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LETTRES.

LETTRE DE PASCAL A SA SŒUR JACQUELINE '.

Ce 26 janvier 1648.

Ma chère sœur,

Nous avons reçu tes lettres. J'avais dessein de te faire réponse sur la première que tu m'écrivis il y a plus de quatre mois; mais mon indisposition et quelques autres affaires m'empêchèrent de l'achever. Depuis ce tempslà, je n'ai pas été en état de t'écrire, soit à cause de mon mal, soit manque de loisir ou pour quelque autre raison. J'ai peu d'heures de loisir et de santé tout ensemble. J'essaierai néanmoins d'achever celle-ci sans me forcer; je ne sais si elle sera longue ou courte. Mon principal dessein est de t'y faire entendre le fait des visites que tu sais, où j'espérais d'avoir de quoi te satisfaire et répondre à tes dernières lettres. Je ne puis commencer par autre chose que par le témoignage du plaisir qu'elles m'ont donné; j'en ai reçu des satisfactions si sensibles, que je ne te les pourrai pas dire de bouche. Je te prie de croire qu'encore que je ne t'aie point écrit, il n'y a point eu d'heure que tu ne m'aies été présente, où je n'aie fait des souhaits pour la conti

fer Recueil MS. du Père Guerrier, p. CXL

nuation du grand dessein que Dieu t'a inspiré. J'ai ressenti de nouveaux accès de joie à toutes les lettres qui en portaient quelque témoignage, et j'ai été ravi d'en voir la continuation sans que tu eusses aucunes nouvelles de notre part. Cela m'a fait juger qu'il avait un appui plus qu'humain, puisqu'il n'avait pas besoin des moyens humains pour se maintenir. Je souhaiterais néanmoins d'y contribuer quelque chose, mais je n'ai aucune des parties qui sont nécessaires pour cet effet. Ma faiblesse est si grande que si je l'entreprenais je ferais plutôt une action de témérité que de charité, et j'aurais droit de craindre pour nous deux le malheur qui menace un aveugle conduit par un aveugle. J'en ai ressenti mon incapacité sans comparaison davantage depuis les visites dont il est question, et bien loin d'en avoir remporté assez de lumières pour d'autres, je n'en ai rapporté que de la confusion et du trouble pour moi, que Dieu seul peut calmer et où je travaillerai avec soin, mais sans empressement et sans inquiétude, sachant bien que l'un et l'autre m'en éloigneraient. Je te dis que Dieu seul le peut calmer et que j'y travaillerai, parce que je ne trouve que des occasions de le faire naître et de l'augmenter dans ceux dont j'en avais attendu la dissipation: de sorte que me voyant réduit à moi seul, il ne me reste qu'à prier Dieu qu'il en bénisse le succès. J'aurais pour cela besoin de la communication de personnes savantes et de personnes désintéressées : les premiers sont ceux qui ne le feront pas; je ne cherche plus que les autres, et pour cela je souhaite infiniment de te voir, car les lettres sont longues, incommodes et presque inutiles en ces occasions. Cependant je t'en écrirai peu de chose.

La première fois que je vis M. Rebours', je me fis connaître à lui et j'en fus reçu avec autant de civilités que j'eusse pu souhaiter; elles appartenaient toutes à monsieur mon père, puisque je les reçus à sa considération. Ensuite des premiers compliments, je lui demandai permission de le revoir de temps en temps; il me l'accorda. Ainsi je fus en liberté de le voir, de sorte que je ne compte pas cette première vue pour visite, puisqu'elle n'en fut que la permission. J'y fus à quelque temps de là, et entre autres discours je lui dis avec ma franchise et ma naïveté ordinaires que nous avions vu leurs livres et ceux de leurs adversaires; que c'était assez pour lui faire entendre que nous étions de leurs sentiments. Il m'en témoigna quelque joie. Je lui dis ensuite que je pensais que l'on pouvait, suivant les principes mêmes du sens commun, démontrer beaucoup de choses que les adversaires disent lui être contraires, et que le raisonnement bien conduit portait à les croire, quoiqu'il les faille croire sans l'aide du raisonnement.

Ce furent mes propres termes, où je ne crois pas qu'il y ait de quoi blesser la plus sévère modestie. Mais comme tu sais que toutes les actions peuvent avoir deux sources, et que ce discours pouvait procéder d'un principe de vanité et de confiance dans le raisonnement, ce soupçon, qui fut augmenté par la connaissance qu'il avait de mon étude de la géométrie, suffit pour lui faire trouver ce discours étrange, et il me le témoigna par une repartie si pleine d'humilité et de modestie, qu'elle eut sans doute confondu l'orgueil qu'il voulait réfuter. J'essayai

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Disciple de l'abbé de Saint-Cyran, et l'un des directeurs de PortRoyal de Paris.

néanmoins de lui faire connaître mon motif; mais ma justification accrut son doute et il prit mes excuses pour une obstination. J'avoue que son discours était si beau, que si j'eusse cru être en l'état qu'il se le figurait, il m'en eût retiré ; mais comme je ne pensais pas être dans cette maladie, je m'opposai au remède qu'il me présentait. Mais il le fortifiait d'autant plus que je semblais le fuir, parce qu'il prenait mon refus pour endurcissement; et plus il s'efforçait de continuer, plus mes remerciements lui témoignaient que je ne le tenais pas nécessaire. De sorte que toute cette entrevue se passa dans cette équivoque et dans un embarras qui a continué dans toutes les autres et qui ne s'est pu débrouiller. Je ne te rapporterai pas les autres mot à mot, parce qu'il ne serait pas nécessaire ni à propos. Je te dirai ' seulement en substance le principal de ce qui s'y est dit ou, pour mieux dire, le principal de leur retenue.

I

Mais je te prie avant toutes choses de ne tirer aucune conséquence de tout ce que je te mande, parce qu'il pourrait m'échapper de ne pas dire les choses avec assez de justesse; et cela te pourrait faire naître quelque soupçon peut-être aussi désavantageux qu'injuste. Car enfin, après y avoir bien songé, je n'y trouve qu'une2 obscurité où il serait dangereux et difficile de décider, et pour moi j'en suspends entièrement mon jugement, autant à cause de ma faiblesse que pour mon manque de connaissance.

On n'a pas la lettre qui paraît ici annoncée.

Le MS. de la Bibliot. roy., Supp. Fr., n. 1485, qui donne aussi cette lettre, dit aucune obscurité, » ce qui est un contre-sens; il présente en outre quelques autres incorrections de détail.

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