Images de page
PDF
ePub

arrivé qu'après beaucoup de tours en s'attachant aux principes de ces philosophes.

...

M. de Saci et tout Port-Royal des Champs était ainsi tout occupé de la joie que causaient la conversion et la vue de M. Pascal; ... on y admirait la force toute puissante de la grâce qui par une miséricorde dont il y a peu d'exemples avait si profondément abaissé cet esprit si élevé de lui-même.

RÉCIT

De ce que j'ai ouï dire par M. Pascal, mon oncle, non pas à moi, mais à des personnes de ses amis en ma présence. J'avais alors 16 ans 1/2'.

1o On me demande si je ne me repens pas d'avoir fait les Provinciales. Je réponds que bien loin de m'en repentir, si j'avais à les faire présentement je les ferais encore plus fortes.

2o On me demande pourquoi j'ai nommé les noms des auteurs où j'ai pris toutes les propositions abominables que j'y ai citées. Je réponds que si j'étais dans une ville où il y eût douze fontaines, et que je susse certainement qu'il y en a une qui est empoisonnée, je serais obligé d'avertir tout le monde de n'aller point puiser de l'eau à cette fontaine; et comme on pourrait croire que c'est une pure imagination de ma part, je serais obligé de nommer celui qui l'a empoisonnée, plutôt que d'exposer toute une ville à s'empoisonner. 5o On me demande pourquoi j'ai employé un style

IIIe Recueil MS. du Père Guerrier, page 260.

Ce récit est de Marguerite Perier. Cette demoiselle étant née en 1646, la conversation qu'elle rapporte ici est de 1662 et a précédé de peu de temps la mort de Pascal. Le même récit se trouve auss dans le MS. de l'Oratoire; mais le texte y est moins correct.

agréable, railleur et divertissant. Je réponds que si j'avais écrit d'un style dogmatique'il n'y aurait eu que les savants qui l'auraient lu, et ceux-là n'en avaient pas besoin, en sachant autant que moi là-dessus : ainsi j'ai cru qu'il fallait écrire d'une manière propre à faire lire mes lettres par les femmes et les gens du monde, afin qu'ils connussent le danger de toutes ces maximes et de toutes ces propositions qui se répandaient alors partout, et auxquelles on se laissait facilement persuader.

4o On me demande si j'ai lu moi-même tous les livres que je cite. Je réponds que non certainement il aurait fallu que j'eusse passé ma vie à lire de trèsmauvais livres; mais j'ai lu deux fois Escobar tout entier; et pour les autres, je les ai fait lire par de mes amis; mais je n'en ai pas employé un seul passage • sans l'avoir lu moi-même dans le livre cité et sans avoir examiné la matière sur laquelle il est avancé, et sans avoir lu ce qui précède et ce qui suit, pour ne point hasarder de citer une objection pour une réponse; ce qui aurait été reprochable et injuste.

Note du P. Guerrier: « J'ai copié ceci sur un Manuscrit de la main de Melle Marguerite Perier. »

M. l'abbé Pascal, mort depuis quelques années, assurait avoir ouï dire au fameux M. Pascal sur le sujet de la Logique de PortRoyal :

Voilà une belle occupation pour M. Arnauld que de travailler à une logique! Les besoins de l'Église demandent tout son travail '.

Extrait du Ier Recueil MS. du P. Guerrier, pag. cccxXXV.

301

121

Les personnes sages... fuient de se présenter en face et de se faire envisager en particulier, et ils tâchent plutôt de se cacher dans la presse, afin qu'on ne voie dans leurs discours que la vérité qu'ils proposent.

Feu M. Pascal, qui savait autant de véritable rhétorique que personne en ait jamais su, portait cette règle jusques à prétendre qu'un honnête homme devait éviter de se nommer et même de se servir des mots je et moi; et il avait accoutumé de dire sur ce sujet :

La piété chrétienne anéantit le moi humain, et la civilité humaine le cache et le supprime '.

