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fut voté à une majorité considérable. La Belgique et la Hollande conclurent entre elles le traité définitif à la date du 19 avril 1839. Quelques jours plus tard il le fut également entre ces deux États, les cinq puissances et la Confédération germanique, dernier détail de cette longue et délicate affaire.

Si le règlement définitif d'une pareille difficulté fut accueilli avec une vive satisfaction par tous les cabinets de l'Europe, la France surtout, qui avait pris une large part dans la défense des intérêts nationaux du jeune État qui s'était élevé si près de ses frontières, devait accepter cette solution pacifique avec plaisir, préoccupée qu'elle se trouvait elle-même en ce moment des complications intérieures provoquées par la chute du ministère Molé.

Ces complications étaient grandes, en effet : fallait-il, par exemple, dans ce gouvernement imité du gouvernement britannique, agir comme on l'aurait fait en Angleterre en pareille circonstance, c'est-à-dire confier le pouvoir aux chefs des diverses nuances parlementaires qui avaient renversé le dernier cabinet? mais ces nuances étaient tellement tranchées que cela devenait impraticable. L'extrême droite comme l'extrême gauche s'étaient donné la main pour l'œuvre de destruction collective. M. Berryer, tout aussi bien que M. Laffitte, avait voté contre le ministère Molé;

et puis, autre difficulté non moins grave, comment contenter simultanément l'ambition des trois véritables chefs des fractions relativement modérées de la coalition, MM. Guizot, Thiers, Odilon Barrot? Ce dernier eût accepté la présidence de la Chambre, mais son nom effrayait la majorité conservatrice; M. Guizot eût bien voulu se charger de la présidence du conseil, mais alors que devenait M. Thiers? Une entrevue fut ménagée à ces divers personnages par leur état-major parlementaire sans qu'ils parvinssent à s'entendre. Le roi avait tout d'abord mandé auprès de lui le maréchal Soult, et l'avait chargé de composer un cabinet. Le maréchal voyant surtout dans la coalition le triomphe des idées du centre gauche, eut naturellement la pensée de former sous sa présidence un ministère de cette nuance parlementaire dans lequel il aurait réuni, pour ne citer que les noms principaux, MM. Thiers, Dupin aîné, Passy et Dufaure. M. Thiers exigeant que le roi acceptât un programme, Louis-Philippe, après quelques hésitations, avait fini par l'admettre. C'est qu'alors, il est bon de le remarquer, la prépondérance de M. Thiers était considérable. En veut-on une preuve? Avant que les hésitations du roi eussent cessé, M. Thiers écrivait au maréchal Soult « Monsieur le Maréchal, j'ai fait pour servir avec vous des sacrifices que je ne regrette pas, car j'eusse été heureux de me trouver à vos côtés. Mais

aujourd'hui que le roi a refusé nos propositions, je crois pouvoir user de la liberté qui nous est rendue pour me retirer de la combinaison. Je vous prie de me considérer comme en dehors de tout ministère proposé. J'aurais été charmé de me dire votre collègue, mais j'ai entrevu des difficultés qui me dégoûtent profondément de toute participation aux affaires. Les sacrifices que j'aurais eus à faire m'auraient été très-pénibles. Je profite donc volontiers de l'occasion qui me dégage, et je vous prie d'accepter l'expression de mon dévouement à votre personne. » Et le maréchal répondait ainsi à cette communication : « Mon cher monsieur Thiers, j'ai été appelé ce matin par le roi au moment où vous m'adressiez votre lettre. Le roi accepte toutes les conditions du programme qui lui a été remis : j'ai même été étonné, d'après ce qui s'était passé hier, de trouver sa Majesté dans une disposition semblable. Cette nouvelle disposition du roi me force à vous prier de passer chez moi. »

Une fois le programme adopté par la couronne, il fallait encore le développer et le faire admettre par les hommes politiques dont on voulait composer le nouveau ministère. Une réunion dans ce but eut lieu aux Tuileries; elle se composait du maréchal Soult et de MM. Thiers, Dupin aîné, Passy, Dufaure, Humann et Villemain. M. Thiers désirait une intervention en Espagne en faveur de la

régente Marie-Christine et du gouvernement constitutionnel. Les affaires espagnoles prenaient, en effet, comme nous le verrons bientôt, une tournure de plus en plus défavorable pour la veuve de Ferdinand VII et les intérêts de la jeune reine Isabelle. Mais au seul mot d'intervention armée, M. Passy se révolta et développa avec vivacité les motifs de sa répulsion. Un second point, la présidence de la chambre des députés que M. Thiers demandait pour M. Odilon Barrot, fut également repoussé par M. Humann. Enfin, la discussion, tout en s'animant, s'envenima, et chacun se retira bien convaincu de l'impossibilité de la combinaison projetée.

On voulut alors essayer de rapprocher M. Thiers de M. Guizot par l'intermédiaire officieux de M. le duc de Broglie et former, s'il était possible, un cabinet de coalition. Il est vrai que la coalition elle-même paraissait déjà se dissoudre en présence des difficultés qu'elle avait créées; un rapprochement trèssensible s'était même produit entre M. Guizot et les centres conservateurs. Cette combinaison nouvelle n'aboutit donc pas, et l'embarras du roi s'accrut de ces avortements multipliés. La personnalité de M. Thiers était-elle le seul obstacle à la formation d'un cabinet homogène? On lui offrit une ambassade qu'il refusa aux applaudissements du centre

gauche, et les difficultés reparurent plus grandes encore, peut-être, que par le passé.

En France, un gouvernement constitutionnel ne saurait résister longtemps à des épreuves de cette nature. La situation devenait réellement périlleuse, et Louis-Philippe le comprenait bien. Le maréchal Soult, sur le renom militaire duquel il aimait à s'appuyer en cet instant, lui donna le conseil de former un cabinet provisoire composé, en quelque sorte, de simples chefs de service, hommes pratiques mais en sous-ordre, d'attendre ainsi la réunion prochaine des Chambres, et lorsqu'une majorité compacte se serait dessinée dans tel ou tel sens, de lui emprunter ses principaux meneurs pour leur confier le pouvoir. Le conseil était bon, sans doute, aussi fut-il presque immédiatement suivi, mais on avait compté sans la surprise de l'opinion publique singulièrement désappointée à la nouvelle de la composition de ce ministère essentiellement transitoire. Le 31 mars 1839, les ordonnances royales parurent. Elles appelaient M. de Gasparin au ministère de l'intérieur, M. Girod (de l'Ain) à celui de la justice, le duc de Montebello aux affaires étrangères, le général Cubières au département de la guerre, le baron Tupinier à la marine, MM. Parant et Gautier aux ministères de l'instruction publique et des finances. Il était évident que des

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