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ral et ancien de nos plaintes, et les satisfactions que nous en avons faites ont adouci l'aigreur que mon père en avait conçue. Nous avons dit ce que tu avais déjà dit, sans savoir que tu l'eusses dit, et ensuite nous avons excusé de bouche ce que tu avais depuis excusé par écrit, sans savoir que tu l'eusses excusé; et nous n'avons su ce que tu as fait qu'après que nous l'avons eu fait nous-mêmes; car comme nous n'avions rien caché à mon père, il nous a aussi tout découvert et guéri ensuite tous nos soupçons. Tu sais combien ces embarras troublent la paix de la maison extérieure et intérieure, et combien dans ces rencontres on a besoin des avertissements que tu nous as donnés trop tard.

Nous avons à l'en donner nous-mêmes sur le sujet des tiens. Le premier est sur ce que tu mandes que nous t'avons appris ce que tu nous écris. 1o Je ne me souviens point de t'en avoir parlé, et si peu que cela m'a été trèsnouveau; et de plus, quand cela serait vrai, je craindrais que tu ne l'eusses retenu humainement, si tu n'avais oublié la personne dont tu l'avais appris pour ne te ressouvenir que de Dieu qui peut seul te l'avoir véritablement enseigné. Si tu t'en souviens comme d'une bonne chose, tu ne saurais penser le tenir d'aucun autre, puisque ni toi ni les autres ne le peuvent apprendre que de Dieu seul. Car, encore que dans cette sorte de reconnaissance on ne s'arrête pas aux hommes à qui on s'adresse comme s'ils étaient auteurs du bien qu'on a reçu par leur entremise, néanmoins cela ne laisse point de former une petite opposition à la vue de Dieu,

Le manuscrit de la bib. roy, supp. franc., n. 1485, où se trouve aussi cette lettre, omet ici deux lignes entières.

et principalement dans les personnes qui ne sont pas entièrement épurées des impressions charnelles qui font considérer comme source de bien les objets qui le communiquent.

Ce n'est pas que nous ne devions reconnaître et nous ressouvenir des personnes dont nous tenons quelques instructions, quand ces personnes ont droit de les faire, comme les pères, les évêques et les directeurs, parce qu'ils sont les maîtres dont les autres sont les disciples. Mais quant à nous, il n'en est pas de même; car comme l'ange refusa les adorations d'un saint serviteur comme lui, nous te dirons, en te priant de n'user plus de ces termes d'une reconnaissance humaine, que tu te gardes de nous faire de pareils compliments, parce que nous sommes disciples comme toi.

Le second est sur ce que tu dis qu'il n'est pas nécessaire de nous répéter ces choses, puisque nous les savons déjà bien; ce qui nous fait craindre que tu ne mettes pas ici assez de différence entre les choses dont tu parles et celles dont le siècle parle ', puisqu'il est sans doute qu'il suffit d'avoir appris une fois celles-ci et de les avoir bien retenues, pour n'avoir plus besoin d'en être instruit, au lieu qu'il ne suffit pas d'avoir une fois compris celles de l'autre sorte 2, et de les avoir connues de la bonne manière, c'est-à-dire par le mouvement intérieur de Dieu, pour en conserver la connaissance de la même sorte, quoique l'on en conserve bien

Le manuscrit de la bibl. roy. omet ces mots et celles dont le siècle parle, qui sont cependant indispensables pour le sens.

ร Le manuscrit de la bibliot. roy. dit de toutes sortes, ce qui n'a aucun sens.

le souvenir. Ce n'est pas qu'on ne s'en puisse souvenir, et qu'on ne retienne aussi facilement une épître de saint Paul qu'un livre de Virgile; mais les connaissances que nous acquérons de cette façon, aussi bien que leur continuation, ne sont qu'un effet de mémoire, au lieu que pour y entendre ce langage secret et étranger à ceux qui le sont du ciel, il faut que la même grâce, qui peut seule en donner la première intelligence, la continue et la rende toujours présente en la retraçant sans cesse dans le cœur des fidèles pour la faire toujours vivre; comme dans les bienheureux Dieu renouvelle continuellement leur beatitude, qui est un effet et une suite de la grâce; comme aussi l'Église tient que le Père produit continuellement le Fils et maintient l'éternité de son essence par une effusion de sa substance, qui est sans interruption aussi bien que sans fin.

