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bleaux du Poussin, une sublime statue de Michel-Ange, quelques ravissants paysages de Claude Lorrain, un Gérard Dow qui ressemblait à une page de Sterne, des Rembrandt, des Murillo, des Velasquez sombres et colorés comme un poème de lord Byron; puis des bas-reliefs antiques, des coupes d'agate, des onyx merveilleux { Enfin c'était des travaux à dégoûter du travail, des chefs-d'œuvre accumulés à faire prendre en haine les arts et à tuer l'enthousiasme. Il arriva devant une Vierge de Raphaël, mais il était las de

Raphaël one figure de Corrège qui voulait un regard ne l'obtint #u

même pas un vase inestimable en porphyre antique et dont les sculptures circulaires représentaient de toutes les priapées romaines la plus grotesquement licencieuse, délices de quelque Corinne, eut à peine un sourire. Il étouffait sous les débris de cinquante siècles évanouis, il était malade de toutes ces pensées humaines, assassiné par le luxe et les arts, oppressé sous ces formes renaissants qui, pareilles à des monstres enfantés sous ses pieds par quelque malin génie, lui livraient un combat sans fin. [Semblable en ses caprices à la chimie moderne qui résume la création par un gaz, l'âme ne compose-t-elle pas de terribles poisons par la rapide concentration de ses jouissances, de ses forces ou de ses idées? Beaucoup d'hommes ne périssent-ils pas sous le foudroiement de quelque acide moral soudainement épandu dans leur être intérieur?

- Que contient cette boîte? demanda-t-il en arrivant à un grand cabinet, dernier monceau de gloire, d'efforts humains, d'originalités, de richessesĮ parmi lesquelles il montra du doigt une grande caisse carrée construite en acajou, suspendue à un clou par une chaîne d'argent.

-Ah! monsieur en a la clef, dit le gros garçon avec un air de mystère. Si vous désirez voir ce portrait, je me hasarderai volontiers à préveni

- Vous hasarder! reprit le jeune homme. Votre maître est-il un prince?

- Mais, je ne sais pas, répondit le garçon.

Ils se regardèrent pendant un moment aussi étonnés l'un que l'autre. L'apprend interprét le silence de l'inconnu comme u souhait, le laissa seul dans le cabinet.

Vous êtes-vous jamais lancé dans l'immensité de l'espace et du temps en lisant les œuvres géologiques de Cuvier? Emporté par

COM. HUM. T. XIV.

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son génie, avez-vous plané sur l'abîme sans bornes du passé,
comme soutenu par la main d'un enchanteur? En découvrant de
tranche en tranche, de couche en couche, sous les carrières de
Montmartre ou dans les schistes de l'Oural, ces animaux dont les
dépouilles fossilisées appartiennent à des civilisations antédiluvien-
nes, l'âme est effrayée d'entrevoir des milliards d'années, des mil-
lions de peuples que la faible mémoire humaine, que l'indestructi-
ble tradition divine ont oubliés et dont la cendressée à la sur-
face de notre globe, y forme les deux pieds de terre qui nous
donnent du pain et des fleurs. Cuvier n'est-il pas le plus grand
poète de notre siècle? Lord Byron a bien reproduit par des mots
quelques agitations morales; mais notre immortel naturaliste a re-
construit des mondes avec des os blanchis, a rebâti comme Cad-
mus des cités avec des dents, a repeuplé mille forêts de tous les
mystères de la zoologie avec quelques fragments de houille, a re-
trouvé des populations de géants dans le pied d'un mammouth.
Ces figures se dressent, grandissent et meublent des régions en
harmonie avec leurs statures colossales. Il est poète avec des chif-
fres, il est sublime en posant un zéro près d'un sept. Il réveille le
néant sans prononcer des paroles granflement magiques il fouille
une parcelle de gypse, y aperçoit une empreinte, et vous crie:
Voyez ! Soudain les marbres s'animalisent, la mort se vivifie, le
monde se déroule ! Après d'innombrables dynastics de créatures
gigantesques, après des races de poissons et des clans de mollus-
ques, arrive enfin le genre humain, produit dégénéré d'un type
grandiose, brisé peut-être par le Créateur. Echauffés par son re-
gard rétrospectif, ces hommes chétifs, nés d'hier, peuvent fran-
chir le chaos, entonner un hymne sans fin et se configurer le passé
de l'univers dans une sorte d'Apocalypse rétrograde. En présence
de cette épouvantable résurrection due à la voix d'un seul homme,
la miette dont l'usufruit nous est concédé dans cet infini sans nom,
commun à toutes les sphères et que nous avons nommé LE TEMPS,
cette minute de vie nous fait pitié. Nous nous demandous, écrasés
que nous sommes sous tant d'univers en ruines, à quoi bon nos
gloires, nos haines, nos amours; et si, pour devenir un point in-
tangible dans l'avenir, la peine de vivre doit s'accepter? Déra-
cinés du présent, nous sommes morts jusqu'à ce que notre valet
de chambre entre et vienne nous dire : Madame la comtesse a ré-
pondu qu'elle attendait monsieurf
monsieur

