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l'Union la propriété ou du moins la jouissance temporaire de leurs ouvrages, quel que soit l'État dans lequel la publication en a été faite. C'est un exemple que suivront sans doute un jour les peuples d'Italie, d'Allemagne ou de Suisse. Quant aux grandes nations, elles auront pendant longtemps à régler d'autres intérêts que ceux des lettres et des sciences.

La plupart des questions de contrefaçon ou de plagiat portent sur des points de fait, et appartiennent moins au domaine de la science, qu'à celui de la conscience. On ne peut établir à cet égard que quelques règles générales: c'est aux jurés ou aux magistrats qu'il appartient d'en faire une sage application. « Le principe qui doit servir de base à notre décision, a dit un juge anglais, lord Mansfield, est d'une grande importance pour le pays. Nous devons prendre garde de nous jeter dans deux extrêmes également préjudiciables : l'un serait de priver du fruit de leurs travaux des hommes de talent, qui ont consacré leurs veilles aux intérêts de la société; l'autre d'arrêter le progrès des arts et de priver le monde de perfectionnemens. La loi qui garantit aux auteurs les droits qu'ils ont sur leurs ouvrages, les met à l'abri du plagiat du langage et des opinions; mais il n'interdit pas d'écrire sur le même sujet. S'il s'agit d'histoire, par exemple, un homme peut rap

porter les mêmes événemens dans le même ordre de temps; s'il s'agit de dictionnaires, il peut donner l'interprétation des mêmes mots. Dans tous ces cas, la question de fait soumise au jury est: si le changement est plausible ou s'il ne l'est pas. Il faut, pour qu'il y ait contrefaçon, que la similitude soit telle qu'on puisse raisonnablement supposer qu'un ouvrage n'est que la transcription de l'autre, et rien que la transcription (1). »

(1) R. Godson's Practical treatise, b. III, ch. IV, p. 294.

CHAPITRE XXXVII.

De la propriété des rentes sur des particuliers ou sur l'État.

Le principal objet de toute propriété est d'assurer l'existence ou de satisfaire les besoins de celui à qui elle appartient ou des membres de sa famille; toutes les fois donc qu'une personne a formé ou régulièrement acquis un moyen d'existence qui ne porte atteinte ni aux biens, ni à la liberté d'autrui, ni aux bonnes mœurs, ce moyen est sa propriété ; la jouissance et la disposition doivent lui en être garanties, comme s'il s'agissait du produit matériel de son industrie.

Il y a presque toujours, au sein d'un peuple civilisé, un nombre plus ou moins grand de familles qui ne possèdent aucun fonds de terre, qui n'exercent aucune industrie, qui ne portent atteinte ni aux biens ni à la personne d'autrui, et qui cependant ont des moyens d'existence assurés. Comme chez les grandes nations, le nombre des familles qui sont dans ce cas est très-considérable, il importe de se faire, par quelques exemples, des

idées bien nettes des ressources au moyen desquels elles existent.

Le propriétaire d'un fonds de terre, ne voulant ni le cultiver, ni le donner à ferme, le transmet à une autre personne, sous la condition de payer, à lui et à ses successeurs, à perpétuité, une rente déterminée. Du moment que la convention est parfaite, il n'est plus, à proprement parler, propriétaire du fonds qu'il a donné à rente. L'acquéreur peut en jouir et en disposer comme bon lui semble, pourvu qu'il remplisse la condition à laquelle il s'est soumis. Il pourrait même, suivant les lois françaises, s'affranchir de cette condition, en remboursant le capital de la rente.

Il faut remarquer cependant que la faculté de jouir d'une chose n'existe complétement que dans celui qui a la puissance d'appliquer tous les avantages que cette chose peut produire, à la satisfaction de ses besoins. Si je n'ai la jouissance d'une ferme qui donne un revenu de dix mille francs, que sous la condition d'en payer huit mille toutes les années, il est évident que je ne jouis en réalité que des quatre cinquièmes de la valeur totale. La personne à laquelle les huit mille francs seront payés annuellement, aura la jouissance des quatre cinquièmes du revenu de la terre, et ces quatre cinquièmes seront incontestablement sa propriété. Le possesseur de la terre pourrait, il est vrai,

s'en approprier le revenu tout entier, en payant perpétuellement la rente avec les produits d'une autre terre, ou avec les intérêts d'un capital qu'il aurait placé; mais alors la terre ou le capital qui lui servirait à effectuer ce paiement, diminuerait d'utilité, relativement à lui, dans la proportion de tout ce qu'il aurait acquis. D'un autre côté, l'ancien propriétaire, devenu rentier, pour obtenir à perpétuité et en nature les quatre cinquièmes des produits de sa terre, n'aurait qu'à donner au fermier la somme qu'il recevrait annuellement de celui qui en serait devenu acquéreur.

Ce qu'il importe surtout de ne jamais perdre de vue, c'est que le contrat de constitution de rente ne saurait avoir pour effet d'augmenter la somme des revenus qui existent chez une nation. Avant que tel contrat fût formé, la terre qui en est l'objet, donnait, par exemple, un revenu de dix mille francs. Si celui à qui la terre est transmise, s'engage à payer à perpétuité une somme de huit mille francs à celui de qui il la reçoit, il n'y aura pas deux revenus dans la société : un de dix mille francs pour le nouveau propriétaire, et un de huit mille pour le rentier. Le premier pourra bien recevoir, sans doute, dix mille francs du fermier auquel la terre sera donnée à cultiver; mais, sur cette somme, il en devra payer huit mille au second. Il n'y aura donc aucune création de valeurs.

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