Ainsi la continuation de la justice des fidèles n'est autre chose que la continuation de l'infusion de la grâce, et non pas une seule grâce qui subsiste toujours; et c'est ce qui nous apprend parfaitement la dépendance perpétuelle où nous sommes de la miséricorde de Dieu, puisque s'il en interrompt tant soit peu le cours, la sécheresse survient nécessairement. Dans cette nécessité, il est aisé de voir qu'il faut continuellement faire de nouveaux efforts pour acquérir cette nouveauté continuelle d'esprit, puisqu'on ne peut conserver la grâce ancienne que par l'acquisition d'une nouvelle grâce, et qu'autrement on perdra celle qu'on pensera retenir,

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'Le man. de la bibliot. roy. omet ces mots essentiels : ancienne que par l'acquisition d'une nouvelle grâce.

comme ceux qui voulant renfermer la lumière n'enferment que des ténèbres. Ainsi, nous devons veiller à purifier sans cesse l'intérieur, qui se salit toujours de nouvelles taches en retenant aussi les anciennes, puisque sans le renouvellement assidu on n'est pas capable de recevoir ce vin nouveau qui ne sera point mis en vieux vaisseaux.

C'est pourquoi tu ne dois pas craindre de nous remettre devant les yeux les choses que nous avons dans la mémoire, et qu'il faut faire rentrer dans le cœur, puisqu'il est sans doute que ton discours en peut mieux servir d'instrument à la grâce que non pas l'idée qui nous en reste en la mémoire, puisque la grâce est particulièrement accordée à la prière, et que cette charité que tu as eue pour nous est une prière du nombre de celles qu'on ne doit jamais interrompre. C'est ainsi qu'on ne doit jamais refuser de lire ni d'ouïr les choses saintes, si communes et si connues qu'elles soient; car notre mémoire, aussi bien que les instructions qu'elle retient, n'est qu'un corps inanimé et judaïque sans l'esprit qui doit les vivifier. Et il arrive très-souvent que Dieu se sert de ces moyens extérieurs pour les faire comprendre et pour laisser d'autant moins de matière à la vanité des hommes lorsqu'ils recoivent ainsi la grâce en eux-mêmes. C'est ainsi qu'un livre et un sermon, si communs qu'ils soient, apportent bien plus de fruit à celui qui s'y applique avec plus de disposition, que non pas l'excellence des discours plus relevés qui apportent d'ordinaire plus de plaisir que d'instruction; et l'on voit quelquefois que ceux qui les écoutent comme il faut, quoique ignorants et presque stupides, sont tou

chés au seul nom de Dieu et par les seules paroles qui les menacent de l'enfer, quoique ce soit tout ce qu'ils y comprennent et qu'ils le sussent aussi bien aupara

vant.

Le troisième est sur ce que tu dis que tu n'écris ces choses que pour nous faire entendre que tu es dans ce sentiment. Nous avons à te louer et à te remercier également sur ce sujet ; nous te louons de ta persévérance et te remercions du témoignage que tu nous en donnes. Nous avions déjà tiré cet aveu de M. Perier, et les choses que nous lui en avions fait dire nous en avaient assurés nous ne pouvons te dire combien elles nous ont satisfaits, qu'en te représentant la joie que tu recevrais si tu entendais dire de nous la même chose.

Nous n'avons rien de particulier à te dire, sinon ' touchant le dessein de votre maison 2. Nous savons que M. Perier prend trop à cœur ce qu'il entreprend pour songer pleinement à deux choses à la fois, et que ce dessein entier est si long, que pour l'achever, il faudrait qu'il fût longtemps sans penser à autre chose. Nous savons aussi bien que son projet n'est que pour une partie du bâtiment; mais outre qu'elle n'est que trop longue elle seule, elle engage à l'achèvement du reste aussitôt qu'il n'y aura plus d'obstacle, de quelque résolution qu'on se fortifie pour s'en empêcher, principalement s'il emploie à bâtir le temps qu'il faudrait pour se détromper des

Le manuscrit de la bibliot. roy. supprime le mot sinon, ce qui donne un sens tout contraire au véritable. Nous passons d'autres incorrections légères du même manuscrit.

2 Maison de campagne que M. Perier faisait bâtir et qui existe encore, à Bienassis, aux portes de Clermont.

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