M. Pascal parlait peu de sciences; cependant quand l'occasion s'en présentait, il disait son sentiment sur les choses dont on lui parlait. Par exemple, sur la philosophie de M. Descartes, il disait assez ce qu'il pensait; il était de son sentiment sur l'automate, et n'en était point sur la matière subtile dont il se moquait fort; mais il ne pouvait souffrir sa manière d'expliquer la formation de toutes choses et il disait très-souvent :

Je ne puis pardonner à Descartes : il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu; mais il n'a pu s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement; après cela il n'a plus que faire de Dieu 2.

Feu Monsieur Pascal, quand il voulait donner un exemple d'une rêverie qui pouvait être approuvée par entètement, proposait d'ordinaire l'opinion de Descartes sur la matière et sur l'espace 3.

Il résistait à tout le monde lors des troubles de Paris et tou

'Logique de Port-Royal. IIIe Partie, chap. XIX.

Marg. Perier. IIe recueil MS. du P. Guerrier, pag. 177. 'Nicole. Lettre LXXXIII. Essais de morale.

303

307

jours depuis il appelait des prétextes toutes les raisons qu'on donnait pour excuser cette rébellion, et il disait que :

Dans un état établi en république, comme Venise, ce serait un très-grand mal de contribuer à y mettre un roi et à opprimer la liberté des peuples à qui Dieu l'a donnée. Mais dans un Etat où la puissance royale est établie, on ne pourrait violer le respect qu'on lui doit sans une espèce de sacrilége; parce que la puissance que Dieu y a attachée étant non-seulement une image, mais une participation de la puissance de Dieu, on ne pourrait s'y opposer sans résister manifestement à l'ordre de Dieu. De plus, la guerre civile, qui en est une suite, étant un des plus grands maux qu'on puisse commettre contre la charité du prochain, on ne peut assez exagérer la grandeur de cette faute. Les premiers chrétiens ne nous ont pas appris la révolte, mais la patience, quand les princes ne s'acquittent pas bien de leur devoir.

Il disait ordinairement :

Qu'il avait un aussi grand éloignement pour ce péché-là, que pour assassiner le monde ou pour voler sur les grands chemins, et qu'enfin il n'y a rien qui fût plus contraire à son naturel, et sur quoi il fût moins tenté

[ocr errors]

Il disait que l'Écriture sainte n'était pas une science de l'esprit, mais une science du cœur, qui n'était intelligible que pour ceux qui ont le cœur droit, et que tous les autres n'y trouvaient que de l'obscurité 2.

Vie de Pascal par Mme Perier. 'Ibid.

304

Il s'écriait quelquefois :

Si j'avais le cœur aussi pauvre que l'esprit, je serais bienheureux; car je suis merveilleusement persuadé que la pauvreté est un grand moyen pour faire son salut '.

Il n'avait jamais refusé l'aumône, quoiqu'il n'en fit que de son nécessaire, ayant peu de bien et étant obligé de faire une dépense qui excédait son revenu, à cause de ses infirmités. Mais lorsqu'on lui voulait représenter cela, quand il faisait quelque aumône considérable, il se fàchait et disait :

301 J'ai remarqué une chose : que, quelque pauvre qu'on soit, on laisse toujours quelque chose en mourant 2.

302

Il disait au plus fort de ses douleurs, quand on s'affligeait de les lui voir souffrir:

Ne me plaignez point: la maladie est l'état naturel des chrétiens, parce qu'on est par là comme on devrait être toujours, dans la souffrance des maux, dans la privation de tous les biens et de tous les plaisirs des sens, exempt de toutes les passions qui travaillent pendant tout le cours de la vie, sans ambition, sans avarice, dans l'attente continuelle de la mort. N'est-ce pas ainsi que les chrétiens devraient passer la vie? Et n'est-ce pas un grand bonheur quand on se trouve par nécessité dans l'état où l'on est obligé d'être, et qu'on n'a autre chose à faire qu'à se soumettre humblement et paisiblement? C'est pourquoi je ne de

[blocks in formation]
« PrécédentContinuer »