; car, encore «< une fois, je préfère votre santé à tout le reste, et je << souhaite de faire connoître, par les attentions que << j'aurai pour vous, monsieur, le cas que je veux faire « du mérite dans tout mon ministère.

« Signé le cardinal DUBOIS. >>

M. Duguay vit, par cette réponse, que M. le cardinal Dubois, malgré toutes les attentions qu'il avoit pour sa santé, souhaitoit qu'il acceptât la proposition qu'il lui avoit faite, et qu'il le croyoit nécessaire au conseil des Indes. Aussitôt il oublia toutes ses incommodités, et ne pensa plus qu'à répondre à la confiance qu'avoit en lui le ministre. Il alloit assidûment toutes les semaines lui porter les réflexions qu'il faisoit tant sur l'administration générale de la compagnie, que sur tous les détails.

La première chose que M. Duguay proposa à M. le cardinal Dubois, qui venoit de lui donner une place si honorable dans le conseil des Indes, fut de supprimer ce conseil, du moins d'en changer la forme, qu'il jugea trop fastueuse pour une assemblée de commerce. Il croyoit la simplicité et la confiance que demande le commerce peu compatibles avec un si grand appareil, et pensoit qu'une compagnie de négocians habiles et d'une probité reconnue, qui travailleroient sous les yeux du ministère, seroit plus propre à entretenir cette confiance que toute autre administration. M. Duguay fit sur cela un mémoire dans lequel il proposoit un plan qu'on peut croire d'autant meilleur, qu'il ressembloit davantage à celui qu'on voit

aujourd'hui établi dans la compagnie des Indes, et qui est si bien justifié par le succès.

Cependant M. le cardinal Dubois, quoiqu'il approuvât ce plan, ne jugea pas à propos de changer si promptement la forme de la compagnie, après tant de changemens qu'elle avoit déjà éprouvés; et il arriva ici ce qui arrive quelquefois, qu'on remit à un autre temps une chose qui étoit bonne dès-lors. En effet, tout changement a toujours quelques désavantages; et quoique l'état nouveau qu'on envisage soit préférable, il n'est pas toujours facile de peser juste le dommage et l'avantage qu'apportera le changement.

M. Duguay tourna alors toutes ses vues vers le commerce de la compagnie des Indes, c'est-à-dire vers le nombre de vaisseaux qu'elle devoit envoyer, et la quantité des marchandises qu'elle devoit rapporter, afin que non-seulement elle fournît le royaume de tout ce qui étoit nécessaire pour sa consommation, mais encore afin que toutes les marchandises des Indes fussent assez communes et à un assez bas prix pour faire cesser tout le profit que pourroient faire les étrangers en introduisant en France ces marchandises.

M. le cardinal Dubois témoigna jusqu'à la fin les mêmes sentimens pour M. Duguay. Les bontés de ce ministre étoient telles, qu'il l'appeloit souvent son ami, même en plein conseil; et sa confiance étoit si grande, qu'il ne bornoit pas les conversations qu'il avoit avec lui à ce qui regardoit la marine : il vouloit souvent savoir ce qu'il pensoit sur d'autres matières qui n'y avoient point de rapport. M. Duguay lui disoit presque toujours que ces matières étoient au-dessus de sa portée; mais le ministre en jugeoit autrement.

La mort enleva M. le cardinal Dubois dans le temps. où M. Duguay pouvoit beaucoup attendre de l'estime et de l'amitié qu'il avoit pour lui.

:

Son Altesse Royale s'étant chargée de la place de premier ministre, ce grand prince, protecteur déclaré de tous les talens, connoissoit trop ceux de M. Duguay pour n'en pas faire tout le cas qu'ils méritoient. La première grâce que M. Duguay lui demanda fut de le dispenser d'assister au conseil des Indes. Son Altesse Royale la lui accorda, mais à condition qu'il viendroit une fois par semaine lui dire librement ce qu'il pensoit sur le commerce entretiens que M. le duc d'Orléans jugeoit apparemment encore plus utiles que la présence de M. Duguay dans le conseil des Indes. M. Duguay, flatté d'être consulté par un prince si éclairé, tâcha de mériter cet honneur par son assiduité à ces entretiens, et par toutes les réflexions qu'il y apportoit. Il ne cessoit surtout de représenter l'utilité dont il étoit pour la France d'entretenir une marine toujours prête et capable d'inspirer aux nations voisines la même idée de grandeur que la puissance de la France leur inspire. Mais la mort de Son Altesse Royale fit bientôt perdre à M. Duguay le plus grand protecteur qu'il pût avoir; et il ressentit la confiance dont ce prince l'avoit honoré avec tant de reconnoissance qu'il auroit pu avoir pour tous les autres bienfaits; qu'on regarde d'ordinaire comme ayant plus de réalité.

Cependant on ne l'oublioit pas à la cour : le Roi le fit commandeur de l'ordre de Saint-Louis le premier mars 1728, et lieutenant général dans la promotion du 27 du même mois.

M. le comte de Maurepas, qui a toujours honoré

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