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トール

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Les merveilles dont l'aspect venait de présenter au jeune homme toute la création connue mirent dans son âme l'abattement que produit chez le philosophe la vue scientifique des créations inconnues il souhaita plus vivement que jamais de mourir, et tomba sur une chaise curule en laissant errer ses regards à travers les fantasmagories de ce panorama du passé. Les tableaux s'illuminèrent, les têtes de vierge lui sourirent, et les statues se colorèrent d'une vie trompeuse. A la faveur de l'ombre, et mises en danse par la fiévreuse tourmente qui fermentait dans son cerveau brisé, ces œuvres s'agitèrent et tourbillonnèrent devant lui { chaque magot lui jeta sa grimace, les y des personnages représentés dans les tableaux ferent en pétillants Chacune de ces formes frémit, sautilla, se détacha de sa place gravement, légèrement, avec grâce ou brusquerie, selon ses mœurs, son caractère et sa contexture. Ce fut un mystérieux sabbat digne des fantaisies entrevues par le docteur Faust sur le Brocken. Mais ces phénomènes d'optique enfantés par la fatigue, par la tension des forces oculaires ou par les caprices du crépuscule, ne pouvaient effrayer l'inconnu. Les terreurs de la vie étaient impuissantes sur une âme familiarisée avec les terreurs de la mort, Il favorisa même par une sorte de complicité railleuse les bizarreries de ce galvanisme moral dont les -prodiges s'accouplaient aux dernières pensées qui lui donnaient encore le sentiment de l'existence. Le silence régnait si profondéinent autour de lui, que bientôt il s'aventura dans une douce rèverie dont les impressions graduellement noires suivirent, de nuance en nuance et comme par magie, les lentes dégradations de la lumière. Une lueur prête quitte le ciel aya fait reluire un dernier reflet rouge en luttant contre la nuit, il leva la tête, vit un squelette à peine éclairé qui le montra du doigt Xpencha dubitativement crâne de droite à gauche, comme pour lui dire : Les morts ne veulent pas encore de toi! En passant la main sur son front pour en chasser le sommeil, le jeune homme sentit distinctement un vent frais produit par je ne sais quoi de velu qui lui effleura les joues, et frissonna. Les vitres ayant retenti d'un claquement sourd, il pensa que cette froide caresse digne des mystères de la tombe lui avait été faite pof quelque chauve-souris. Pendant un moment encore, les vagues reflets du couchant lui permirent d'apercevoir indistinctement les fantômes par lesquels il était entouré; puis toute cette nature morte s'abolit dans une même teinte

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noire. La nuit, l'heure de mourir était subitement venue. Il s'écoula, dès ce moment, un certain laps de temps pendant lequel il n'eut aucune perception claire des choses terrestres, soit qu'il se fût enseveli dans une rêverie profonde, soit qu'il eût cédé à la somnolence provoquée par ses fatigues et par la multitude des pensées qui lui déchiraient le cœur. Tout à coup il crut avoir été appelé par une voix terrible, et tressaillit comme lorsqu'au milieu d'un brûlant cauchemar nous sommes précipités d'un seul bond dans les profondeurs d'un abîme. Il ferma les yeux les rayons d'une vive lumière l'éblouissaient; il voyait briller au sein des ténèbres une sphère rougeâtre dont le centre était occupé par un petit vieillard qui se tenait debout et dirigeait sur lui la clarté d'une lampe. Il ne l'avait entendu ni venir, ni parler, ni se mouvoir. Cette apparition eut quelque chose de magique. L'homme le plus intrépide, surpris ainsi dans son sommeil, aurait sans doute tremblé devant ce personnage extraordinaire qui semblait être sorti d'un sarcophage voisin. La singulière jeunesse qui animait les yeux immobiles de cette espèce de fantôme empêchait l'inconnu de croire à des effets surnaturels; néanmoins, pendant le rapide intervalle qui sépara sa vie somnambulique de sa vie réelle, il demeura dans le doute philosophique recommandé par Descartes, et fut alors, malgré lui, sous la puissance de ces inexplicables hallucinations dont les mystères sont condamnés par notre fierté ou que notre science impuissante tâche en vain d'analyser.

Figurez-vous un petit vieillard sec et maigre, vêtu d'une robe en velours noir, serrée autour de ses reins par un gros cordon de soie. Sur sa tête, une calotte en velours également noir laissait passer, de chaque côté de la figure, les longues mèches de ses cheveux blancs et s'appliquait sur le crâne de manière à rigidement encadrer le front. La robe ensevelissait le corps comme dans un vaste linceul, et ne permettait de voir d'autre forme humaine qu'un visage étroit et pâle. Sans le bras décharné, qui ressemblait à un bâton sur lequel on aurait posé une étoffe et que le vieillard tenait en l'air pour faire porter sur le jeune homme toute la clarté de la lampe, ce visage aurait paru suspendu dans les airs. Une barbe grise et taillée en pointe cachait le menton de cet être bizarre, et lui donnait l'apparence de ces têtes judaïques qui servent de types aux artistes quand ils veulent représenter Moïse. Les lèvres de cet homme étaient si décolorées, si minces, qu'il fallait

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